Les deux États se connaissent bien : Les États-Unis furent la première nation à reconnaître officiellement l’indépendance brésilienne en 1824. Cependant, leurs rapports furent tout de suite complexes, évoluant entre partenariat et méfiance : le Brésil impérial maintint des liens de loyauté avec les régimes monarchiques d’Europe et suspectait des tentatives hégémoniques nord-américaines sur l’Amérique latine, non sans justification comme le montra la première conférence panaméricaine organisée à Washington en 1889.
L’avènement de la république au Brésil changea complètement la donne : les pays étaient proches idéologiquement, leurs intérêts économiques similaires (précisés par un accord de coopération douanière en 1891). La politique étrangère brésilienne devint américaine : « Nous sommes de l’Amérique et voulons être américains. » (Manifeste républicain de 1870). De fait, il exista une alliance tacite et non écrite entre les deux pays respectant des champs d’influence (globale pour les États-Unis, régionale pour le Brésil) mais des destinées différentes (destinée manifeste au Nord et exceptionnalisme brésilien).
De l’alliance tacite…
Face à l’interventionnisme nord-américain, le Brésil chercha à garantir sa sécurité à travers des relations commerciales croissantes. Le pays reconnut le corollaire Roosevelt (1) et en 1905, Rio et Washington décidèrent d’élever leurs représentations diplomatiques respectives à la catégorie d’ambassade. Si Rio resta strictement neutre pendant la Première Guerre mondiale (l’Allemagne et le Royaume-Uni étaient ses deux premiers partenaires), les deux États signèrent dès 1922 un contrat de coopération navale pour quatre ans.
La grande dépression ne changea pas fondamentalement les relations des États-Unis avec leurs voisins latino-américains, relations appuyées sur la politique du bon voisinage et les projets de coopération économique et financière. Malgré la doctrine de l’Estado Novo (plus proche des forces de l’Axe), le Brésil rejoignit le camp des Alliés en août 1942 grâce à la mise en place de multiples coopérations avec le régime de Getulio Vargas (Washington finança la construction de l’usine sidérurgique de Volta Redonda). Le régime tenait ainsi à s’opposer à son éternel rival argentin et fonda la CSN (Compagnie nationale de sidérurgie) qui fournira les Alliés jusqu’à la fin de la guerre.
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… aux oscillations brésiliennes
Dans le contexte de la fin de la guerre, les États-Unis abandonnèrent leur position isolationniste mais négligèrent leurs promesses à l’Amérique latine devenue secondaire. Si, entre 1945 et 1950, Rio s’était parfaitement alignée sur Washington (ouverture aux investissements privés nord-américains, signature du Traité interaméricain d’aide réciproque, rupture diplomatique avec l’Union soviétique, suivi régulier des positions nord-américaines à l’ONU), le nouveau gouvernement de Getulio Vargas, dès 1950, exprima son dépit face au manque de soutien états-unien au projet de développement brésilien.
Par la suite, le Brésil adopta une politique étrangère plus populiste voire anti-impérialiste et chercha à négocier des projets économiques plus avantageux, par exemple l’opération panaméricaine (OPA) lancée en 1958 par le président Kubitschek. Elle avait pour but de mettre en œuvre des projets de lutte contre la pauvreté et elle avait été rendue possible par la relation entre Dwight D. Eisenhower et Juscelino Kubitschek, sans jamais prendre un véritable élan politique, même s’il faut reconnaître que c’est suite à l’OPA qu’a pu voir le jour la Banque interaméricaine de développement, l’Association latino-américaine pour le libre-échange (ALALC) et l’Alliance pour le progrès (2).
Les années 1961-1964 furent une période de politique étrangère relativement indépendante du côté brésilien : voyage des dirigeants en Chine, condamnation du régime sud-africain, réception du président Soekarno mais aussi diversification des rapports commerciaux, nationalisations… L’ensemble de ces signaux mena au coup d’État militaire de 1964, soutenu indirectement par les États-Unis (opération Brother Sam).
