Si le terrorisme est cause de nombreuses victimes humaines, celles architecturales ne sont pas à écarter. A l’instar de la ville syrienne, Palmyre, Tombouctou, joyau du continent africain, en a elle aussi payé les frais.
Le patrimoine de Tombouctou s’est rappelé brutalement au souvenir de l’opinion publique internationale quand la ville est tombée aux mains des rebelles touaregs de l’Azawad descendus du nord du Mali, en avril 2012. Pressés par les groupes djihadistes d’Ansar-Dine et surtout d’AQMI, les nouveaux maîtres de Tombouctou procèdent deux mois plus tard, en juin 2012, à la destruction méthodique des monuments historiques de la cité saharienne. Inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, l’agence des Nations Unies pour la Science, l’Éducation et la Culture, depuis 1988, en raison de ses richesses culturelles (mosquées, mausolées, manuscrits), la « ville aux 333 saints » témoigne de quelle manière le patrimoine peut cristalliser un rapport de forces.
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Tombouctou, un patrimoine religieux issu de l’âge d’or africain
Les traces les plus anciennes que nous ayons de Tombouctou remontent au XIVe siècle. De retour de pèlerinage à La Mecque, le célèbre « empereur » du Mali, Mansa Moussa, y fait construire de nombreuses mosquées et madrasas, celle de Djingareyber (1325-1327) ou encore celle de Sankoré (1325-1433). En 1353, le géographe berbère Ibn Battuta atteint la ville et en fait la description dans sa Rihla, son récit de voyage. Située aux portes du Sahara, Tombouctou se développe à la fois comme un carrefour commercial (sel, or, esclaves) et religieux (25 000 « étudiants » dans ses écoles coraniques au XVe siècle). Les études y prospèrent, stimulées exclusivement par la compréhension et l’interprétation du Coran : le droit, l’astronomie, la grammaire sont tour à tour convoqués dans une perspective religieuse qui recherche la plus grande conformité possible à la loi islamique. Les érudits sont enterrés dans des mausolées, dômes crépis de terre sableuse, dispersés dans les rues de la ville, les cimetières et au sein des grandes mosquées. Ils deviennent progressivement l’objet d’un culte, contraire aux préceptes de la tradition sunnite qui impose de réserver l’adoration au Dieu Un et voit dans ces pratiques une idolâtrie hautement condamnable.
Le patrimoine, un enjeu de pouvoir pour les islamistes
Quand les djihadistes d’Ansar Dine investissent les lieux au printemps 2012, ils ne s’en prennent pas immédiatement aux mausolées. Le groupe compte dans ses recrues de jeunes Touaregs qui partagent ces croyances et pratiquent la vénération des saints depuis leur enfance. Trois raisons le poussent cependant à agir : l’indignation de l’UNESCO qui, en juin 2012, reclasse la ville « patrimoine mondial en péril », ce qui renchérit la valeur de la cible ; les nécessités du recrutement local, qui exige des actes symboliques susceptibles de galvaniser les plus frileux et de créer des vocations. Enfin, contrairement à la destruction des bouddhas de Bamiyan par les Talibans en 2001 ou des vestiges hellénistiques de Palmyre par l’État islamique en 2015, le vandalisme poursuit ici un objectif géopolitique interne au monde musulman : c’est une manière pour l’islam wahhabite, véhiculé par le djihadisme, d’imposer l’orthodoxie sunnite face aux dérives jugées idolâtriques de l’islam confrérique. La puissance évocatrice de ce haut lieu cultuel de l’islam confrérique, augmentée du statut patrimonial offert par l’UNESCO, a fourni aux djihadistes d’AQMI une proie idéale. Chaque coup de pioche contre quatorze des seize mausolées classés, chaque autodafé contre les manuscrits, permettait à la fois d’imposer l’orthodoxie de l’islam wahhabite, importé par AQMI, dans ces régions d’islam hétérodoxe, teinté d’animisme, et de déstabiliser l’Occident sécularisé et pétri d’orgueil patrimonial.
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Reconstruction et justice : le précédent de Tombouctou
L’intervention militaire française de janvier 2013, baptisée Opération Serval, a permis de libérer la ville des djihadistes. La destruction du patrimoine de Tombouctou est jugée par la Cour pénale internationale à La Haye comme « crime de guerre« , ce qui n’avait jamais été fait auparavant. Ahmad Al Mahdi Al Faqi, alias Abou Tourab, ancien chef de la Police islamique des mœurs à Tombouctou qui avait justifié ces attaques dans les médias, est reconnu coupable et condamné à neuf ans de prison. L’UNESCO récolte 4 millions d’euros pour engager la réparation des dégâts commis et confie à une équipe de soixante-douze maçons et trois cents artisans -pétrisseurs de terre, porteurs, tailleurs de pierre et menuisiers – la réfection des monuments entre 2013 et 2015. En juillet 2015, ils sont tous reconstruits.
Le patrimoine malien connaît cependant aujourd’hui encore d’autres menaces. Climatique d’abord, avec la désertification du Sahel, qui progresse d’année en année et expose les mausolées périphériques à l’avancée des dunes. Politique enfin, puisque l’afflux d’aide internationale a provoqué les effets pervers dont l’Afrique subsaharienne est désormais coutumière : les déchets plastiques s’amoncellent autour des cimetières, qui prennent ainsi l’allure de décharges improvisées. Alors que la population locale se faisait traditionnellement un devoir d’entretenir ces lieux, elle en délègue désormais la responsabilité à la communauté internationale, qui a entretemps trouvé d’autres priorités patrimoniales.