« Le pape, combien de divisions ? », aurait dit Staline. Aucune. Mais le Vatican existe toujours, tandis que l’URSS a disparu. Sans rejouer la fable du chêne et du roseau, force est de constater que de grands empires se sont écroulés mais que demeurent dans le monde un certain nombre d’États, petits et peu peuplés, qui sont pourtant parfaitement viables.
Ainsi se pose la question de la place des micro-États dans la géopolitique mondiale. Mènent-ils une stratégie particulière leur permettant de survivre ? Quels aspects de la puissance ont-ils développés ? On pourrait mener une telle analyse en voyant si les théories du « small power » trouvent ici leur dernier seuil d’application.
Une poussière de micro-États
La définition d’un micro-État est elle-même à géométrie variable. On utilise généralement le seuil de 1 000 km² de superficie, ce qui permet de comptabiliser 27 États, ou bien celui des 500 000 habitants, ce qui en donne 31.
La typologie des micro-États est éloquente. En Europe, il s’agit le plus souvent de survivances de situations d’Ancien Régime. Le Vatican est l’héritier des États pontificaux, Andorre est une co-principauté féodale dont ont hérité le roi d’Espagne et le Président de la République française. Monaco et le Liechtenstein sont des survivances du Saint Empire romain germanique. À Saint-Marin, dernière des républiques italiennes d’Ancien Régime, les deux capitaines régents disposent encore d’un page à leur service. Malte est l’ancien territoire souverain d’un ordre de chevalerie issu des croisades.
Ailleurs dans le monde, il s’agit de territoires le plus souvent insulaires, ayant acquis leur indépendance lors de la décolonisation. Ils sont une vingtaine. On en trouve un grand nombre dans l’espace caribéen et dans l’océan Pacifique. Dans certains cas, il s’agit de points stratégiques occupés par une puissance coloniale, comme Singapour pour les Britanniques, dissocié des territoires environnants – elle avait fait partie de la Fédération de Malaisie mais avait été poussée dehors, les Malais craignant le pouvoir économique des Chinois.
A lire aussi : Le Vatican, une puissance différente
Les micro-États se différencient également des micro-nations, qui ne sont pas toutes indépendantes. C’est ainsi que se pose le problème des territoires britanniques dont tous n’ont pas effectivement atteint le stade de l’indépendance (ainsi les îles Anglo-Normandes).
Des spécialisations pointues
La classification mondiale de ces États montre qu’ils connaissent un niveau de vie comparable et même parfois supérieur à celui de la région du monde où ils se trouvent, comme si leur petite taille n’avait pas été un handicap. En effet, les micro-États ont effectué des choix sectoriels qui sont parfois fort bien menés.
La présence d’une ressource naturelle explique souvent ces spécialisations au risque d’une dépendance dangereuse comme le montre l’exemple de Nauru et de ses 10 000 habitants. L’exploitation du phosphate à partir de l’indépendance, en 1968, dope l’économie. En 1974, le PIB par habitant est égal à celui de l’Arabie Saoudite. Mais en 2003, les gisements sont épuisés. 90 % de la population est aujourd’hui au chômage – un record. Saint-Christophe et Nieves, dans les Caraïbes, mise sur le tourisme pour remplacer la canne à sucre et entend développer les industries textile et électronique, à la façon des dragons asiatiques. Parfois, le succès vient de la position géographique associée à une stratégie économique de développement volontariste dont Singapour apporte l’éclatant exemple. La rente de situation est parfois déterminante : être présent sur les grandes routes maritimes prend ici tout son sens. Malte en est un bon exemple en Méditerranée. Quant à Nauru, elle tente aujourd’hui de sauver son économie de façon originale : l’Australie aide cet État insulaire qui, en échange, abrite depuis 2001 sur son sol des migrants que son grand voisin refoule.
A lire aussi : La maritimisation au cœur de la mondialisation
Beaucoup de micro-États ont également très tôt et très massivement misé sur le secteur tertiaire. Le tourisme est un de leurs points forts. Le centre-ville de Saint-Marin est devenu depuis les années 1960 un véritable parc d’attraction médiéval propre à attirer les foules présentes sur les plages de Rimini situées à ses pieds. Mais parfois, ce secteur est sous-exploité, comme à Sainte-Lucie ou à la Dominique, concurrencées par d’autres îles des Caraïbes.
