<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Colombie, une guerre de cent ans

14 août 2020

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Colombie, une guerre de cent ans

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Accablé de stéréotypes peu flatteurs, ce grand pays d’Amérique latine fait l’objet d’une certaine indifférence de la part de la presse française depuis le dénouement de l’affaire Ingrid Betancourt. Pourtant, le 26 septembre 2016, le monde retient son souffle à la nouvelle de l’accord de paix historique conclu à La Havane entre le gouvernement colombien et la rébellion des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Malmenée par un rejet populaire et une violence structurelle, la paix pourra-t-elle s’imposer ?

 

297 pages, pour 4 ans de négociations sous les auspices de Cuba et de la Norvège, censées mettre un terme à un conflit vieux de 53 ans, le plus long de l’histoire latino-américaine. Une sale guerre qui démarre avec la création en 1964 des FARC et qui provoque 260 000 morts, 45 000 disparus et 7 millions de déplacés. C’est pour mettre un terme à cette interminable guerre que la population était invitée à se prononcer ce 2 octobre 2016. Et pourtant… le NON l’a emporté à une courte majorité (50,23 % pour une participation de 37,28 %) lors du référendum d’approbation de l’accord.

 

Un pays compartimenté et ancré dans la violence

 

Territoire grand comme deux fois la France (1 141 748 km²) au relief accidenté, la Colombie est avec sa population de 48 millions d’habitants le second pays hispanophone du monde après le Mexique et devant l’Espagne. Elle concentre la majorité de ses centres urbains dans les hauts plateaux de la cordillère des Andes, tandis que la forêt amazonienne recouvre une grande partie de l’Est du territoire, vaste territoire échappant en grande partie au contrôle de Bogota et propice au développement de guérillas.

Indépendante en 1819, la « grande Colombie » s’effondre en 1830 avec la sécession du Venezuela et de l’Équateur. Le pays est encore meurtri en 1903 par l’amputation consécutive à « l’indépendance » du Panama encouragée par Washington.

Impossible d’évoquer l’histoire politique de la Colombie en faisant l’impasse sur le rôle prédominant joué par les partis libéral et conservateur, fondés respectivement en 1848 et 1849. Pour expliquer ce clivage, le grand écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez eut cette phrase tirée de son roman 100 ans de solitude : « Les conservateurs vont à la messe de cinq heures, les libéraux vont à l’église à sept heures. » C’est dire si l’opposition des deux partis relève de la guerre entre clans et clientèles : ainsi la guerre des Mille Jours (1899-1902) et « La Violencia » (1948-1957). Dix ans et 300 000 morts plus tard, libéraux et conservateurs s’accordent pour un partage du pouvoir au sein d’un Front national qui dure jusqu’en 1974. C’est dans ce contexte qu’émergent les premières guérillas d’abord d’inspiration libérale puis guévariste. Les années 1960 voient l’essor de l’ELN (ejército de liberacion nacional), du M-19 et surtout des FARC. La concentration des terres entre les mains d’une poignée de grands propriétaires favorise l’éclosion d’un puissant mouvement paysan. Le Parti communiste colombien (PCC) exerce à l’époque une influence importante sur les guérilleros lesquels proclament des « Républiques indépendantes » dans les zones reculées du pays.

 

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Du guévarisme au terrorisme

 

Fondées en 1964 par Manuel Marulanda, Jacobo Arenas et Ciro Trujilo, les FARC « grandissent en silence », et comptent six « fronts (1) » à la fin des années 1960. Elles parviennent à se substituer à l’État dans des zones reculées où celui-ci est absent.

Dans son livre Les Guerres secrètes de Fidel Castro paru en 2003, le diplomate et ancien agent des services secrets cubains Juan F. Benemelis affirme que la contribution de Castro à la formation des FARC a été « décisive». La Havane accorde ainsi des bourses d’étude aux fils de dirigeants des FARC comme ce fut le cas pour ceux de Raul Reyes. Toujours selon Benemelis, l’ancien ambassadeur cubain en poste à Bogota, Fernando Ravelo, était parvenu à obtenir un accord entre les guérilleros du M-19 et du Cartel de Medellin avec d’autres groupes dans le but que ces factions « s’épaulent mutuellement ». Depuis le début des années 1980, Cuba a facilité le transit du trafic de drogue via son espace aérien et maritime, allant jusqu’à fournir aux FARC des équipements militaires transportés par les avions des narcotrafiquants. Si les FARC et les paramilitaires ont participé à l’économie de la drogue, il faut croire que La Havane a su en tirer profit.

La montée en puissance concomitante à l’essor du trafic de drogue et au début des enlèvements contre rançon intervient dans les années 1980. D’origine rurale, ayant fondé leur discours sur la réforme agraire et sur l’accès à la propriété pour tous, les FARC voient dans le trafic de drogue un moyen de se financer. Après la chute du mur de Berlin s’opère une dérive criminelle de concert avec les principaux cartels qui essaiment dans le pays, dont celui de Medellin dirigé par Pablo Escobar.

