<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Taïwan, une autre Chine ?

18 juillet 2020

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Photo : (c) Pixabay

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Taïwan, une autre Chine ?

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En 1949, Mao Zedong proclamait la « République populaire de Chine (RPC) » à Pékin tandis que les nationalistes, réfugiés à Formose, donnaient naissance à Taïwan qui se proclame « République de Chine (ROC) ». Deux Chine donc, mais chacune proclamait l’unité du pays. Comment ont évolué les relations entre elles et les représentations que chacune porte sur l’autre ?

L’île de Formose, comme la nommèrent les Portugais, fut d’abord peuplée par des aborigènes. Les Hollandais, qui la colonisent à partir de 1624, font venir de jeunes paysans de Chine du Sud pour la mettre en valeur. L’île fait alors figure de territoire pionnier. Le rapport autochtones/Han s’inverse, Taïwan devient démographiquement chinoise. Elle réintègre d’ailleurs l’Empire des Qing. Ces derniers s’efforcent de renforcer leur contrôle sur l’île, la faisant passer de préfecture à province en 1887. Mais il est trop tard. En 1895, la première guerre sino-japonaise ouvre une autre période fondamentale pour saisir les enjeux actuels des relations sino-taïwanaises : la colonisation japonaise de l’île et la transition difficile qui a suivi.

La colonisation japonaise et les prémices d’une identité taïwanaise

Taïwan constitue à l’époque la première colonie d’un pays non européen. Les débuts de la conquête de l’île sont très violents, puis une période de relatif apaisement s’installe durant les années 1920. Une élite taïwanaise, éduquée à la japonaise, apparaît et bénéficie d’une certaine liberté d’expression. À cette période succède une phase de militarisme et de contrôle renforcé dans les années 1930, en parallèle de l’invasion japonaise de la Mandchourie en 1931, puis de la Chine en 1937.

La défaite de l’empire du Japon en 1945 signe son retrait de Taïwan. Les Japonais, durant leur domination, ont encouragé une certaine idée de Taïwan en tant qu’espace cohérent ainsi qu’une identité taïwanaise – et non chinoise – au sein de la population colonisée.

Le départ japonais réveille beaucoup d’espoirs. Mais la Chine qui récupère l’île en 1945 est un État faible, désorganisé, qui entre dans une guerre civile entre les communistes de Mao et le Kuomintang de Chiang Kai-Shek. Le premier gouverneur de Taïwan, Chen Yi (du Kuomintang), mène une politique brutale dès son arrivée en 1945, brutalité en partie due au fossé qui s’est désormais creusé avec les Taïwanais. Cette transition difficile aboutira au soulèvement du 28 février 1947, durement réprimé par les autorités – on estime le nombre de morts entre 20 000 et 30 000. Se forme alors un ressentiment profond entre Taïwanais déjà présents sur l’île avant la guerre, et Chinois arrivés sur l’île après 1945.

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La population de Taïwan est l’héritière de cette histoire complexe. Les aborigènes ne forment plus que 2 % environ des 24 millions d’habitants. Le reste est composé à plus de 80 % des descendants des colons venus entre le xviie et le xixe siècle, mais il est lui-même issu de différentes régions du sud de la Chine ; une place à part doit être faite aux Hakkas (15 % de la population) qui ont conservé une forte originalité. Ces Taïwanais « de souche » ont été marqués par l’occupation japonaise qui a séduit l’élite en place et qui a apporté ses propres mots et ses références, ainsi que par les massacres de 1947. Leurs racines sont chinoises, mais ils ont longtemps été séparés du continent et ont développé leur propre vision des choses. Enfin les descendants des Chinois nationalistes (15 % de la population ?) arrivés en 1949 restent plus proches de la Chine continentale. Le gouvernement de Chiang Kai-Shek s’est d’ailleurs efforcé de faire de Taïwan, pour lui la « Chine libre », « un conservatoire d’une culture chinoise traditionnelle face à l’iconoclasme communiste » comme le décrit Victor Douzon. Une « re-sinisation », à marche forcée, débute, le mandarin devient langue officielle même si la majorité continue à parler le taïwanais issu des dialectes de la Chine du Sud.

