La mise à l’eau du sous-marin nucléaire d’attaque Suffren le 1er août 2019 à Cherbourg a marqué une étape décisive dans le programme Barracuda visant à doter la France de 6 SNA devant remplacer la première génération appartenant à la classe Rubis mise en service à partir de 1983. Celle-ci était issue du projet SNA 72 qui a permis à la marine de se doter d’engins très compacts de 2 385 tonnes pour une longueur de 73,60 mètres. Leur construction s’est étalée entre 1976 et 1993 avec une durée de vie initialement prévue de vingt-cinq ans. Le Saphir, deuxième de cette série, a été désarmé en juillet 2019, après trente-cinq ans de service, démontrant ainsi la robustesse de ces bâtiments, mais aussi la nécessité urgente de les renouveler.
Le programme Barracuda a démarré en 1998 avec la phase de définition, puis à partir de 2002 de la conception. Initialement, le premier engin devait entrer en service en 2010, prenant en compte les retours d’expérience des Rubis. Si ceux-ci ont constitué un vrai succès opérationnel, leur très grande compacité a toutefois montré certaines limites, y compris malgré la refonte Améthyste qui a cependant amélioré leurs performances.
Barracuda a également capitalisé sur les progrès technologiques apportés par les SNLE de deuxième génération de la classe Triomphant les ayant précédés dans la halle Laubeuf de Cherbourg. Les Barracuda aboutissent à un bâtiment plus gros – 4 650 tonnes pour 99,5 mètres – et surtout plus innovants et apportant une très grande polyvalence dans l’emploi, permettant de couvrir les besoins opérationnels jusqu’à l’horizon 2060.
La tête de série, le Suffren, a été commandée en 2006 et la mise sur cale est intervenue le 19 décembre 2007. La construction a connu quelques aléas liés à la complexité du chantier, obligeant à revoir le management du projet et amenant un retard conséquent, nécessitant de prolonger la précédente génération, dont le Rubis, et qui a bénéficié d’une remise à niveau en 2018 pour l’amener en 2021.
Les innovations y sont très nombreuses, avec notamment la poupe équipée de barres de plongée en forme de croix de saint André et une propulsion carénée soigneusement protégée des regards. Tous les équipements internes et en particulier le système d’armes appartiennent aux nouvelles générations basées sur le numérique.
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Innovations technologiques et techniques
Les Barracuda auront quatre tubes de lancement à la proue permettant de mettre en œuvre 20 armes (contre 16 pour les Rubis), dont les missiles de croisière MDCN équipant déjà les Fremm et dont la portée peut atteindre 1 000 kilomètres. Le MDCN va ainsi changer la donne en conférant à ces sous-marins une capacité de frappe dans la profondeur, offrant par là même une option supplémentaire à l’autorité politique dans le cadre de la gestion d’une crise. Une autre nouveauté sera la mise en œuvre de dispositifs spécifiques aux nageurs de combat. Le Suffren pourra déployer dix plongeurs avec tous leurs armements, répondant aux besoins des forces spéciales. À ces outils de combat, il faut rajouter tous les capteurs, dont les mats optroniques permettant le recueil du renseignement.
Le saut qualitatif sera donc très conséquent par rapport aux capacités des Rubis, projetant la sous-marinade française dans une nouvelle dimension, alors même que la menace s’est accrue notamment en Méditerranée et en Atlantique. Le programme Barracuda ici ne se limite pas à la construction des six bâtiments prévus. Il comprend aussi la mise à niveau de tout l’environnement de soutien, en particulier à Toulon où les unités seront stationnées. Ainsi, l’École de navigation sous-marine (ENSM/BPN) a bénéficié d’une profonde rénovation et de la mise en place de simulateurs pour la formation et l’entraînement des équipages Barracuda. Il en a été de même pour les infrastructures avec la restructuration du bassin Missiessy et les équipements environnants, dont les travaux se poursuivront jusqu’en 2028, y compris en prenant en compte le risque sismique de la région toulonnaise.
Début 2020, le Suffren va poursuivre sa montée en puissance puis entamer ses premiers essais à la mer au large de Brest puis à Toulon en vue d’une livraison en 2021. La construction des suivants se déroule de façon nominale, les exemplaires 2 à 5 étant à différentes étapes du chantier et le sixième, le Casabianca, a été commandé en 2019 pour une mise en service prévue en 2030.
Si le début de l’assemblage du Suffren, la tête de série, a été laborieuse, obligeant à des mesures de réorganisation drastiques au sein de Naval Group, le programme a désormais gagné en maturité et ce n’est donc pas un hasard si l’Australie a choisi dès 2016, le Shortfin Barracuda, équipé d’une propulsion de type AIP, pour renouveler sa sous-marinade à partir de 2030 avec 12 bâtiments commandés.
Le Suffren et les SNA suivants vont apporter à la marine nationale une véritable plus-value opérationnelle permettant de répondre aux défis opérationnels des décennies à venir et vont donc constituer un pilier majeur pour la défense de la France et de ses intérêts.