Frappée de plein fouet par une épidémie qu’elle n’a ni vu venir, ni même envisagé, l’Europe se trouve dans une situation délicate. Mais notre volonté et notre solidarité peuvent avoir raison de cette crise.
L’onde de choc de la victoire du Japon sur l’empire russe en 1905 fut grande. Pour la première fois, une nation européenne était vaincue par une puissance asiatique. Le choc n’étant pas tant militaire ou politique qu’intellectuel : le débouché de cette guerre obligeait à repenser l’ordre du monde. La défaite est une apocalypse : elle révèle les fissures et les failles que l’on camouflait et que l’on voulait croire inexistante, elle nous plonge, de façon brutale, dans la réalité de ce que nous sommes. 1798 pour l’Égypte, 1898 pour l’Espagne, 1940 pour la France, l’histoire des nations est parcourue de défaites apocalyptiques. Le défi posé est de savoir ce que l’on en fait : l’effacement ou le renouveau ?
L’épidémie de coronavirus est une défaite pour l’Europe. Les pays asiatiques développés ont mieux géré cette crise. Sans confinement, mais avec des masques et des outils technologiques, ils ont limité la propagation et le nombre de morts, sans détruire leur économie. Tirant profit des expériences précédentes de contamination, ils ont su éviter une crise sanitaire et économique majeure. La France se gargarisait d’avoir un système de santé envié par le monde entier. Elle finit avec des milliers de morts, en dépit de taux d’imposition et de dépenses très élevés. L’Union européenne a démontré son impuissance : ce sont les nations qui ont agi. Il sera difficile à cette structure de justifier un pouvoir politique après une telle évaporation de légitimité.
Un défi moral. Le nombre journalier de morts en France, pendant le pic, est sans commune mesure avec les attentats. Aussi dramatique que soit les actes islamistes, ils ont moins tué en vingt ans qu’une journée d’épidémie. Depuis 1945, la France n’avait connu que des crises de l’avoir, avec ce virus, elle a connu une crise de l’être. Les difficultés économiques et le chômage sont pénibles, mais cela demeure mineur par rapport au fait de perdre la vie et de laisser des parents mourir seuls, sans possibilité de les assister. Comme le percevait déjà Thucydide lors de la peste d’Athènes, en période d’épidémie, le danger est d’abandonner la civilité pour revêtir la barbarie. Il est illusoire de croire qu’après cette crise « tout va changer » ou que « rien ne sera plus comme avant ». Pour les nations d’Europe, le défi ne sera pas tant économique que moral. Les guerres mondiales ont été beaucoup plus destructrices que cette épidémie ; aussi dure soit la situation pour les entreprises, on se remet des dégâts matériels, par le travail et l’innovation. Plus difficile en revanche sera de récupérer les libertés fondamentales rognées sous prétexte de guerre sanitaire. Plus difficile aussi sera de comprendre les causes de notre échec sanitaire et politique et de prendre les mesures adéquates pour affronter les prochaines pandémies.
Des motifs d’espérance. Les crises sont l’apocalypse de nos failles, mais révèlent aussi les grandeurs cachées de nos sociétés, autant de motifs d’espérance. C’est grâce à la subsidiarité que le choc a pu être encaissé et surmonté : les nations, les familles, les amitiés, les réseaux associatifs, cette mobilisation a permis de s’occuper des plus faibles et de maintenir l’activité économique. Que ce soit le corps social sanitaire, infirmières, médecins, pompiers, etc. qui a tenu, en dépit de la fatigue et du manque de moyens, le corps social de l’innovation et des entrepreneurs, qui ont modifié les chaines de production pour fabriquer masques, tests et matériel médical, innovant pour trouver de nouveaux produits capables de répondre à l’urgence, ou le corps social de la continuité des activités essentielles : professeurs, boulangers, commerçants, services techniques et informatiques, etc. La société civile a été le ressort principal de la lutte sanitaire. La révélation de cette crise est d’avoir démontré l’importance de son rôle comme pilier essentiel de la puissance. Si l’exemple du cheval de Troie illustre le fait que les civilisations meurent de l’intérieur, c’est aussi en leur sein que se trouve les ressorts de la renaissance et du renouveau.