Le 4 novembre 2018, les Néo-Calédoniens se sont prononcés sur leur avenir. La question posée au référendum d’autodétermination, prévu par les accords de Nouméa de 1998, est claire : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? »
Le référendum est une étape supplémentaire dans l’histoire tumultueuse des relations entre l’île et la métropole. Découverte en 1774, la Nouvelle-Calédonie (NC) devint une colonie de peuplement, la seule qu’a possédée la France avec l’Algérie. Les émeutes de 1878 et 1920, les violences des années 1980 sont autant d’étapes balisant le long chemin du processus de décolonisation. Les accords de Matignon-Oudinot (26 juin 1986), puis ceux de Nouméa (5 mai 1998) ont défini son statut actuel de collectivité d’outre-mer (COM) sui generis. Les autres territoires océaniens français, Polynésie, Wallis et Futuna sont des COM dotées d’une large autonomie, et Clipperton, au large du Mexique, un domaine public du gouvernement.
Une poussière de micro-États surveillés par les grandes puissances
Tous font partie d’un monde insulaire longtemps perdu dans l’immensité du Pacifique. Découvert en 1513, le « Grand Océan » devient à la fin du xviiie siècle le champ des rivalités politiques (et religieuses) entre la France, l’Angleterre, l’Allemagne, puis les États-Unis. Implantée à Tahiti (1842), en Nouvelle-Calédonie (1853), sur l’île de Clipperton (1858) et Wallis et Futuna (1886), la France est ainsi une puissance du Pacifique depuis près de deux siècles.
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Pendant des décennies, les îles du Pacifique, éparpillées sur des distances considérables dans l’immensité océane, aux antipodes de leur métropole, ont été pratiquement oubliées. Mais les guerres du Pacifique, de Corée et du Vietnam leur donnent une haute valeur stratégique, jamais perdue depuis, confortant la théorie du colonel Earl H. Ellis sur l’importance des bases avancées pour soutenir le déploiement des flottes (1921). Du mouvement de décolonisation naît une nébuleuse de micro-États indépendants et territoires aux statuts divers, pulvérisation géopolitique reflétant leur éparpillement géographique, leur histoire tumultueuse et leur diversité ethnolinguistique. Ces territoires ont en commun l’isolement, la vulnérabilité aux aléas climatiques, la fragilité et la dépendance économiques, l’instabilité politique, et l’exposition aux appétits des grandes puissances. Pour affirmer leur solidarité et leur existence sur l’échiquier international, ils ont tissé un écheveau complexe d’organisations régionales, de forums et d’autres groupements à buts divers.
De nouvelles rivalités de puissance
Un nouveau « grand jeu » s’ordonne dans le Pacifique : sa partie nord reste sous contrôle américain, mais la poussière des micro-États et territoires au sud suscite les convoitises de nouvelles puissances. La Chine, « puissance maritime naturelle » selon l’amiral Liu Huaqing, affiche ses ambitions expansionnistes au-delà des mers proches : une branche de la route maritime de la soie ne longe-t-elle pas la façade orientale de l’Asie, vers Jakarta et la Papouasie ? La Chine développe son influence dans la zone depuis la guerre froide pour contrer Taïwan alors reconnue par la plupart des États insulaires : c’est la « diplomatie du chéquier » toujours en vigueur. Pékin enserre peu à peu le Pacifique sud dans un tissu de relations économiques et diplomatiques. Elle est le principal partenaire commercial dans la région, notamment de l’Australie et de la Nouvelle-Calédonie ; elle investit dans les intérêts miniers, devient le second bailleur de fonds régional après l’Australie ; contrairement aux Occidentaux qui conditionnent leur aide à des réformes budgétaires ou démocratiques, la Chine, pragmatique, construit routes, écoles et ports, et choie les dirigeants politiques locaux, en échange d’un soutien à l’ONU de sa politique. Cette emprise insidieuse s’accompagne d’un flux touristique croissant (le premier charter en provenance directe de Hangzhou a atterri à Nouméa le 17 février 2018) tandis que les communautés chinoises de la diaspora sont très actives.
