Entretien avec François Costantini – Le Liban : quel avenir ?

20 avril 2020

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Discours du leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, le 16 février 2020, après la mort de Qasseim Soleimani, Auteurs : Hassan Ammar/AP/SIPA, Numéro de reportage : AP22429266_000005.

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Entretien avec François Costantini – Le Liban : quel avenir ?

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Pays en crise dans une région instable, le Liban n’est plus cet oasis de paix au Proche-Orient où régnait une forme de coexistence pacifique entre les habitants du pays. Entre déstabilisation politique et volonté d’affirmation sur la scène internationale, l’avenir au Pays du Cèdre s’écrit en pointillé.

 

Entretien réalisé par Etienne de Floirac.

 

Quelles sont les causes (lointaines et proches) de la crise qui sévit au Liban depuis octobre 2019 ? Quels impacts cela peut-il avoir sur la stabilité de la région ?

Il faut bien sûr remonter à la guerre des années 1980 pour évoquer les causes profondes de la crise que subit actuellement le Liban, et aux conséquences qui l’ont suivie, la tutelle syrienne du pays pendant 15 ans.

La guerre a provoqué l’exode de plus du tiers de la population chrétienne du pays, qui représentait alors la majeure partie de ses forces vives (investisseurs, ingénieurs, enseignants, banquiers), et imprimait au pays un visage ouvert et pluriel.

La Syrie a mis le pays en coupe réglée pendant 15 ans, prélevant chaque année sur l’économie libanaise plus de 5 milliards de dollars, qui ont servi de bulbe de survie au régime des Assad. La Syrie a installé au pouvoir une classe politique issue des « seigneurs de la guerre » (Joumblatt, Berri…), largement clientéliste et notoirement corrompue. Aoun, en changeant d’alliances pour accéder à la présidence, a contribué à perpétuer ce système.

Aujourd’hui, le peuple libanais paye très chèrement les turpitudes de la classe politique. Le Liban est au bord de l’explosion économique, sociale et politique.

Une explosion du Liban aura des conséquences dramatiques pour la région, car elle creusera davantage les antagonismes communautaires, et, surtout, remettra encore plus en cause la place des chrétiens dans la région.

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Comment s’organise la vie politique libanaise et dans quelle mesure tente-t-elle de prendre en compte l’ensemble de l’échiquier politique ?

La vie politique libanaise s’organise autour de la répartition communautaire des pouvoirs (président de la République maronite, Premier ministre sunnite, président de la chambre chiite), et de la représentation parlementaire, selon le système confessionnel.

Ce système a un avantage majeur : il permet aux chrétiens d’exister dans tous leurs droits, et de ne pas être réduits au rang de « dhimmis » comme l’établit l’islam politique dans l’ensemble des pays de la région. Il permet également que la loi du nombre s’efface devant l’état de droit et l’état des personnes.

Mais il est aujourd’hui dévoyé, notamment parce que la représentation politique musulmane est monochrome, poussant notamment le Hezbollah à dicter sa loi à l’ensemble de la représentation nationale. Le système confessionnel doit perdurer, mais doit être rationalisé. Pour prendre un exemple précis, les recrutements dans la fonction publique devraient se faire par concours, et non plus selon les réseaux clientélistes.

 

Oasis de paix en Orient, le Liban repose sur un équilibre multiconfessionnel. Pourquoi un tel choix et cela est-il, à l’avenir, viable ?

L’équilibre entre chrétienté et islam est la sève du Liban. Mais cet équilibre est fragile. Depuis l’indépendance du Liban en 1943, le camp musulman a toujours cherché à prendre le dessus sur les chrétiens, allant jusqu’à utiliser les masses armées palestiniennes contre eux à partir de 1975. Tout en profitant, bien sûr, des critères de développement du pays dû largement à l’investissement dans tous les domaines des chrétiens…

Le principal problème, aujourd’hui, c’est l’exode des chrétiens, qui continue, voire s’accentue du fait de la crise économique et sociale. À terme, l’équilibre pourrait être remis en cause, sous les coups de boutoir de l’islam politique.