Le statu quo, une ligne rouge à ne pas franchir

Il existe donc une véritable originalité taïwanaise que le temps a renforcée. La guerre froide, l’impossibilité d’une reconquête du continent par Taïwan, le succès économique de l’île et sa démocratisation ont creusé le fossé. En 1971, l’ONU cesse de reconnaître la République de Chine (Taïwan) au profit de la République populaire de Chine. Une défaite cuisante pour Taïpei qui est suivie par la perte de la reconnaissance des États-Unis, son principal allié. La position de Washington est pourtant complexe : ils accepteront la réunification si elle est voulue par le peuple taïwanais mais s’opposeront à l’usage de la force par Pékin. Voilà qui gèle la situation et rend la séparation durable.

L’évolution de Taïwan et son progrès économique ont conduit à une démocratisation réelle. Le Kuomintang perd son statut de parti unique avec la fin de la loi martiale en 1987 et une première force d’opposition est autorisée : le Parti démocrate progressiste (PDP) qui penche en faveur de l’indépendance. Cette idée acquiert alors une réelle place dans l’espace politique, ce qu’elle n’avait absolument pas jusqu’alors. Tsai Ing-wen, l’actuelle présidente de la République de Chine depuis 2016, appartient à ce parti.

 

Les années 1990 voient le statu quo s’installer dans la durée, et ce des deux côtés du détroit de Formose. La Chine redoute l’enracinement de la démocratie et d’une identité taïwanaise propre, cette dernière commençant à se propager même au sein du Kuomintang, qui reste globalement attaché à une Chine unique. La première élection présidentielle au suffrage universel en 1996 à Taïwan cristallise ces inquiétudes. La RPC effectue une manœuvre d’intimidation en tirant des missiles – non chargés – dans les eaux territoriales de l’île (1). Le but est de pousser la population à un choix « raisonnable » dans son élection, et ainsi de poser une ligne rouge à ne pas franchir, la proclamation de l’indépendance. Ce mot ne peut être proclamé officiellement.

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Les tensions sont avivées en février 2000 lorsque Pékin publie un Livre blanc qui durcit sa position sur Taïwan à la suite des déclarations du président taïwanais Lee Teng-hui en 1999 sur la nécessité de « relations d’État à État » entre République de Chine et République populaire de Chine, des paroles ayant déclenché une nouvelle et vive crise (2). Une trêve diplomatique est conclue par la suite entre la RPC et le Kuomintang au pouvoir à Taïwan entre 2008 et 2016. En 2019, le président américain Donald Trump a promulgué l’Asia Reassurance Initiative Act (3), dont la partie sur Taïwan réaffirme la volonté de « contrecarrer les efforts visant à changer le statu quo », de trouver une solution adéquate pour les deux parties, et encourage les relations avec l’île, de même que la vente d’armes.

Un statu quo durable ?

L’expression désormais connue « Un pays, deux systèmes » a été formulée par Deng Xiaoping en 1982, à destination de Taïwan, mais aussi de Hong Kong et de Macao. Dès les années 1980, cette proposition est rejetée par le gouvernement de Taïpei, dans la mesure où cela remet de facto en cause sa souveraineté.

Lors de son discours à Pékin le 2 janvier 2019, le président Xi Jinping a assuré la population de l’île que leur mode de vie ne serait pas entravé si un tel fonctionnement se mettait en place. « La Chine respectera les libertés religieuses et juridiques du peuple taïwanais, au sein du cadre unifié d’un pays, deux systèmes. » Actuellement et depuis que cette alternative a été mentionnée, la population taïwanaise est dans l’ensemble plus que sceptique vis-à-vis des libertés publiques qui subsisteraient en cas de réunification sous un tel système. La révolte des parapluies de 2014 à Hong Kong a renforcé ce scepticisme. La majorité des habitants de l’île possède aujourd’hui un sentiment d’appartenance taïwanaise, mais ce lien n’empêche pas beaucoup de se réclamer d’une identité chinoise en une sorte de double sentiment d’appartenance. Les visions ne sont pas binaires.

