Alors que le réchauffement climatique rend progressivement l’Arctique navigable, il semble intéressant de se pencher sur la géographie et les ressources de cet espace inhospitalier. Objet des prétentions de pays nordiques et frontaliers de cette région, l’Arctique s’impose en nouveau pôle de la mondialisation. Un élément qui le rend attractif mais qui n’est pas sans créer de contentieux.
Depuis l’expédition polaire russe de juillet 2007, au cours de laquelle elle a effectué une plongée inédite (à – 4200 m) et spectaculaire dans les profondeurs de l’océan Arctique afin de collecter des preuves supplémentaires permettant d’appuyer ses revendications sur l’extension de son plateau continental et y a planté un drapeau en titane, l’intérêt pour l’Arctique s’est aiguisé. En mars 2009, la Russie a décidé de créer, d’ici à 2020, un groupement de troupes dans l’Arctique, en vue de protéger ses intérêts économiques et politiques dans cette région. L’Arctique, à la faveur du changement climatique, est devenu un sujet géopolitique et géoéconomique, le service géologique américain l’USGS ayant estimé en 2008 que l’on y trouvait 30% des réserves mondiales de gaz et 10 à 12% des réserves de pétrole (conventionnels) non encore découvertes. Même si celles-ci ne seront pas toutes exploitées, ce nouveau domaine reste convoité.
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Le grand mérite de ce livre, auquel ont contribué pas moins de 22 auteurs(es), est d’offrir dans un format relativement réduit, un tour d’horizon des plus complet de cet espace, longtemps laissé à l’écart des regards. Il est difficile de se retrouver dans les différentes définitions de l’Arctique : géographique, région entourant le pôle Nord, à l’intérieur et aux abords du cercle polaire arctique à 66°33 ‘N° où, lors des solstices, il fait jour ou nuit pendant 24 heures. Selon cette définition, l’Arctique représente une surface d’environ 21 027 000 km2. Météorologique, elle serait la ligne de Köppen (comme la courbe isotherme des 10 °C au mois de juillet). Écologiquement, elle est la limite au-delà de laquelle les arbres ne poussent plus (ou toundra), sans compter sur les diverses définitions qui reposent sur des critères humains. Politiquement et socialement, la région arctique inclut les territoires nordiques des huit États arctiques, dont la Laponie, bien qu’en sciences naturelles cette partie soit considérée comme subarctique. Le nom Arctique vient du grec ancien ἄρκτος (árktos) qui signifie ours, en référence aux noms des constellations de la Grande Ourse et de la Petite Ourse, situées près du pôle Nord céleste. On ne trouve les ours polaires que sur la « Terre des Ours » (Arctique), cette espèce n’existant pas en Antarctique. L’Arctique au singulier est souvent compris comme un océan – le plus petit du monde avec ses 14 millions de km² – entouré de continents aux conditions souvent extrêmes. L’océan comprend plusieurs mers, qui s’articulent, ainsi que de nombreux îles et archipels.
Puis sont décrites les mutations environnementales de l’Arctique et les risques induits par les changements climatiques contemporains : perte de glace de la banquise arctique, déclin de l’étendue de la couverture. La banquise se réduit, elle devient aussi plus fine et plus jeune. L’environnement arctique, bien que sensé être plus propre, souffre d’une pollution diffuse et de fortes pollutions localisées qui mettent en danger les personnes vivant près de ces lieux. En effet, du fait des grands courants marins et aériens mondiaux, la région arctique est la destination de nombreux polluants transportés sur de longues distances, et leur concentration dépasse en certains endroits celle que l’on trouve près des villes densément peuplées. L’Arctique se couvre au printemps d’une brume légère qui est attribuée à ces polluants aéroportés. Le fond de l’océan Arctique et les pergélisols libèrent du CO2 et du méthane (à partir de clathrates), un puissant gaz à effet de serre, à un rythme plus élevé que ne le pensaient les experts, ce qui pourrait aggraver le réchauffement climatique. En 2019, les chercheurs constatent la fonte du permafrost des îles arctiques du Canada. Les modèles climatiques établis par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ne prévoyaient pas un tel dégel avant 2090.
