« Le toit du monde », comme il est appelé, demeure au cœur de nombreuses controverses. Bien que le Tibet ait le statut de « région autonome », il entend recouvrir son indépendance, ce que le Chine pourrait lui octroyer.
Si la Chine veut mener à bien son ambitieuse politique des Nouvelles Route de la Soie, elle devra, est-il communément admis, se réconcilier pleinement avec son environnement régional, et au premier chef avec le vieil empire du Japon, la Thaïlande, la Birmanie et son voisin le plus proche, le Vietnam, dont l’irrédentisme fait aussi partie de son histoire. Mais c’est du Tibet et non du Japon que se présente aujourd’hui l’obstacle le plus sérieux à la réunification régionale malgré l’apparente annexion, parfois brutale, parfois subtile, à laquelle la Chine a procédé depuis plusieurs siècles. Car le Tibet résiste encore : il a même réussi la translation des organes vitaux de sa survie nationale en Inde, où une forme d’autonomie politique lui permet, malgré son insuffisance numérique, de faire jeu égal avec le pouvoir central de Pékin. Révisant les approches manichéennes de la crise tibétaine, Alexandre Adler éclaire ici l’avenir inquiétant de la Chine où le bouddhisme de Lhassa est appelé à jouer un rôle pacificateur. Selon lui, la lecture occidentale du conflit entre le Tibet et la Chine paraît tronquée, incomplète et partisane. Peut-être qu’après tout, au terme de subtiles analyses et au contraire des apparences, l’empire du Milieu avait pour ambition de faire du Royaume des temples un des fers de lance de son développement ? Doit-on s’attendre qu’à rebours de l’histoire, le pouvoir chinois compte sur une restauration du Dalaï-lama ? Telles sont les thèses étonnantes, détonantes, d’Alexandre Adler dont on connaît la grande culture et la subtilité d’esprit qui frisent souvent le paradoxe, voire l’énigme. De l’invasion du Tibet (1950) à la révolte de Lhassa contre Pékin (2008), et relisant un demi-siècle de relations conflictuelles, l’essayiste talentueux annonce dans ce lumineux traité de géopolitique la réconciliation inattendue entre Xi Jinping et Tenzin Gyatso. En fin connaisseur des arcanes de la diplomatie, et après des années d’investigation, Adler s’attaque avec habileté à un des sujets brûlants des relations internationales. Lucide et rigoureux, il nous ouvre les yeux sur le monde de demain.
La Chine, avance Adler, serait sur le point d’accepter de partager sa souveraineté avec l’humble Tibet, sorte de « compromis historique » qui remplacerait la lutte stérile et déterminée des parties du passé, par une coopération permanente. De son côté, le Dalaï-Lama se propose d’accorder sa bénédiction bouddhiste à la Chine, ce qui réconcilierait celle-ci avec des millions d’adeptes. Une telle réconciliation, voire une telle symbiose est-elle possible ? Certes, la Chine s’est largement réconciliée avec un confucianisme éthique, mais est-elle prête, ruse à part, à se lancer avec le Dalaï-Lama dans un tel pacte faustien ? Alexandre Adler veut le croire, plus encore, il en est persuadé. Comme le disait déjà l’écriture biblique, « Vois, je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bien, la mort et le mal ». A l’heure où la Chine a été frappé par la pandémie du coronavirus, qu’elle a apparemment terrassée, ces paroles révèrent un aspect prophétique. Cela ouvre-t-il pour autant la voie d’une réconciliation complète entre la Chine et le Dalaï-Lama ?