<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Christine Lagarde. Au cœur de la tourmente

5 juin 2020

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Christine Lagarde réussira-t-elle à sauver la zone euro durement frappée par la pandémie ? Auteurs : Francisco Seco/AP/SIPA, Numéro de reportage : AP22429510_000010.

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Christine Lagarde. Au cœur de la tourmente

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Ses admirateurs louent son leadership quand ses ennemis la disent « aux ordres ». Propulsée à la tête de la BCE en décembre dernier, la Française est entrée, mi-mars, pour la seconde fois de sa carrière publique, dans la tourmente. Elle est l’une des personnalités clés de l’opération de sauvetage de la zone euro des conséquences de la crise du coronavirus.

 

« Il n’est pas judicieux qu’un manager, au début d’un processus, déclare : voici mon opinion ! » Silhouette longiligne élégante, chevelure blanche, regard bleu délavé, Christine Lagarde est la première femme à diriger la Banque centrale européenne – la BCE. Circonstance aggravante pour le microcosme, la Française aux foulards Hermès, aux attaches normandes (son enfance) et marseillaises (où réside son compagnon, l’homme d’affaires Xavier Giocanti), n’est ni économiste, ni ancienne banquière centrale, comme le furent ses trois prédécesseurs : le Hollandais Wim Duisenberg, le Français Jean-Claude Trichet et l’Italien Mario Draghi, qui a tiré sa révérence fin novembre. Mais l’avocate d’affaires de 64 ans, arrivée sur le tard en politique par l’entremise de Jean-Pierre Raffarin et de l’avocat Jean Veil, ne manque pas d’atouts. À commencer par ce qu’Angela Merkel appelle son « incroyable leadership » – cette capacité à articuler « diplomatie et fermeté » qui, partout où elle est passée, lui a permis de s’imposer, résument ses admirateurs. Exfiltrée de Washington, où Nicolas Sarkozy l’avait bombardée en 2011 à la suite de l’affaire DSK, Christine Lagarde va devoir puiser dans toutes ses ressources : la crise économique, et bientôt probablement financière, déclenchée par l’accélération de la pandémie du coronavirus en Europe à la mi-mars, équivaut au krach de 1929, estime son successeur à Bercy, Bruno Le Maire.

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Le 12 mars, après la Fed américaine et la banque d’Angleterre, l’institution de Francfort sur le Main finit par à réagir à son tour au décrochage brutal et sans précédent des marchés financiers. Mais son plan à 120 milliards d’euros de rachat de dettes publiques et privées, assorti d’une déclaration malencontreuse de sa patronne, déçoivent. En Bourse, la glissade reprend aussitôt. Une semaine plus tard, changement radical de ton. Le 18, la banque dévoile son nouveau plan. Elle met sur la table près de 1 000 milliards d’euros d’aides aux États et aux banques. Face à l’urgence, les dissensions internes se sont provisoirement tues. Ces derniers mois, on disait l’institution déchirée entre les ayatollahs de l’orthodoxie monétaire – surnommés les « faucons » – et le clan des « colombes », partisans de la politique de soutien aux économies, celle qui avait été imposée par Mario Draghi en 2012 pour extraire la zone euro de la récession rampante depuis la crise de 2008. Pour l’heure, ces derniers l’emportent sur la ligne allemande. Mais les discussions sur l’opportunité, ou non, d’aller encore plus loin, en créant des « coronabonds » pour mutualiser la dette des États, indiquent que l’affrontement se poursuit. Christine Lagarde semble avoir choisi son camp : «  Les temps extraordinaires nécessitent une action extraordinaire. »

« L’environnement mondial est de plus en plus incertain », notait de façon prémonitoire la nouvelle patronne de la BCE lors de sa première conférence de presse, le 12 décembre dernier. Question crises, cette grande dame des affaires a le cuir tanné. En 1994, elle dirige le bureau français du cabinet d’avocats d’affaires américain Baker et McKenzie. Les pontes de Chicago l’appellent à la rescousse pour reprendre en main ce réseau mondial de 4 000 collaborateurs (13 000 aujourd’hui) : son image est sérieusement menacée par la révélation d’une série de scandales sexuels internes. En un rien de temps, la Française redresse la barre. Cette fille d’un professeur d’anglais et d’une mère agrégée de lettres classiques, qui a étudié dans une école chic de la côte est des États-Unis, maîtrise la langue de Shakespeare et les codes de la société puritaine anglo-saxonne. Grâce à son nouveau poste, elle se constitue un solide carnet d’adresses chez les patrons américains. C’est son aisance avec eux qui retient l’attention du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, qui la nomme à son Conseil stratégique des entreprises françaises. En 2005, lorsque Dominique de Villepin lui succède à Matignon, il confie à cette novice en politique le portefeuille du Commerce extérieur. Tout en y mettant à profit son réseau international, elle apprend son nouveau métier. Deux ans plus tard, Nicolas Sarkozy lui réserve un strapontin à l’Agriculture. Un mois après, la voilà patronne de Bercy : son titulaire, Jean-Louis Borloo, doit remplacer Alain Juppé à l’Écologie pour cause de défaite aux législatives. En 2008 et en 2009, Christine Lagarde fait partie de la petite équipe qui accompagnera sans faillir Nicolas Sarkozy dans sa remarquable gestion de la crise financière mondiale.