L’Australie s’est inquiétée ouvertement d’une « menace » chinoise après les révélations sur l’ingérence de Pékin dans sa politique intérieure ; on a aussi évoqué la possibilité de l’implantation de bases chinoises, navale à Vanuatu et aérienne à Yap (en Micronésie) – à 700 km de Guam –, vite démentie… Mais la stratégie du « collier de perles » déployée depuis une décennie dans l’océan Indien n’a-t-elle pas abouti finalement à la création d’une base navale chinoise à Djibouti (2017) ?
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Dans le même temps, pour contrer cette poussée, l’Inde porte à son tour ses regards au-delà des détroits insulindiens, visant également le soutien des micro-États à l’ONU dans sa quête d’un siège au Conseil de sécurité ; le Japon, outre l’accès aux zones de pêche, poursuit le même objectif.
Ce nouveau grand jeu inquiète les puissances historiques (USA, Australie, France). Aussi le rapprochement historique de la France avec l’Australie (partenariat stratégique signé le 14 décembre 2016) est-il d’une portée considérable. Symbolisé par le contrat de livraison à Canberra de 12 sous-marins – un succès industriel (34 milliards d’euros) obtenu face à la concurrence japonaise et allemande –, ce partenariat clôt une longue période de défiance entre Paris, Canberra et Wellington, voire de francophobie plongeant ses racines dans un passé lointain riche de rivalités religieuses et politiques ; les pasteurs protestants, dans leur prêche au temple, ont longtemps stigmatisé la France ; le FLNKS a bénéficié du soutien du Forum du Pacifique (FIP), instance créée à Wellington (1971) et financée par l’Australie et la Nouvelle-Zélande ; l’attentat contre le navire de Greenpeace Rainbow Warrior dans le port néo-zélandais d’Auckland, la reprise provisoire des essais nucléaires français en 1995-1996, les troubles en Nouvelle-Calédonie ont creusé le fossé.
Depuis cette date, le ciel s’est éclairci : la France apparaît comme une puissance stabilisante dans un espace géopolitique fragilisé par les manœuvres chinoises, le retrait britannique et la politique erratique de Donald Trump ; d’où l’émergence de l’Australie comme puissance régionale à l’articulation des océans Indien et Pacifique. Dans le même temps, les rapports du Sénat et de la DGRIS font le constat que la France néglige l’espace Asie-Pacifique tandis que le Premier ministre évoque l’impératif d’une nouvelle ambition maritime (discours à Brest, 17 novembre 2017). De leur côté, les territoires français du Pacifique renouent avec leurs voisins, intensifient leurs relations bilatérales. Polynésie et Nouvelle-Calédonie, longtemps écartées, sont désormais membres de plein droit du FIP depuis 2016, tandis que la France multiplie les exercices militaires multinationaux (manœuvres Croix du Sud en Nouvelle-Calédonie avec de nombreux pays de la région).
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L’issue du référendum
C’est dans ce contexte qu’aura lieu le référendum en novembre. Or la Nouvelle-Calédonie est une pièce importante de l’équilibre géopolitique régional. Par sa situation géographique équidistante de l’Australie, de Fidji, du Vanuatu et de la Nouvelle-Zélande. Par son potentiel économique : troisième réserve mondiale de nickel, deuxième producteur de cobalt, un PIB élevé, un stock d’IDE quatre fois supérieur aux Fidji ou à la Papouasie-Nouvelle-Guinée, sans oublier les richesses potentielles (sulfures polymétalliques, ressources halieutiques) de ses immenses zones économiques exclusives (ZEE). Si la visite du président Macron en mai 2018 a apaisé les esprits, les clivages sociaux demeurent : un tiers des jeunes kanaks sont sans diplôme qualifiant ; le taux de pauvreté atteint 35 %. Les derniers sondages (mai 2018) donnent 59,7 % de non à l’indépendance, et la part du non augmente depuis 2017, y compris dans les provinces du Nord (+ 7 points). Pourtant, si le non l’emporte, deux autres référendums peuvent encore être organisés d’ici à 2022 ; l’incertitude plane.
Il semble que les élites locales s’accommoderaient d’une « souveraineté dans la souveraineté », c’est-à-dire d’une large autonomie – hors domaine régalien – accompagnée de solides subventions. Mais si la France veut continuer à jouer un rôle dans cette partie du monde, elle devra renforcer considérablement son dispositif aéronaval (10 navires, 4 avions, 5 hélicoptères) manifestement sous-dimensionné au regard de ses missions (comme la surveillance d’une ZEE plus vaste que l’Europe), et de ses ambitions affichées.