La zone grise de l’économie mondiale
La souveraineté des micro-États leur permet d’adopter un système fiscal propre à capter des ressources et des flux. Ils sont donc des lieux particuliers sur la planète financière. Une baisse des taxes sur certains produits, comme les cigarettes à Andorre, ou encore la libéralisation des jeux de hasard en sont des exemples.
Certains d’entre eux s’affirment comme des lieux clefs de la planète financière de manière plus ou moins légale aux yeux des règles internationales. Douze micro-États sont ainsi considérés comme des pavillons de complaisance par l’ITF. D’autres figurent dans la liste française des paradis fiscaux, spécialisés dans la domiciliation d’entreprises : ils étaient 11 sur les 18 pays de la liste en 2010. Les micro-États européens ont ainsi été soumis depuis 2010 à un grand ménage de la part des institutions européennes et certains comme le Liechtenstein ont dû changer leurs pratiques, avec pour conséquence une fuite des capitaux. Il n’y avait plus que quatre micro-États sur la liste française des paradis fiscaux en 2015 ; il est vrai qu’elle ne compte plus que six pays au total !
Reprenons le cas de Nauru. Elle a survécu en vendant sa voix à l’ONU aux grandes puissances, en servant de terre d’accueil rémunérée au profit de l’Australie qui y transférait les clandestins qu’elle ne voulait pas accueillir, et en accueillant des flux d’argent douteux, largement issus des mafias ainsi que des fonds russes et japonais. L’île devient alors un paradis financier et vend au plus offrant licences bancaires et passeports…
Extrême dépendance, grande liberté
Dans le grand jeu géopolitique, comment se positionnent ces États ?
Beaucoup s’efforcent de surmonter leur dépendance. Le Vatican, se confondant avec le Saint-Siège, y réussit remarquablement et est le seul à bénéficier d’un réseau diplomatique et d’influence planétaire. Toutefois il partage avec les micro-États qui sont des monarchies la possibilité d’une médiatisation mondiale de son chef d’État. Les princes de Monaco en jouent depuis le mariage de Rainier et de Grace Kelly.
Le positionnement dans les organisations internationales est également déterminant. Proportionnellement parlant, les citoyens des îles Tuvalu sont, au monde, les mieux représentés à l’ONU. L’égalité du vote des États à l’assemblée générale donne, de fait, une voix importante aux plus petits. Il en va de même dans les organisations régionales. Toutefois, on note, en Europe par exemple, une certaine réticence à l’adhésion à l’Union européenne. Cela impliquerait de renoncer au levier fiscal essentiel pour leur économie. Et rester en dehors n’empêche pas de bénéficier de la croissance économique de la zone.
D’autres micro-États, au contraire, jouent la carte de l’intégration régionale lorsqu’il s’agit d’accords commerciaux et non d’un projet plus global. C’est le cas dans les Caraïbes. Toutefois, aucun des micro-États océaniens ne fait partie de l’APEC. Certains micro-États sont membres du Commonwealth, dont plusieurs monarchies ont la reine Elizabeth II pour souveraine. Elle règne officiellement ainsi sur 9 micro-États, sans toutefois exercer effectivement le pouvoir dans aucun d’entre eux.
En somme, être petit marque à la fois une grande dépendance et une grande liberté, à condition que les puissances aient un intérêt à cette liberté, ou du moins qu’elles soient indifférentes. Sinon, elles resserrent la bride, telle l’Italie qui empêche toujours Saint-Marin de disposer d’un casino. Cela est manifeste en ce qui concerne la défense et la sécurité. La plupart de ces États, même s’ils disposent d’une force armée, ont, de fait, délégué leur protection à d’autres. Le véritable enjeu pour eux est de savoir si cette protection continuera d’être assurée par les puissances qui l’exercent traditionnellement – États-Unis, anciennes puissances coloniales – ou bien si des recompositions régionales pourront avoir lieu. Pour l’heure, on note une montée en puissance de l’influence australienne sur les micro-États océaniens. Dans les Caraïbes, six micro-États ont adhéré à l’ALBA menée par le Venezuela. L’influence économique états-unienne reste cependant prépondérante.
Ainsi les micro-États pourront être un bon indicateur des effacements ou des émergences de puissances puisqu’ils ne peuvent guère faire d’autre choix pour survivre que d’entretenir de bons rapports avec les puissants d’aujourd’hui et ceux qui pourraient l’être demain.