Au même moment la crise de la dette met à bas les économies latino-américaines, y compris la Colombie, et permet à l’économie de la drogue de s’imposer. La Colombie est alors secouée par le scandale de la campagne d’Ernesto Samper Pizano, candidat à sa réélection comme président en 1994, dont il s’avérera qu’il est financé par les narcotrafiquants (Processo 8000).

 

Flux et reflux des FARC

 

En 1982 se tient la VIIe conférence des FARC. Considérant que la situation lui est favorable, la guérilla décide de doubler le nombre de ses « fronts » (de 24 à 48) en s’implantant sur tout le territoire ; elle se donne huit ans pour prendre le pouvoir. Alors débute une « sale guerre » contre les paramilitaires et l’armée gouvernementale où tous pratiquent la torture, les enlèvements, le vol de bétail, les violences sexuelles contre les femmes, le recrutement d’enfants soldats sous la menace…

Au milieu des années 1990, les guérilleros sont à leur apogée et peuvent mobiliser assez de combattants pour prendre d’assaut des bases militaires de l’armée colombienne. En réponse à l’incapacité de l’armée de contenir la guérilla, Bogota encourage le développement des groupes paramilitaires qui agissent d’abord à l’échelle régionale (Autodéfenses Unies de Cordoba et Uraba fondées en 1994) puis nationale (Autodéfenses Unies de Colombie – AUC – en 1997).

Face au chaos, le président Andrés Pastrana concède en 1998 aux FARC une zone démilitarisée (« zone de détente ») de 42 000 km² en vue de préparer des pourparlers de paix. Les FARC en profitent pour s’organiser sans crainte d’être attaquées. Au début des années 2000, elles disposent de plus de 17 000 combattants déployés sur 60 « fronts » opérant dans tout le pays y compris les banlieues de Bogota et de Medellin. Elles contrôlent 172 municipes sur les 1 090 que compte le pays. En réaction au refus de Bogota de procéder à des échanges de prisonniers, les FARC commencent à pratiquer l’enlèvement de responsables politiques, dont celui de la franco-colombienne Ingrid Betancourt.

L’avant-dernière séquence intervient sous la présidence musclée d’Alvaro Uribe (2002-2010), premier président non issu des deux partis traditionnels, élu sur un programme de guerre et de « sécurité démocratique ». Cette politique martiale finit par porter ses fruits grâce à l’apport budgétaire et logistique conséquent du plan Colombia que lui fournit l’allié américain, mais aussi au déploiement de forces spéciales dans le cadre d’opérations à la limite de la légalité afin de neutraliser les responsables des FARC. À cela s’ajoutent les opérations menées à l’extérieur des frontières nationales, comme en témoigne l’arrestation par les services secrets colombiens de Rodrigo Granda, « ministre des Affaires étrangères » des FARC au Venezuela, en 2004, et le bombardement d’un camp des FARC en Équateur quatre ans plus tard.

Au cours des deux mandats d’Uribe, 8 000 combattants de la guérilla sont tués, de vastes territoires reconquis tandis que les principaux dirigeants des FARC disparaissent progressivement. En 2008 le porte-parole de l’organisation Raul Reyes est tué lors du bombardement en Équateur. La même année le fondateur et leader Manuel Marulanda Vélez meurt (de mort naturelle, selon l’organisation) tandis que l’amenuisement des ressources dû à la perte du contrôle de la production de cocaïne et à la mise en place d’un programme de réinsertion accélère les désertions, provoquant une diminution de moitié du taux d’homicides entre 2002 et 2006.

Le niveau de violence dans le pays pendant les deux mandats du président Uribe reste dramatique. On enregistre près de 20 000 homicides par an entre 2002 et 2006 ; 3 millions de personnes ont été déplacées (selon le rapport de mars 2008 de la Croix-Rouge). À cela s’ajoute 10 000 morts entre 1990 et 2003 dues aux mines posées par les FARC.

 

Crise diplomatique avec le Venezuela

 

Le conflit le plus vif oppose la Colombie et le Venezuela (2 210 km de frontière commune). Remontant à la colonisation espagnole, le litige territorial pour le contrôle de la péninsule de la Guajira et la répartition des eaux territoriales du golfe de Venezuela demeure un abcès de fixation. En août 1987, cette dispute dégénéra en affrontement ouvert lorsqu’une corvette colombienne s’aventura dans les eaux vénézuéliennes.