On prête à Stéphane Richard, inspecteur des finances et patron d’Orange, la confidence suivante lorsqu’il pilotait son cabinet à Bercy : « C’est vrai, c’est un peu un ovni. Ce n’est sans doute pas une super technicienne, mais elle apprend très vite. Il faut qu’on veille à sa montée en puissance. » En 2008, lorsque le pétrole se met à flamber, cette ministre qui se refuse à pratiquer la langue de bois est raillée pour avoir avoué son impuissance sous la forme d’une boutade ; interrogée par les médias, elle conseille aux Français… de rouler à vélo. Plus tard, lorsqu’elle sera impliquée dans l’affaire Tapie – c’est elle qui promeut l’arbitrage privé remis en cause par François Hollande, dont les protagonistes ont été condamnés pour corruption au civil, avant d’être relaxés au pénal le 19 juillet 2019 –, elle s’en sort plutôt bien. Fin 2016, la Cour de Justice de la République la juge coupable de « négligence » mais ne lui inflige aucune peine. Il se murmure que la chance sourit souvent à Christine Lagarde. Elle quitte ainsi le FMI quelques mois avant que l’Argentine n’alerte sur l’effondrement probable de son économie. En juillet 2018, l’institution de Washington consentait à Buenos Aires un prêt d’un montant jamais atteint : 52 milliards d’euros. Il y a six mois, justifient ses experts, sa dette était « soutenable ». En 2013, pourtant, l’ancienne patronne du FMI avait fait son mea culpa à propos de la Grèce, victime du même scénario juste avant son arrivée.

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Au regard de l’élite parisienne, le péché originel de Christine Lagarde est d’avoir raté deux fois l’ENA – elle était amoureuse, explique-t-elle. Diplômée en droit et en sciences politiques, elle a donc très vite embrassé une carrière dans le privé. Ce choix lui permet de se familiariser avec les secrets des grands patrons qui gagnent : savoir bien s’entourer, écouter, jouer collectif. Avec l’endurance de la nageuse qu’elle a toujours été, voilà sa grande force. À Francfort, le rôle qui lui est assigné est d’abord politique : faire la tournée des capitales pour tenter de concilier leurs points de vue. En interne, elle s’est contentée de prendre deux décisions. Un : dépoussiérer la communication. « Il faut permettre aux citoyens, aux consommateurs, à des gens qui ne sont pas formés de comprendre à quoi sert la BCE. » Deux : commander une revue stratégique des politiques maison. Le 5 février, à l’occasion de la cérémonie organisée par le quotidien Les Échos pour lui décerner son grand prix de l’Économie, la présidente esquisse sa future feuille de route. Elle entend mettre la BCE au service de l’ambition de ses « actionnaires » d’affirmer l’autonomie européenne dans un monde chamboulé par le retour des États puissance. Pour ce faire, elle souhaite : accroître le rôle international de l’euro comme valeur refuge ; bâtir une offre européenne de paiement de détail par téléphone ou carte bancaire ; élaborer les futurs outils européens pour financer la lutte contre le réchauffement climatique. Commentaire de ses ennemis : « N’étant ni économiste ni banquière, elle fera ce qu’on lui dit de faire. »

À son entretien de recrutement au Parlement européen, un député lui avait demandé : « Seriez-vos prête à tout faire pour sauver l’euro ? » Réponse très politique de celle qui côtoya, petite, Pierre Mendès France et Jacques Delors dans les dîners familiaux organisés au Havre par un père membre du courant socialiste « pré-miterrandien » : « J’espère vraiment ne jamais avoir à dire quelque chose comme ça. » Moins de quatre mois plus tard, elle est au pied du mur. Si nul ne sait encore jusqu’où ira l’appui de la BCE aux États de la zone euro, les experts l’assurent déjà : comme personne ne pourra rembourser cet océan d’argent virtuel, se profile le scénario de la perte de confiance dans l’euro et du retour de l’inflation galopante…

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Mériadec Raffray

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