Pour l’instant le statu quo paraît être la seule solution. Les liens économiques entre les deux pays sont devenus intenses : Taïwan est le premier investisseur étranger dans la RPC et une firme comme Foxconn emploie un million de salariés. Les milieux d’affaires sont donc favorables à la poursuite du rapprochement. La peur joue un rôle ambigu. D’un côté elle alimente une image négative de Pékin, de l’autre elle rend prudent. « L’indépendance de Taïwan ne pourra conduire qu’à une impasse. Nous n’excluons pas l’emploi de la force et nous réservons la possibilité de prendre toutes les mesures nécessaires », a déclaré Xi Jinping. La loi antisécession de 2005, adoptée par l’Assemblée nationale populaire de Chine, légalise ce recours à la force en cas de déclaration d’indépendance par Taïpei.

Bonnie S. Glaser, du CSIS (Center for Strategic and International Studies), relève cependant que Xi Jinping n’a pas posé de limite temporelle. « Xi n’a pas établi d’agenda ou de date limite pour une réunification – il s’agit juste d’un objectif (4). » Si l’attitude paraît belliqueuse, le président fait ainsi comprendre que la force n’est pas le moyen qu’il souhaite pour parvenir à ses fins.

 

Le rapport de force est indubitablement et largement à l’avantage de la Chine continentale aujourd’hui. Comment Taïwan peut-elle préserver ce statu quo ? 23e économie mondiale, l’île possède des atouts qui lui ont permis de se maintenir jusqu’ici. Sa forte capacité d’innovation lui a permis de s’imposer dans des secteurs clés, comme l’électronique. L’île a réussi à se rendre véritablement indispensable dans la fourniture de pièces détachées et de composants électroniques au niveau mondial. Pékin cherche d’ailleurs à inciter des entreprises taïwanaises mais aussi des étudiants à venir s’implanter en Chine continentale, dans le but de les faire rester sur le territoire (5).

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La reconnaissance même de la République de Chine en tant qu’État recule. En 2018, les relations diplomatiques ont été rompues avec la République dominicaine, le Burkina Faso et le Salvador ; il ne reste donc que 17 États membres de l’ONU à reconnaître Taïwan.

Les élections présidentielles et législatives de janvier 2020 seront cruciales pour Taïwan : si elles aboutissent à une administration dirigée par le Kuomintang, les discussions afin de tenter d’aller vers un accord politique seraient facilitées pour Pékin – même si dans les faits cela demeure un objectif extrêmement difficile à atteindre, même avec le Kuomintang (6). Mais le Kuomintang est actuellement très affaibli et son retour au premier plan n’est pas certain. Si le PDP l’emporte, et si Donald Trump est toujours en place, la pression chinoise sur Taïwan sera très probablement renforcée.

 


  1. Benoît Vermander, « Le conflit Chine-Taïwan », Études, tome 394, n° 5, 2001, pp. 581-590.
  2. Jean-Pierre Cabestan, « Recrudescence de tension “d’État à État” dans le détroit de Formose –La nouvelle approche taïwanaise de ses relations avec la Chine populaire et ses répercussions », Perspectives chinoises, n° 54, 1999. pp. 4-13.
  3. Asia Reassurance Initiative Act of 2018, Congress.gov, 31 décembre 2018
  4. Chris Buckley et Chris Horton, « Xi Jinping warns Taïwan that unification is the goal and force is an option », The New York Times, 1erjanvier 2019.
  5. Intervention de Françoise Nicolas dans l’émission Affaires étrangères, « Les deux Chine : Taïwan face à Xi Jinping », France culture, 2 février 2019.
  6. Intervention de Mathieu Duchâtel dans l’émission Affaires étrangères, « Les deux Chine : Taïwan face à Xi Jinping », France culture, 2 février 2019.

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À propos de l’auteur
Jessy Périé

Jessy Périé

Jessy Périé est journaliste géopolitique. Spécialiste de l’Asie orientale, elle s’intéresse particulièrement à la politique étrangère chinoise.
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