Les incursions illégales de la part des forces militaires des deux pays exacerbent les tensions. L’ELN qui opère dans les zones frontalières avec le Venezuela attaque en octobre 1995 un poste militaire vénézuélien (8 morts), tandis qu’en avril 1998 est prise d’assaut la ville frontalière colombienne de Ragonvalia. Ces activités des guérilleros vont de pair avec les violations répétées de l’espace aérien colombien par la chasse vénézuélienne. Une nouvelle donne s’installe avec le coup d’État de 2002 qui amène Hugo Chavez au pouvoir à Caracas. Dans la foulée, l’ambassade de Colombie accorde l’asile à Pedro Carmona, le président déchu, au grand dam de Chavez. Le leader vénézuélien entend jouer un rôle de « facilitateur » en proposant une médiation pour permettre les échanges de prisonniers entre les FARC et le gouvernement colombien. En juillet 2010, Caracas rompt brièvement ses relations diplomatiques avec Bogotá en réponse aux accusations proférées par le président Uribe selon lequel le Venezuela abrite sur son sol des guérilleros des FARC et de l’ELN.

La crise diplomatique prend une configuration andine puisqu’en mars 2008 l’armée nationale colombienne attaque un camp des FARC en territoire équatorien, près de la frontière, faisant 19 morts et provoquant une profonde détérioration des relations avec Quito qui rappelle son ambassadeur pour consultation.

 

Vers la paix ?

 

La dernière séquence s’ouvre avec le mandat du président Juan Manuel Santos, ex-ministre de la Défense, qui succède en août 2010 à Uribe. Élu en 2010, réélu en 2014, il active le Plan renacer (« plan renaître ») et engage des négociations de paix fin 2012 et à La Havane et à Oslo. Un cessez-le feu unilatéral proclamé par les insurgés en juillet 2015 fait baisser considérablement la violence. Les négociations sont handicapées par l’opposition de l’ancien président Alvaro Uribe, hostile à l’amnistie prévue pour les combattants rebelles ayant commis des actes « moins graves ». Le texte est rejeté par référendum, mais le pouvoir réussit à faire ratifier par les deux chambres du Parlement une version amendée au terme d’un long débat.

Outre la question du désarmement des quelque 8 000 combattants (dont 40 % de femmes), les deux parties se sont déjà mises d’accord sur la façon de juger les militaires et rebelles accusés des crimes les plus graves dans le cadre de la mise en place d’une justice transitionnelle.

Toujours est-il que la paix avec les FARC ne garantira pas forcément la fin des violences en Colombie. De nombreuses bandes criminelles, dont des gangs issus des groupes paramilitaires, continuent de sévir ; elles sont estimés à plus de 7 000 membres et ont fait savoir qu’elles allaient combattre les FARC jusqu’au bout.

Par ailleurs, les discussions séparées entre les rebelles de l’autre guérilla marxiste, l’Armée de libération nationale (ELN), n’ont pas encore abouti à un résultat tangible. Bogotá a commis l’erreur de considérer l’ELN comme « la petite sœur des FARC » en omettant de négocier simultanément avec elle. Aussi la crainte que d’autres groupes militaires se battent à nouveau pour le contrôle des territoires laissés par les FARC s’avère bien réelle.

Bien que très affaiblis par la perte de leurs ressources et la mort de leurs dirigeants historiques, et minées par des tensions internes, les FARC ont de bonnes raisons de se méfier. Par le passé, des rebelles avaient créé un parti politique officiel, l’Union patriotique, à la suite du cessez-le-feu bilatéral conclu le 28 mars 1984. Après avoir réussi à faire élire 14 sénateurs et 20 députés, les militants et dirigeants de l’UP furent souvent victimes de violence. Bilan estimé : 4 000 morts dont les candidats aux élections présidentielles Jaime Pardo Leal (1987) et Bernardo Jaramillo Ossa (1990).

À moins d’un an de la présidentielle, les chances de garantir une viabilité à l’accord de La Havane apparaissent bien minces, les favoris en lice ayant manifesté leur opposition qu’il s’agisse de la plateforme du Centro democratico de l’ex-président Uribe ou du parti conservateur qui présentera pour les présidentielles l’ex-ministre de la Défense, Marta Lucia Ramirez.

Il faudrait une transformation en profondeur de la société pour que la paix devienne réalité.

 

 

  1. Zones d’opération.
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À propos de l’auteur
Tigrane Yégavian

Tigrane Yégavian

Chercheur au Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), il est titulaire d’un master en politique comparée spécialité Monde Musulman de l’IEP de Paris et d’une licence d’arabe à l’INALCO. Après avoir étudié la question turkmène en Irak et la question des minorités en Syrie et au Liban, il s’est tourné vers le journalisme spécialisé. Il a notamment publié "Arménie à l’ombre de la montagne sacrée", Névicata, 2015, "Missio"n, (coécrit avec Bernard Kinvi), éd. du Cerf, 2019, "Minorités d'Orient les oubliés de l'Histoire", (Le Rocher, 2019) et "Géopolitique de l'Arménie" (Bibliomonde, 2019).

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