La guerre s’est profondément transformée à partir de la fin du xviiie siècle en Europe avec l’augmentation très importante de la taille des armées qui peuvent atteindre plusieurs centaines de milliers de soldats, tandis que le développement ininterrompu des armements a conduit à une véritable industrialisation de la guerre des États jusqu’à l’invention de l’arme nucléaire en 1945. L’augmentation exponentielle des effectifs et de la puissance de feu semblent marquer une pause depuis trente ans tandis qu’apparaissaient des guerres hybrides contre des organisations non étatiques.
Après la fin de la féodalité puis des cités italiennes (fin xve – fin xviie siècle), les États-nations s’affirment en Europe sous la férule des rois puis des régimes parlementaires. France, Angleterre, Espagne, Portugal, Russie, Pays-Bas, puis plus tard Allemagne et Italie, s’affirment comme les puissances européennes les plus dynamiques et les plus emblématiques de la forme étatique du pouvoir centralisé et puissant.
Les traités de Westphalie signés le 24 octobre 1648 mettent fin simultanément à la guerre de Trente Ans et celle dite de Quatre-Vingts Ans, qui ont longtemps opposé les Européens. Ces traités vont alors poser les bases de ce qu’on a appelé le « système westphalien », expression utilisée a posteriori pour désigner le système international spécifique mis en place, de façon durable, par ces traités. L’État-nation est la notion clé du droit international. Les États (et non plus les hommes qui les gouvernent) se reconnaissent mutuellement comme légitimes sur leur territoire propre. Chaque État est l’égal de l’autre (et non pas le vassal ou le suzerain), chacun reconnaît l’autre comme souverain sur son territoire. Un équilibre des puissances peut alors naître via le jeu de la diplomatie qui permet des alliances pour éviter la montée d’une superpuissance. Cette conception nous paraît évidente aujourd’hui. Ce fut pourtant une nouvelle conception de la souveraineté qui reste pour l’instant, malgré la mondialisation, une norme juridique moderne fondamentale.
Parmi les auteurs majeurs qui réfléchissent sur ce système, Carl von Clausewitz (1780-1831) est un général et théoricien militaire prussien qui a écrit un traité majeur de stratégie militaire, intitulé De la guerre, publié par sa femme après sa mort. Il est souvent considéré comme le plus grand des théoriciens de la guerre occidentale. Il a été lu aussi bien par les Allemands que par Lénine, Eisenhower, mais aussi Raymond Aron, Henry Kissinger, Colin Powell, ou encore Nelson Mandela. Tous l’ont plus ou moins considéré comme une référence intellectuelle essentielle. On retient le plus souvent cette phrase : « La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. » Or, à son époque, la Révolution française, en mobilisant les masses et en exacerbant la lutte de la liberté contre l’oppression, a d’une certaine manière amené les Européens vers la guerre totale alors que les princes ou les cités médiévales se battaient avec des armées limitées pour des objectifs limités. Clausewitz écrira également : « La guerre est un acte de violence et il n’y a pas de limite à la manifestation de cette violence. »
L’apport fondamental de Clausewitz à la pensée stratégique se situe probablement dans ce qu’il nomme la « trinité » qui réunit le peuple, l’État et l’armée, et puise donc directement dans le système westphalien. Clausewitz fait également émerger le concept de « friction » pour caractériser l’action guerrière dans laquelle quelque chose de pourtant simple n’est jamais facile à réaliser au combat. Cette friction peut cependant être réduite par l’entraînement des troupes et la mise en place des procédures dans les états-majors des armées.
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Vers la guerre totale
La réflexion sur l’action militaire est très féconde à la fin du xviiie siècle dans le sillage du siècle des Lumières. Le mot tactique revient comme « l’art de combiner les moyens militaires, dans une mise en œuvre circonstanciée et locale des plans de la stratégie, tel est l’objet de la tactique[1] ». Le mot vient du grec taktikè (taxis), c’est-à-dire l’art de ranger, et donc d’organiser et de faire manœuvrer les troupes.
