<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La Somalie, illustration d’une défaillance internationale

26 décembre 2020

Temps de lecture : 7 minutes

Photo : Une manifestation à Mogadiscio, en Somalie, durant la crise du Covid-19, le 25 avril 2020. Photo : Farah Abdi Warsameh/AP/SIPA AP22450417_000002

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La Somalie, illustration d’une défaillance internationale

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En 2017,  le pays a subi l’un des attentats les plus meurtriers au monde de ces dix dernières années : plus de 500 personnes tuées et plus de 300 blessés. La Somalie est enfoncée dans la crise depuis au moins 1991. Le pays attirait l’attention mondiale dans les années 1990 mais désormais nombreux sont ceux qui se détournent de cet État failli.

L’État somalien est issu d’un double mouvement de décolonisation, britannique et italien, en 1960. La République de Somalie a connu un semblant de stabilité sous la dictature du général Mohamed Siad Barre (au pouvoir à partir de 1969) qui manipula habilement le jeu politique de la guerre froide pour s’attirer les faveurs de l’URSS, puis celles des États-Unis. La réduction des aides économiques américaines à la fin des années 1980, combinée à l’invasion ratée de la région éthiopienne de l’Ogaden participent à la chute de Siad Barre en 1991. S’ensuit une guerre civile toujours en cours entre l’État et diverses entités séparatistes, claniques, puis djihadistes.

 

La Somalie, un État qui n’en est plus un…

La Somalie est aujourd’hui tiraillée par plusieurs forces politiques de natures diverses. Il y a, tout d’abord, l’État central dirigé par l’actuel président Mohamed Abdullahi Mohamed élu en février 2017. Celui-ci est en conflit dans le Sud du pays avec plusieurs groupes djihadistes notamment Harakat Al-Shabaab Al-Moudjahidin (1) affilié à Al-Qaïda. Au nord du pays se trouvent deux régions aux ambitions distinctes : le Somaliland dont l’indépendance fut proclamée en 1991 mais qui n’est pas reconnue officiellement par la communauté internationale, et le Puntland qui s’est déclaré « autonome » en 1998.

La question du Somaliland est la plus complexe. Historiquement, alors que le reste du pays avait été colonisé par l’Italie, le Somaliland a été sous protectorat britannique entre 1888 et 1960. Suite à la décolonisation, l’unification du pays dura une vingtaine d’années et c’est un conflit entre les séparatistes du Somaliland et les forces du général Mohamed Siad Barre qui entraîna le début d’une guerre civile en 1988 jusqu’à la chute de ce dernier.

À la différence du Somaliland, le Puntland ne souhaite pas l’indépendance, mais aspire à plus d’autonomie. Depuis 2016, la Somalie est d’ailleurs devenue un État fédéral, répondant aux attentes du Puntland ; le pays a adopté une nouvelle constitution et mis en place un système de suffrage universel pour ses élections.

Si le Puntland, comme le reste du pays, est régulièrement visé par les djihadistes somaliens, le Somaliland a réussi à éloigner la menace terroriste tout en installant un gouvernement stable. Le reste du pays est en proie à des famines répétitives (2) et les côtes maritimes à la piraterie, affaiblissant un État incapable de répondre à ces crises, malgré les aides internationales, permettant ainsi aux différents acteurs séparatistes et djihadistes de faire valoir leur légitimité. Si la communauté internationale, active en Somalie depuis 1991, soutient l’idée d’un État unifié elle ne s’oppose pas au mouvement local du Somaliland et souhaite voir émerger un dialogue politique interne.

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Historique d’un échec international

L’ONU privilégie également aujourd’hui la mise en place de missions militaires africaines plutôt que l’envoi de troupes onusiennes et occidentales. Cette décision est la conséquence de l’échec des interventions qui ont eu lieu entre 1992 et 1995 sur le sol somalien. Celles-ci se sont déroulées dans un contexte explosif après la chute du général Mohamed Siad Barre. Alors que le Somaliland et le Puntland faisaient sécession, le sud du pays se soulevait sous les ordres du gendre de Siad Barre contre le nouveau gouvernement de Mogadiscio. Les différents conflits causèrent alors près de 50 000 victimes et déclenchèrent une famine bien plus meurtrière encore.

La première mission de l’ONU (ONUSOM) échoue à mettre en place un cessez-le-feu entre les différentes factions dans le pays en 1992. Le rôle des États-Unis va, à la fin de cette même année, devenir prépondérant. En effet, la nouvelle administration Clinton propose à l’ONU en novembre 1992 la mission renforcée « Restore Hope » et envoie près de 25 000 militaires américains. Une première phase qui fonctionne, puisqu’en mars 1993 une baisse d’intensité des combats est constatée. La seconde phase intervient deux mois plus tard avec un regain de tension à Mogadiscio, causé notamment par les rebelles du SNA (Alliance nationale somalienne) avec à sa tête le général Aidïd. De mai à octobre 1993, les forces américaines se concentrent sur la traque de ce groupe et de son chef.