La période de la dictature marqua un nouveau tournant dans les relations américano-brésiliennes. Elle marqua d’abord un net alignement sur Washington même si certaines différences apparurent plus tard sur l’internationalisation de l’Amazonie ou la non-prolifération nucléaire. Sous les présidences des généraux Geisel, puis Figueiredo, le Brésil opta à nouveau pour une politique de « pragmatisme responsable », en se rapprochant des pays arabes, notamment en autorisant un bureau de l’autorité palestinienne à Brasilia, ou en reconnaissant l’Angola comme État souverain.
Pour autant, si les relations entre les deux pays connurent certaines oscillations, Brasilia n’alla jamais jusqu’à l’opposition frontale avec les États-Unis, jugés fondamentaux pour la sécurité collective régionale, voire pour l’équilibre entre puissances intermédiaires en Amérique latine.
Une nouvelle relation depuis 1985 ?
À partir des années 1990, le président Fernando Henrique Cardoso (1995-2002) chercha à donner la priorité aux relations avec les États-Unis (et avec l’Europe occidentale), mais sur la base de la réciprocité, en mettant l’accent sur la coopération bilatérale. En fait, le désaccord entre le Brésil et les États-Unis s’est limité à quelques questions économiques sectorielles, sans que le Brésil retire son soutien constant à Washington en Amérique latine. Le multilatéralisme modéré de Fernando Cardoso a garanti de bonnes relations avec Bill Clinton et Tony Blair (par exemple, à travers les débats sur la troisième voie et la social-démocratie).
Les relations commencèrent à se tendre du fait des ambitions brésiliennes. Brasilia mena dès lors un intense travail de lobbying international notamment pour obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité.
L’administration Bush (2001-2009) a ressuscité de vieilles tensions. Si l’administration Cardoso s’était montrée solidaire après les attentats du 11 septembre, l’arrivée au pouvoir de Luiz Inácio Lula changea en partie la donne : critique de la guerre en Irak, de la stratégie américaine au Venezuela et en Colombie, de la Zone de libre-échange américaine (que Brasilia contribua à faire échouer), des subventions agricoles américaines lors de la conférence de l’OMC de 2003. Pour autant, les deux gouvernements signèrent des accords sur la production et la commercialisation de l’éthanol et autres biocarburants.
Vers une émancipation brésilienne ?
Avec l’élection de Barack Obama, on s’attendait à une amélioration de ces relations bilatérales. Néanmoins, l’opposition des Républicains aux politiques proposées par Barack Obama, d’ailleurs souvent irrésolu, la crise financière aux États-Unis, les pressions exercées par le complexe militaire et industriel ont construit un environnement peu favorable au changement. Malgré l’admiration réciproque entre Barack Obama et Luiz Inácio Lula vantée (de façon naïve) par les médias internationaux, l’agenda initial qui annonçait une coopération potentielle s’est progressivement ralenti.
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Les Brésiliens refusent de plus en plus le paternalisme états-unien. La création du BRICS en 2009 fournit une solution alternative au Brésil dans sa quête de reconnaissance. La multiplication des affaires comme Wikileaks (2011, révélant que les États-Unis pèsent de tout leur poids pour empêcher le Brésil de produire des fusées) ou comme l’affaire Snowden relatant les écoutes par la NSA de la présidence Rousseff, entraîne une dégradation des relations bilatérales, la présidente brésilienne annulant un voyage à Washington en 2013 et prononçant un discours très offensif à l’ONU contre les pratiques de la NSA.
La destitution de Dilma Rousseff et l’arrivée au pouvoir de Michel Temer (2017) montrent un certain renouveau de la relation bilatérale à travers ses rencontres avec le président Trump et le développement de projets de lois brésiliennes propices aux intérêts des États-Unis et de leurs entreprises : ouverture de l’espace aérien brésilien à des compagnies privées étrangères (accord sur les cieux ouverts), possibilité de rachat des activités civiles de l’avionneur Embraer par Boeing… L’émancipation totale ne semble pas pour demain.
- Le corollaire Roosevelt (1904) complète la doctrine Monroe en octroyant aux États-Unis un « pouvoir de police international » pour garantir la stabilité du continent.
- Lancée par Kennedy, l’Alliance pour le progrès se voulait l’équivalent du plan Marshall pour l’Amérique latine, mais les sommes engagées étaient beaucoup moins importantes.