On trouvera par ailleurs une description fouillée des régions arctiques en mutation ; l’Arctique américain, la société groenlandaise en devenir, la mer de Barents, qui constitue une interface Europe/Arctique, la Russie, géant de l’Arctique. Pour délimiter ces espaces, parmi les plus reculés du globe, rappelons-en les principales régions et articulations. Au large des côtes norvégiennes et jusqu’au Svalbard, se trouve la mer de Norvège. Plus à l’est, de l’île aux Ours à la Nouvelle-Zemble, (où eurent lieu d’importants essais nucléaires soviétiques jusqu’en 1990) s’étend la mer de Barents, libre de glace dans sa partie occidentale, d’où l’importance de Mourmansk, port militaire (Severomorsk), de pêche, maritime et port d’attache de la flotte des brise-glaces atomiques assurant la libre circulation sur la Voie maritime du Nord. Entre la Carélie, à la frontière russo- finlandaise, et la péninsule de Kola, se situe la petite mer Blanche. Entre la Nouvelle-Zemble et la terre du Nord, on rencontre la mer de Kara, riche de potentiel d’hydrocarbures. À l’est de la terre du Nord, s’étend la mer des Laptev, puis, au-delà des îles de Nouvelle-Sibérie, se trouve la mer de Sibérie orientale. Au large de la région russe de Tchoukotka et au nord du détroit de Béring, se situe la mer des Tchouktches. Au large de l’Alaska et de la province du Yukon (Canada), s’étend la mer de Beaufort. Notons que Shell y a dépensé près de 5 milliards de $ en exploration avant d’interrompre ses opérations. Le passage du Nord-Ouest représente l’ensemble des détroits de l’archipel arctique canadien. Il fait l’objet d’un contentieux juridique, entre les Etats-Unis, pour lesquels s’appliquent le principe de la libre circulation et le Canada, pour lequel il s’agit de ses eaux intérieures. Au sud-est de ce passage, s’étend la baie d’Hudson. Entre la péninsule d’Ungava et l’île de Baffin, se trouve le détroit d’Hudson. Les rives nord-ouest du Groenland baignent la mer de Lincoln. Entre le Groenland et l’île de Baffin, se situent la baie de Baffin (au Nord) et le détroit de Davis (au sud). Au nord de l’Islande, entre l’île Jan Mayen et les côtes orientales du Groenland, s’étend la mer du Groenland. Au nord de la mer de Norvège, se trouve le Svalbard, qui appartient à la Norvège, régi par le Traité de Paris de 1920 qui concède certains droits à la Russie, qui y exploite une mine de charbon et y entretient un centre de recherche aux côtés de centres norvégiens et européens. Plus à l’est, plusieurs archipels s’étendent le long des côtes de Russie et on rencontre tout d’abord la Nouvelle-Zemble et la terre François-Joseph, puis la terre du Nord et les Îles de Nouvelle-Sibérie, enfin l’île Wrangel. Au Canada est situé l’archipel Arctique avec l’île Banks, l’île Victoria et l’île du Prince-de-Galles. Au nord de ces dernières, s’étendent les îles de la Reine-Elizabeth. Parmi elles se trouvent l’île Devon et l’île d’Ellesmere, cette dernière bordant directement l’océan Arctique. Au sud de celle-ci se situe l’île de Baffin, la plus grande des îles canadiennes. De l’autre côté de la mer de Baffin et du détroit de Davis, se trouve la plus massive des îles arctiques, le Groenland, propriété du Danemark. Puis, entre la mer du Groenland et la mer du Nord, on rencontre l’Islande avec ses glaciers et son intense activité volcanique. Enfin, plus au nord, est située l’île Jan Mayen qui abrite le volcan actif émergé le plus septentrional du globe terrestre.
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Les auteurs décrivent aussi les fronts pionniers, les villes et les peuples autochtones. L’Arctique recèle d’importantes ressources naturelles (pétrole, gaz, poisson, crabe de la Kamchatka et même forêts si on compte la région subarctique), accessibles grâce aux technologies modernes et à l’ouverture de la Russie. En 2009, les États-Unis, la Russie, le Danemark, la Finlande, la Norvège et le Canada ont mis en commun leur travail scientifique en géologie de l’Arctique en produisant ainsi la première carte géologique., Le tourisme de masse dans les zones froides et exotiques se développe aussi, dont des croisières, en brise-glace vers le pôle Nord mais c’est à la fois une opportunité et une menace pour cette région.
Les questions de gouvernance, (à qui appartient l’Arctique ?), les droits de peuples autochtones et l’intérêt international croissant de la Chine à Monaco pour l’Arctique, sont examinés en détail, dans une dernière partie qui montre, hélas, que l’Europe y est en retrait. Pourtant, elle a adopté mi-2011 un plan de soutien à une gestion efficace de l’Arctique. Un programme en 28 points émanant du Conseil de l’Arctique, sur la recherche de l’amélioration du sauvetage en Arctique, le développement durable au profit des communautés locales et indigènes et la lutte contre le changement climatique. Ce programme encourage également des transports maritimes plus propres et une exploitation minière plus durable. Le plan encourage aussi un dialogue bilatéral entre Canada, Islande, Norvège, Fédération de Russie et États-Unis et la candidature de l’UE au statut d’observateur permanent au sein du Conseil de l’Arctique, ainsi qu’un dialogue plus régulier avec les organisations indigènes quant aux politiques et programmes de l’UE. En juillet 2012, le Parlement européen et les États membres de l’UE peuvent soumettre leurs observations sur ce programme. En 2018, un accord international historique et juridiquement contraignant est signé par les cinq pays arctiques et les principaux pays qui y pêchent. Il confie aux scientifiques, pour 16 ans au moins, la partie du centre de l’Arctique qui a été « ouverte » par le changement climatique, tout en y interdisant la pêche commerciale. Les signataires sont le Canada, la Norvège, la Russie, le Danemark (Groenland et îles Féroé) et les États-Unis, plus les puissances de pêche que sont l’Islande, le Japon, la Corée du Sud, la Chine, l’Union européenne et le Conseil circumpolaire inuit.