Objectivité et médias : deux termes que la pandémie du Covid-19 semble opposer. Si la confiance du peuple à l’égard des principaux canaux d’information laisse aujourd’hui à désirer, cette crise d’ampleur mondiale pourrait néanmoins permettre de la refonder.
Comme toute période de crise, celle, sanitaire que nous vivons actuellement, pose avec une acuité particulière la question du rapport que le discours médiatique doit entretenir avec la parole officielle des instances politiques.
C’est une chose de dire que le gouvernement encourage les citoyens à continuer de vivre normalement ; c’en est une autre, en tant que journaliste, de dire aux gens de continuer à vivre normalement. C’est une chose, quelques jours plus tard, de relayer au titre d’information la nécessité du confinement général ; c’en est une autre d’appeler, en tant que journaliste, au respect des règles du confinement. La nuance paraît mince, mais tout est là : le discrédit dont notre classe politique fait les frais s’étend tout naturellement aux médias qui apparaissent comme les complices d’une incompétence et d’une impréparation criminelle aux yeux de la population.
Dans ce contexte, il faut toute l’impudence habituelle des grands médias pour oser critiquer la maîtrise de cette crise dans d’autres pays. Comme d’habitude, une focalisation particulière est opérée sur les grandes puissances suspectes de malignité naturelle que sont la Russie, les États-Unis et la Chine. On critique la « propagande » gouvernementale à l’œuvre dans ces pays sans oser prononcer ce mot à propos des discours officiels qui, en France même, ont dominé durant la période du début de l’épidémie. On ose pointer les « mensonges » d’un Trump sans y assimiler ceux d’une Agnès Buzyn. On blâme le manque d’anticipation des États-Unis alors que l’on s’interdit un retour critique sur l’incurie et le manque de prévoyance de nos autorités, qui ont rendu possible un état de fait où la solution est de confiner par la contrainte tous les citoyens à leur domicile.
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Nos médias portent de sévères jugements sur les récupérations politiques de cette crise sanitaire. En Chine, le discours officiel vante la capacité du pays à venir en aide à l’Europe, oubliant, nous dit-on, l’aide que lui a apportée celle-ci quand, la première, elle subissait cette épidémie. Mais le vrai drame réside-t-il dans l’exploitation interne que le gouvernement chinois fait de cette action de soutien ou dans le fait, autrement plus grave, que l’Europe s’est, au fil des ans, mise en situation de dépendance médicale vis-à-vis de la Chine ? On hurle à la manipulation des chiffres quand il s’avère que la Chine a minimisé le nombre de décès dus au Covid-19 ? Mais les chiffres diffusés par nos médias, reprenant fidèlement les données officielles, n’incluent pas, au moment où j’écris ces lignes, les décès dans les EHPAD, où l’on pressent une hécatombe.
On condamne le retour en force de l’idéologie lorsque les Russes diffusent l’idée que le virus a été créé par des laboratoires américains ou que Donald Trump s’obstine à parler de « virus chinois » : mais nos journalistes ont été les premiers, pour des raisons purement idéologiques, à reprendre à leur compte la rengaine officielle selon laquelle « dans le monde d’aujourd’hui, il est impossible de fermer les frontières ». Or, par définition, si une frontière peut être ouverte, c’est que l’on peut aussi bien la fermer. Et nos médias de constater que les pays qui ont le moins souffert de l’épidémie sont ceux qui ont fermé précocement leurs frontières et qui consacrent, par principe, une grande partie de leur économie à leur système de soins, avec une prévoyance quasi-militaire : des « régimes autoritaires », des pays qui « choisissent le repli » ose-t-on affirmer, à propos de Taïwan, du Japon ou de la Corée du Sud. Notre discours médiatique dévoile ainsi un implicite pré-pensé tout à fait symptomatique : est coupable d’autoritarisme et de repli un pays qui privilégie la santé et la sécurité de ces citoyens, tandis qu’il demeure impossible, à l’heure où j’écris ses lignes, de s’interroger sur le caractère authentiquement démocratique d’un État qui, n’ayant su anticiper une situation d’épidémie (estimant sans doute ce problème d’un autre temps) se voit obligé de violer les libertés et les droits fondamentaux des citoyens pour éviter que le drame ne prenne trop d’ampleur.