C’est un officier français, Paul-Gédéon Joly de Maïzeroy (1719-1780) qui l’a remis au goût du jour en travaillant en 1771 sur les écrits militaires byzantins. Maïzeroy est également l’inventeur du mot stratégie sous une forme modernisée, en tant que science du général, du grec stratos (armée) et agein (conduire). À la même époque, Jacques de Guibert distingue les niveaux de « tactique élémentaire » et de « grande tactique », qui s’apparente plus à la stratégie. L’Allemand Dietrich von Bülow explique que la tactique est la manœuvre sur le champ de bataille au contact de l’ennemi, tandis que la stratégie se rapporte plutôt à l’ensemble des manœuvres préliminaires permettant d’amener dans les meilleures conditions possibles les troupes sur le lieu du combat. Cette acception est celle du xixe siècle, largement reprise par Clausewitz. La tactique peut donc se définir comme un niveau de mise en œuvre de la stratégie. Le tacticien va appliquer sur le terrain ce que le stratège a imaginé sur le papier.
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En Occident, les Grecs macédoniens d’Alexandre le Grand s’organisent en armée disciplinée vers 330 av. J.-C. Ils dominent d’abord les autres cités grecques puis vont jusqu’aux confins de l’Inde. Les soldats à pied sont équipés de sarisses, ces longues lances d’environ six mètres pour un poids d’environ sept kilos. Ce carré de guerriers de 16 colonnes de front sur 16 rangs de profondeur constitue l’unité tactique de base de l’armée macédonienne. Les guerriers sont alignés au coude à coude, se protègent mutuellement, s’encouragent et forment un groupe dont la cohérence tactique est difficile à rompre. Ils ne courent évidemment pas, pour ne pas s’épuiser avant le choc au corps à corps, contrairement aux images du cinéma hollywoodien. Ce carré appelé phalange peut résister facilement à l’ennemi non discipliné et surtout à une charge de cavalerie. Sans étriers, le cavalier vient rarement au contact, ne pouvant sauter très haut ni galoper très vite.
Ce carré d’infanterie constitue le cœur de la tactique occidentale jusqu’à la fin du xixe siècle. Du carré suisse au xve siècle aux Tercios espagnols au xviie, des carrés napoléoniens au début du xixe à ceux des Britanniques durant les guerres coloniales, l’infanterie se forme en carré pour affronter l’ennemi sur le champ de bataille. L’arrivée de l’étrier en Europe vers le ve ou le vie siècle permet certes à la cavalerie (avec d’abord des chevaliers en armure au Moyen Âge puis des cavaliers armés de sabres, de pistolets à un coup ou de carabines courtes) de jouer un rôle plus important sur le champ de bataille, mais l’infanterie reste la « reine des batailles ».
Par ailleurs, l’art de la guerre en Occident accorde une place essentielle à la bataille. Ce qu’on appelle la « bataille par consentement mutuel ». C’est-à-dire au regroupement d’un maximum de combattants au même endroit, au même moment, pour affronter l’ennemi qui a choisi d’accepter le combat. En effet, laisser entrer l’ennemi sur son territoire, c’est exposer son peuple aux terribles agissements qui sont alors le fait des armées en guerre. L’envahisseur peut déporter en esclavage les populations ou détruire les récoltes absolument nécessaires. Le choix est réduit entre la reddition et la bataille rangée.
La levée en masse des soldats à partir de 1793 se fait sur une population de près de 28 millions d’habitants, la France étant alors le pays le plus peuplé d’Europe. Cela permet à la République puis à l’Empire de Napoléon de transformer les armées modernes en les organisant en divisions et en corps d’armée. Elles sont capables de se déplacer rapidement, de se regrouper ou de se séparer aux ordres de quelques généraux. C’est ce qu’on appelle la manœuvre au « niveau opératif », soit un niveau intermédiaire entre la tactique et la stratégie. L’armée française se révèle l’une des meilleures du monde et remporte des victoires spectaculaires pendant vingt ans de 1795 à 1815.
L’invention de la cartouche papier[2] permet de tirer trois à quatre coups par minutes dans un fusil qui porte à 150 mètres et se recharge par le canon. La capacité des armes à feu, et surtout des canons plus légers qui se rechargent de plus en plus vite, permet un engagement même limité contre un ennemi supérieur en nombre. Cette nouvelle capacité permet de diviser les troupes en plusieurs détachements capables de fixer le gros de l’ennemi et de laisser aux unités voisines (à environ un jour de marche) le temps de venir leur prêter main-forte et renverser ainsi le rapport de forces initial. Cette capacité de manœuvre en divisant les troupes (principe divisionnaire) est à la base des bouleversements tactiques que maîtrise particulièrement bien le général Bonaparte. En ce sens, il est un des plus grands chefs de guerre de l’histoire.