C’est à partir de l’été 1993 que l’échec américain et international se dessine. Malgré une présence militaire censée dissuader les différents belligérants somaliens d’avoir recours à la violence, la mission ONUSOM conserve une vocation principalement humanitaire. Le 12 juillet 1993, des hélicoptères américains bombardent plusieurs immeubles et tuent des civils somaliens. En réponse, quatre journalistes sont assassinés le même jour par la population (3). Cette débâcle combine à la fois « une faute morale » pour avoir indirectement causé le décès de quatre journalistes et une faute juridique puisque le commandement américain venait clairement d’outrepasser le cadre de sa mission fixée par l’ONU. Cet événement fragilise la légitimité de l’intervention américaine dans le pays. Le coup de grâce a lieu les 3 et 4 octobre 1993 lors de la bataille de Mogadiscio, dont l’histoire sera ensuite popularisée par le roman, puis le film, La Chute du faucon noir. Cette bataille est à l’initiative des forces américaines et a pour objectif de capturer Mohamed Aidïd. Cette opération se solde par la mort de 19 soldats américains et plusieurs centaines de Somaliens militaires et civils, sans que les États-Unis réussissent à mettre la main sur Mohamed Aidïd. Deux jours plus tard, le 6 octobre, Bill Clinton annonce la fin de l’opération ainsi que son échec. La mission ONUSOM II prendra fin en mars 1995, sans pour autant mettre fin à la guerre civile.

Cet échec qui porte à la fois la marque américaine et internationale a pour conséquence le désintérêt global des élites occidentales pour la Somalie, du milieu des années 1990 jusqu’à aujourd’hui. Cela peut certainement être expliqué par le manque d’intérêt politico-économique de cette région (à la différence du Moyen-Orient) et peut-être aussi par la complexité de ce pays que nous, Occidentaux, avons du mal à analyser.

 

L’un des plus pauvres pays du monde

La Somalie fait partie des 15 États les plus pauvres du monde avec un PIB de 549 dollars par habitant. Une des caractéristiques de l’économie somalienne est la dépendance à sa diaspora. Chaque année ce serait près de 2 milliards de dollars qui seraient envoyés dans le pays, selon un rapport du PNUD, soit près d’un tiers du PIB somalien, évalué à 6,2 milliards de dollars en 2016. Un symbole de la faiblesse structurelle de l’économie somalienne, qui ne peut donc que difficilement lutter contre les fléaux que connaît le pays. Suite à la famine de 2017, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait que 6,2 millions de Somaliens (soit un peu moins de la moitié de la population totale) avaient besoin d’une aide humanitaire urgente. Les enfants sont les premiers touchés, 1,2 million d’entre eux souffriraient de malnutrition. Au mois de janvier 2018, l’OMS et l’UNICEF ont soutenu le gouvernement somalien pour réaliser une campagne de vaccination de 5 millions d’enfants contre la rougeole. Cette intervention faisait suite au bilan catastrophique de 2017, où plusieurs épidémies ont ravagé le pays ; ainsi 100 000 personnes auraient été victimes du choléra ou de la rougeole.

Il est cependant possible de dégager des facteurs positifs pour la Somalie, comme les élections pacifiques de 2017 qui ont désigné le nouveau président, Mohamed Abdullahi Mohamed. Dans la foulée plusieurs États fédéraux autonomes ont été créés pour répondre aux nombreuses attentes séparatistes et un plan national de développement sur la période 2017/2019 est censé répondre aux impératifs de reconstruction et de développement du pays.

Mais les perspectives de développement économique restent incertaines, à cause de l’instabilité politique qui a de nombreuses conséquences sur l’état du pays. Par exemple, la Banque centrale de Somalie n’émet aucun billet depuis 1991, elle ne contrôle pas le taux de change ni l’émission du shilling somalien, qui est imprimé par des entités privées. La collecte fiscale est quasiment impossible, puisque l’État central ne contrôle pas le territoire qu’il revendique et ce depuis plus de 25 ans. Enfin, l’économie somalienne intérieure se base à près de 60 % sur l’élevage et l’agriculture (4), le pays reste donc très dépendant des conditions climatiques souvent défavorables.

 

Un enjeu de sécurité et de stabilité régionale

La Corne de l’Afrique est une région instable composée de la Somalie, de l’Érythrée, de Djibouti, dominée par l’Éthiopie et ses 105 millions d’habitants, pourtant enclavée par les États précédemment cités. Si la Somalie a un rôle à jouer dans la sécurité de la région, elle pourrait également compter sur l’attractivité, actuelle et à venir, de l’Éthiopie, deuxième pays le plus peuplé d’Afrique dont les perspectives économiques sont positives (5).

