Trop souvent oubliée, l’Asie du Sud-Est est en passe de devenir un pôle majeur du commerce international. Sa position géographique stratégique, entre Inde, Chine et océans Indien et Pacifique, lui confère une place de choix dans la mondialisation. Appartenant à un continent qui s’apprête à supplanter les puissances européennes ou américaines, cette région entend s’affirmer comme hub d’envergure internationale et, plus encore, comme troisième zone économique mondiale d’ici trente ans.
L’Asie du Sud-Est étant au programme de l’agrégation de géographie de 2020, Hérodote, revue de géographie et de géopolitique, y consacre son dernier numéro sur une proposition de Benoît de Tréglodé, politologue qui signe un article sur la « Géostratégie du Vietnam dans les Spratley et les Etats riverains de l’ASEAN », et de Nathalie Fau, géographe, qui analyse en profondeur « Les « Etats transits maritimes » du détroit de Malacca : vers la création d’un hub énergétique transfrontalier », c’est dire la place accordée aux questions maritimes et énergétiques comme aux liaisons régionales et intercontinentales. L’Asie du Sud-Est n’est-elle pas, en ce sens, l’interface entre océans Indien et Pacifique ?
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L’approche géographique et géopolitique est particulièrement adaptée à l’étude de cette région charnière. En effet, pour l’analyser avec acuité, il est indispensable de prendre en compte les caractéristiques géographiques exceptionnelles des dix Etats regroupés dans l’ASEAN. Cette organisation est composée de la Birmanie ou Myanmar, la Thaïlande, la Malaisie, Singapour, le Laos, le Cambodge, le Vietnam, les Philippines, Brunéi, Timor-Est et l’Indonésie. Elle s’étend sur 4 500 000 km2, comprend 650 millions d’habitants (512 millions pour l’UE) et est dotée d’un PIB régional estimé à 2 800 milliards de $ (2583 en France). Elle dispose d’étendues maritimes plus vastes que les terres émergées, elles-mêmes constituées d’une succession de péninsules, de détroits, d’archipels parsemés de milliers d’îles et d’îlots, le tout étant divisé en État péninsule (la Malaisie), en États archipels (les Philippines et l’Indonésie étant les plus grands du monde) ou encore en État insulaire tel Singapour qui est parvenu à étendre sa superficie terrestre de 135 km2 soit 25% de son territoire, exploit assez rare pour être salué, à l’heure où l’on redoute la montée du niveau de la mer. Ses péninsules et ses archipels, entre l’Équateur et le tropique du Cancer, ont en commun la mousson et les épices, dont elles sont de loin le premier producteur mondial.
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Ce vaste espace relève aussi d’une analyse géopolitique singulière car, situé, on l’a dit, entre deux océans, Pacifique et Indien, il joue un rôle central dans la circulation maritime mondiale, tant sur le plan géostratégique qu’économique. 80% des approvisionnement en hydrocarbures du Japon, de la Chine et de la Corée du Nord transitent par les détroits de Malacca, de Lombok ou de La Sonde, où a proliféré la piraterie à laquelle se sont attaquées les pays riverains. Il est important de noter que l’Asie du Sud-Est est d’une extrême diversité : diversité linguistique – cinq familles de langues, comparées à une seule dominante en Europe (à l’exception du finnois, de l’estonien, du hongrois et du basque) –, diversité religieuse – musulmans, chrétiens, bouddhistes (l’Indonésie, avec ses 267 millions d’habitants en 2019, étant le premier Etat musulman du monde). Dans cet espace où les complémentarités, les relations les rivalités sont très anciennes, se déploie une diplomatie du consensus (mufakat) par la « délibération » (musyawarah) qui a fait longtemps obstacle au fonctionnement de l’organisation. La comparaison avec l’Europe s’impose aussi concernant l’omniprésence de l’eau. La plupart des habitants vivent à proximité d’un grand fleuve ou du littoral océanique, d’où des échanges intenses, facteurs de commerce et de civilisation. A l’heure du Covid-19, dont on ne peut encore tirer toutes les conséquences, mais qui pourrait très bien se traduire par un désinvestissement plus ou moins massif de la Chine, il est intéressant de noter que les IDE chinois reçus par l’ASEAN (10,2 milliards de $ soit 7% du total) seront amenés à croître. Il en sera encore plus pour les investissements directs en provenance de l’UE, des Etats-Unis et du Japon, qui se dirigeront vers les pays à bas salaires (Cambodge, Myanmar, Laos) ou dotés d’un marché important (Indonésie). Bien des questions sont abordées dans ce numéro : impact de la BRI, terrorisme islamique, dont la région constitue un second front, problèmes stratégiques. Désireuse de constituer la troisième zone économique mondiale en 2050, l’ASEAN constitue d’ores et déjà un échelon majeur dans le processus de démondialisation et de restauration en cours.