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L’apogée du système westphalien
Le système westphalien et clausewitzien atteint son apogée au xixe siècle et surtout dans la première moitié du xxe. Les États s’affrontent aussi bien en Europe qu’en Amérique, mais aussi en Asie et en Afrique avec des moyens et des effectifs jamais atteints dans l’histoire. L’instauration du service militaire obligatoire remplace les petites armées professionnelles dès le temps de paix et surtout en temps de guerre.
La période de 1815 à 1870 est marquée par deux évolutions considérables dans l’armement. La rayure des canons et le chargement par la culasse qui permettent de tirer plus vite et plus loin. Cela se fait progressivement selon les pays et les armées. D’abord durant la guerre de Crimée (1853-1856 avec les Français et les Anglais alliés des Turcs contre les Russes) puis dans celle de Sécession (1861-1865 guerre entre le nord et le sud des États-Unis), les armées commencent à se doter de fusils rayés puis à répétition, provoquant des pertes de plus en plus importantes dans les rangs des carrés d’infanterie ou sur les charges de cavalerie.
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La période d’une quarantaine d’années s’étendant de 1871 à 1914 affiche des progrès considérables dans l’armement, avec l’apparition des armes à tir rapide, des armes automatiques d’infanterie, et surtout de l’artillerie. Les créations du fusil à tir rapide (né de l’invention du système à répétition ainsi que de l’emploi de la poudre sans fumée) et plus tard de la mitrailleuse, première arme automatique, entraînent un accroissement considérable de la puissance de feu de l’infanterie. Les canons tirent plus vite et plus loin des obus fortement chargés en explosifs. C’est la fin du carré d’infanterie et du cheval sur le champ de bataille, organisation qui a dominé le champ de bataille pendant des millénaires.
Durant la guerre de 1914, l’artillerie tire désormais au-delà de la vue directe, sans même apercevoir les objectifs ciblés, et en faisant régler ses tirs par des observateurs très avancés. L’utilisation de la radiophonie avec les avions assure l’appui aérien avancé, domaine dans lequel les Français excellent. On creuse donc des tranchées pour se protéger d’une telle puissance de feu. La tenue même des combattants évolue pour plus de camouflage, de confort et de protection. Pour la première fois depuis longtemps, on équipe les hommes avec un casque. Les bombardements ininterrompus, mais aussi les gaz de combat (finalement très peu utiles) font du champ de bataille un enfer générateur de stress sans égal. La figure du héros semble s’effacer. L’apparition du char de combat blindé est la principale tentative de retrouver de la mobilité pour percer le front. Mais, en attendant qu’il soit techniquement au point, c’est la protection offerte par la tranchée qui s’impose pour offrir au combattant une compensation nécessaire face à la puissance de feu. La mobilisation générale des ressources et des populations permet de former des armées gigantesques, dotées des matériels les plus modernes, et très largement motorisées. Le développement des chemins de fer permet des bascules de forces très rapides d’un secteur à l’autre, voire d’un théâtre d’opérations à l’autre. L’armée française mobilise près de dix millions de soldats en 1917. Les femmes qui remplacent les hommes dans les usines et dans les champs font évoluer la société de manière significative.
Contre toute attente, c’est la transformation de l’infanterie qui rompt avec des siècles d’organisation et de mouvement au combat. La section d’infanterie française de 50 hommes[3] se retrouve partagée en deux demi-sections (appelées groupes de combat) également divisées en deux escouades[4]. Les soldats sont alors largement dotés en grenades et en fusils mitrailleurs. Ce dernier annonce une révolution car, pour la première fois, le combattant dispose enfin d’une arme automatique portable. Il peut ainsi combiner puissance de feu et mobilité. Courage et discipline ne suffisent plus, car il faut savoir manœuvrer, c’est-à-dire se déplacer, et combiner l’usage des différents groupes et des différents moyens. On va alors doter les sergents d’une carte ou d’un vrai croquis d’itinéraire. L’usage de la carte n’est plus l’apanage des états-majors et s’étend aux plus bas niveaux tactiques. L’infanterie moderne est née. Le soldat français qui a commencé la guerre en pantalon rouge garance et en képi mou s’équipe du casque et la tenue « bleu horizon ». Si en 1914, il n’est pas très loin du grenadier de l’Empire, en 1917, il ressemble presque au fantassin d’aujourd’hui. Une rupture historique a lieu.