L’histoire difficile entre les deux pays, liée à la guerre de l’Ogaden (1978-1979), est une des causes du soutien croissant éthiopien à la région séparatiste du Somaliland. Bien qu’Addis-Abeba n’ait pas reconnu son indépendance, les investissements y sont de plus en plus nombreux avec le récent développement du port de Berbera, aidé également par des investissements des États du Golfe. À court terme, Berbera deviendrait le deuxième port le plus important de la corne de l’Afrique derrière celui de Djibouti, « profitant » de l’instabilité du reste du territoire somalien et de la fermeture de l’Érythrée.

Sur le plan sécuritaire, l’Union africaine tente d’enrayer le djihadisme somalien par le biais de sa mission militaire (AMISOM) débutée en 2007, avec l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU. Aujourd’hui, la mission mobilise plus de 20 000 soldats qui luttent sur le territoire contre les Shebab. Ces derniers, qui ont émergé lors de la guerre civile de 2006, ne se limitent pas au seul territoire somalien. Ils ont en effet revendiqué plusieurs attentats au Kenya, notamment ceux du centre commercial Westgate de Nairobi en 2013 (68 victimes) et celui de l’université de Garissa en 2015 (147 victimes). L’insécurité en Somalie est donc un vecteur d’instabilité pour ses voisins et la région en général ; elle limite les échanges économiques et, par conséquent, le développement de la zone. Malgré le retrait des troupes américaines en 1993, les États-Unis participent aujourd’hui à la lutte contre les Shebab, dans le cadre de « la lutte contre le terrorisme », et ont régulièrement recours à des frappes aériennes, via des drones notamment.

Les actes de piraterie autour des côtes somaliennes sont une autre source d’inquiétude. Ceux-ci ont grandement déstabilisé le transport maritime local et international entre 2005 et 2012. Des patrouilles sous l’égide de l’Union européenne, de l’OTAN (jusqu’en 2016), mais aussi des marines russe, chinoise, indienne, sud-coréenne et japonaise, ont été organisées et ont permis de faire baisser les actes de piraterie jusqu’à les contenir totalement en 2016 (6). La Chine notamment possède des intérêts dans cette région de la Corne de l’Afrique, puisqu’elle a installé, en 2015, une base militaire à Djibouti. Autres mesures pour neutraliser ce fléau que représente la piraterie : l’utilisation de sociétés privées de sécurité à bord des navires et la création en 2009 d’un corridor de passage de la mer d’Aden à la mer Rouge, l’IRTC (Internationally Recommanded Transit Corridor). Mais ce « containment » a un coût (chaque année 300 millions d’euros sont dédiés à l’opération européenne Atalante) et une limite, puisque les actes de pirateries ont repris en 2017. Si le problème de la piraterie semblait résolu, il n’a visiblement pas disparu et sera croissant si les patrouilles sont suspendues.

Dans un contexte régional complexe, les perspectives d’avenir de la Somalie sont donc incertaines. Si la prolifération djihadiste et criminelle sur le territoire est le scénario le plus sombre, le développement économique pourrait représenter un premier pas vers la stabilisation du pays. Une solution politique prenant en compte les différentes forces et clans du pays est, à court et moyen terme, l’enjeu principal. Cela serait une assurance dans la perspective d’une réhabilitation d’un État somalien unifié stable comprenant, ou non, le Somaliland. C’est uniquement à travers ce dernier scénario que le pays pourra éradiquer les groupes djihadistes et mettre fin aux actes de pirateries.

 

 

  1. Plus couramment appelés « Shebab ».
  2. La Somalie a connu trois périodes de famine en huit ans : en 2011, 2014 et 2017.
  3. Stephen Smith, Somalie : La guerre perdue de l’humanitaire, Calmann-Lévy, 1994.
  4. Selon le groupe de la Banque africaine de développement.
  5. D’après le Global Economic Prospects édité par la Banque mondiale, l’Éthiopie serait l’État à la croissance économique la plus forte en 2017 avec 8,3 % d’augmentation du PIB.
  6. 160 attaques en 2011 pour 7 attaques en 2013, 3 en 2014 et zéro sur l’ensemble des années 2015, 2016.

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Photo : Une manifestation à Mogadiscio, en Somalie, durant la crise du Covid-19, le 25 avril 2020. Photo : Farah Abdi Warsameh/AP/SIPA AP22450417_000002

À propos de l’auteur
Fabien Herbert

Fabien Herbert

Fabien Herbert est journaliste et analyste spécialisé en relations internationales pour de nombreux médias. Il s’intéresse notamment au monde russophone, à l’Asie et au Moyen-Orient.

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