 

Avec quels pays de son voisinage direct, le Liban possède-t-il de bonnes relations diplomatiques ? Quels sont les principaux axes de sa vision géopolitique en matière de coopération internationale et de partenariats ?

Les relations du Liban avec son voisinage sont des plus particulières. La classe politique libanaise se divise quant aux affinités diplomatiques. Les pro-syriens veulent bien sûr une relation toujours étroite avec le régime de Damas.

Mais l’opposition actuelle (Forces libanaises, parti de Saad Hariri) voudrait pour sa part distendre les liens du Liban avec le régime syrien, et extraire le Liban de l’axe iranien qui se développe dans la région et dont le Hezbollah est le suppôt au Liban. Le Liban est traversé par la logique des axes antagonistes dans la région.

Or, la fragilité de son équilibre interne exigerait qu’il fût neutralisé sur le plan diplomatique, qu’il ne soit en aucun cas, avant tout la caisse de résonance des intérêts iraniens et saoudiens dans la région.

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Quelle est la nature des rapports qu’il entretient avec la France, pays qui s’était porté à son secours sous Napoléon III et qui eut, durant l’entre-deux-guerres, un mandat de la Société des Nations sur cette région ?

Les relations privilégiées entre la France et le Liban remontent jusqu’à Saint Louis, qui voyait dans les maronites « une partie de la nation française ». Par le régime du Mandat, la France a porté le Liban vers l’indépendance et la souveraineté.

Cette période du Mandat aura sans doute été une période bénie pour le Liban, où la France a assuré le développement du pays, tout en veillant à instaurer un régime démocratique et équilibré quant à la représentation confessionnelle.

Depuis les années 1970, le rôle de la France au Liban se réduit à soutenir –timidement- une francophonie qui ne cesse de décliner devant la langue de la mondialisation au rabais, l’anglais…

 

Quel est le véritable poids du Hezbollah au Liban ? Dans quelle mesure sa présence a-t-elle des répercussions sur les relations entre Beyrouth et ses voisins chiites (Iran, Irak dans une certaine mesure, Syrie, Yémen) et Israël ?

Aujourd’hui, le poids du Hezbollah est majeur au Liban. À tel point qu’il a mis sous tutelle les institutions régaliennes du pays (armée, forces de sécurité…). Si nombre de Libanais, chrétiens compris, donnent acte au Hezbollah de son combat contre l’islamisme radical sunnite (ses éléments ont reconquis la ville mythique araméenne de Maaloula en Syrie), ils contestent la volonté du parti pro-iranien de mener le pays vers un affrontement avec Israël dont le pays n’a absolument pas besoin.

 

Comment voyez-vous l’avenir de ce pays, alors plongé dans une crise économique de grande ampleur ?

L’avenir du Liban est aujourd’hui compromis par la faillite totale de l’État libanais, incarnée notamment par Michel Aoun qui, il y a 30 ans, avait mené une guerre improbable contre la Syrie puis contre les Forces libanaises, conduisant le pays à 15 ans de tutelle syrienne.

Depuis, pour accéder à la présidence de la République, il a légitimé la stratégie iranienne du Hezbollah sur le plan national. Sans pour autant rehausser les prérogatives des chrétiens.

L’avenir appartient seul au peuple libanais, qui doit réaffirmer son identité fondée sur l’équilibre entre chrétienté et islam, mais aussi sa souveraineté, sa liberté, son modèle économique et social libéral, et sa neutralité à l’égard des conflits régionaux.

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Photo : Discours du leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, le 16 février 2020, après la mort de Qasseim Soleimani, Auteurs : Hassan Ammar/AP/SIPA, Numéro de reportage : AP22429266_000005.

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À propos de l’auteur
François Costantini

François Costantini

Enseignant à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. Auteur de Le Liban. Histoire et destin d’une exception (2017).

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