Le char de combat apparaît comme la solution pour percer les lignes de tranchées. Il est issu à la fois des évolutions permises par la technique du moteur et les progrès des aciers du blindage. Anglais et Français sont les précurseurs de ce nouveau système de combat. C’est réellement à partir de l’été 1918 que les Français peuvent concentrer des formations nombreuses sur des points de rupture. Plus de 2 500 chars Renault FT 17 sont livrés aux armées. Les Français parviennent à l’apogée de l’emploi des chars au profit de l’infanterie, appuyés par l’aviation et l’artillerie. Des centaines de chars participent aux offensives qui mènent à la victoire, notamment en Champagne, jusqu’à la capitulation allemande.
Dans les années 1930, les Allemands réussissent à donner un rôle plus important au char de combat blindé. C’est en effet l’addition du moteur de plus en plus fiable et performant avec le blindage et la radiophonie qui permettent de disposer de formations de combat rapides et puissantes. La cavalerie renaît sous la forme des chars. Les fantassins sont transportés sur le champ de bataille, on dit qu’ils sont mécanisés. La percée, à Sedan, de la ligne de résistance principale française sur la Meuse entre le 10 et le 14 mai 1940, après une audacieuse infiltration des chars allemands appelés panzers à travers le massif des Ardennes, représente peut-être le nec plus ultra du retour du style napoléonien.
L’arrivée de l’aéronef (avion puis hélicoptère après 1945) sur le champ de bataille est souvent perçue comme la révolution tactique majeure du début du xxe siècle. Il faut pourtant la relativiser. Son impact sur les opérations terrestres est important, mais il n’est pas fondamental. Ce n’est pas la supériorité aérienne qui fait gagner la bataille même si elle y contribue fortement. En revanche, des formations aériennes peuvent bombarder des villes et des usines très loin de leurs bases. Plus personne n’est à l’abri, même loin du front.
La Seconde Guerre mondiale amène les pays et leurs armées dans des guerres absolument totales. Les masses d’hommes et d’engins alignés, la puissance navale et aérienne changent la donne. La mobilisation industrielle, en particulier américaine, mais aussi soviétique, permet des productions en série d’avions et de navires à un volume jamais atteint dans l’histoire. Les chefs d’armée sont désormais très proches des décideurs politiques, dont ils sont en fait les plus proches conseillers. Ils délèguent à d’autres le commandement sur le terrain. La complexité logistique, la lutte idéologique et les crimes de masse contre les populations transforment profondément le phénomène guerrier en mettant les civils au cœur des combats. Les luttes titanesques en ville (batailles de Stalingrad, Leningrad, Budapest, Aix-la-Chapelle, etc.) et les mouvements de résistance soulignent ce changement. Les explosions nucléaires sur les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki en août 1945 viennent accentuer cette démesure de la guerre totale entre États et entre peuples.
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La fin du système westphalien. Vers les guerres hybrides
Paradoxalement, la Seconde Guerre mondiale et l’opposition entre les deux blocs ne diminuent pas la conflictualité. Si Soviétiques et Occidentaux s’épient le long du rideau de fer, ils s’abstiennent de s’affronter directement du fait de leur dissuasion mutuelle assurée par leurs arsenaux nucléaires. Mais d’autres protagonistes le font pour eux. À travers les nombreux conflits de l’après-guerre, les guerres de décolonisation, ou les guerres entre partisans de l’un ou de l’autre bloc, la guerre change encore de style.
Si les diverses guerres israélo-arabes entre 1948 et 1982 semblent dans la ligne droite des guerres entre États et entre armées en uniforme, d’autres conflits (Vietnam, Malaisie, Algérie, guerres en Afrique, au Liban, en Afghanistan, etc.) opposent des factions rivales entre elles ou contre des armées régulières. L’État n’est plus forcément l’acteur clé, mais des organisations non étatiques, puissantes et résolues, peuvent en assurer le rôle. En parallèle à cette guerre froide par procuration entre blocs, une nouvelle forme de conflictualité se développe de manière spectaculaire : l’insurrection et son corollaire la contre-insurrection, que l’on pourrait désigner sous le vocable de guérilla (diminutif de guerra pour « petite guerre »). C’est un mot espagnol apparu pour désigner la manière de combattre contre les troupes de Napoléon à partir de 1809. Si le guérillero recherche avant tout la protection par la dissimulation, il pratique le plus souvent l’embuscade et le coup de main sur les convois et les postes isolés. Face à ce défi, les Français (en Indochine puis en Algérie), mais aussi les Britanniques (en Malaisie) puis les Américains (au Vietnam) et ensuite les Portugais (en Angola, au Mozambique ou en Guinée) et les Soviétiques (en Afghanistan) développent des unités à rebours de celles créées entre 1939 et 1945. On privilégie alors les unités d’infanterie légère, très mobiles, qui peuvent facilement quitter les axes de communication. Les unités parachutistes, puis héliportées, vont ainsi accumuler les succès tactiques contre leurs adversaires quand elles arrivent à les accrocher. En l’absence de batailles décisives et face à des guerres sans fin, la faible résolution des opinions publiques américaines ou européennes (et même soviétique) incite les gouvernements à faire la paix et à quitter ces pays.
La guerre froide se termine vraiment quand la Russie ne peut intervenir durant la guerre du Golfe, opposant en 1991 une coalition arabo-occidentale à l’Irak de Saddam Hussein. L’armée américaine effectue alors une véritable démonstration tactique et technologique pulvérisant en quelques jours, presque sans pertes (une centaine de morts côté allié), une armée irakienne pourtant aguerrie par des années de guerre contre l’Iran. L’apparition des munitions de précision (missiles, bombes guidées) associées à des moyens de détection électromagnétiques sans précédent créent à nouveau un décalage militaire sous lequel nous vivons encore aujourd’hui. La précision désormais métrique permet de cibler des objectifs pourtant difficiles d’accès. L’apparition des drones et bientôt sans doute des robots vient compléter ces nouvelles transformations du champ de bataille.
Un retour de la guerre en ville, lieu de nivellement de ces technologies, s’opère toutefois à partir des années 1990. De Grozny (Tchétchénie) en 1995 à Mossoul ou Fallouja (Irak), d’Alep (Syrie) à Marawi (Philippines) aujourd’hui, de grandes batailles en zone urbaine se déroulent, opposant le plus souvent des organisations combattantes à des armées régulières. On assiste paradoxalement à une diminution des effectifs des armées technologiques de type russe ou occidental ; tendance renforcée à la fois par le coût exponentiel des matériels militaires que par une certaine désaffection sociale pour le métier militaire, sans qu’il soit possible de prédire l’évolution de cette tendance.
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Le système westphalien semble alors moins prégnant. Si les guerres interétatiques sont très limitées, des organisations comme Al-Qaïda, les talibans, l’État islamique ou le Hezbollah, mais aussi les cartels de la drogue ou certaines mafias urbaines peuvent défier durablement des armées modernes, les combattant à la fois de manière classique et par d’autres voies moins conventionnelles. Ces guerres sont alors parfois appelées hybrides dans le sens où elles empruntent à la fois à la guérilla, au terrorisme, mais aussi à la technologie. L’État islamique démontre sa capacité entre 2014 et 2018 à affronter les armées régulières syriennes et irakiennes, elles-mêmes pourtant soutenues par leurs alliés russe ou américain. Tandis qu’en Ukraine, des batailles classiques de chars et d’artillerie opposent l’armée ukrainienne aux séparatistes pro-russes soutenus par la Russie.
La guerre, ce « caméléon » selon Clausewitz, change sans cesse d’apparence. Sous l’influence des conditions sociologiques et politiques, elle reste une composante majeure des relations internationales. Façonnée par la technologie des armements et la détermination des chefs de guerre, elle peut prendre des formes inattendues. Nul ne peut prédire quel visage elle aura dans l’avenir.
Et s’il y avait un retour des guerres entre États-nation très puissants, dirigés par des hommes convaincus de leurs intérêts nationaux avec l’utilisation de la menace comme instrument de puissance ?
[1] Tactique théorique, Michel Yakovleff, Éditions Economica, 2006, p. 9.
[2] Parce que la partie de la cartouche qui contient la poudre est en papier et se déchire avec les dents avant de charger le fusil. La balle en plomb (qui est une partie de la cartouche) se glisse alors dans le canon du fusil.
[3] Une section est généralement commandée par un adjudant ou un lieutenant. Plusieurs sections forment une compagnie commandée par un capitaine. Trois ou quatre compagnies forment un bataillon (commandant) et trois ou quatre bataillons forment un régiment (colonel).
[4] La chair et l’acier. L’invention de la guerre moderne (1914-1918), Michel Goya, Tallandier, 2004.