Traditions et coutumes de la Corse

22 mars 2020

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Tour génoise de Porto à Ota. (c) Unsplash

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Traditions et coutumes de la Corse

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La vue de la Corse, que Nietzsche observait depuis la côte du Continent, laissait en lui un sentiment terrible. Il était acquis à la certitude que l’âme des hommes y était plus forte. C’est, nous émettons l’hypothèse, parce que sur cette île, encore de nos jours, la frontière entre le naturel et le surnaturel n’existe pas.

Ainsi, voyager en Corse sans apercevoir une chapelle, une église, ou même les restes d’un temple antique dédié à la puissance des cieux et des dieux est effectivement chose impossible. Le sacré est consubstantiel à l’identité corse, depuis toujours. D’une part, il n’y a pas eu, contrairement au reste du continent, de rupture, pendant l’antiquité, entre le paganisme et le christianisme. Les insulaires ne troquent pas une croyance contre une autre, ils les associent ! D’autre part, l’ile ignorera le « désenchantement du monde » constaté par Weber. En 1788, le poète Schiller disait une « nature ayant perdu son caractère divin ». Il n’en fut rien en Corse. Pasquale Paoli, insulaire des Lumières, dont la renommée dépassait les frontières de l’Europe, évoquait au même moment la politique (le temporel) et la religion (le spirituel) comme « deux sœurs vivant en harmonie » ! Dès lors rien ne contrariera le développement de la religion catholique et des croyances sacrées sur le territoire de Corsica, pour reprendre l’appellation utilisée par les Romains.

Dio vi salvi Regina comme hymne national

Le fait est connu, l’ile qui a pour hymne le « Dio vi salvi Regina », s’est donné pour reine protectrice la Vierge Marie, et pour « fête de la Nation » le 8 décembre (fête de l’Immaculée conception). Tout cela date du XVIIIe siècle, pendant la Révolution corse (1729-1769). Siècle où l’on comptait d’ailleurs, à Rome, plusieurs centaines de prêtres corses, sans parler de la garde du souverain pontife, corse elle aussi jusqu’en 1662.

Plus que cultuelle, la religion est culturelle, elle est le ciment d’une communauté de destin. L’exemple le plus frappant est bien le Dio vi salvi Régina, chanté en toute occasion: rassemblements religieux, politiques, publiques ou privés, heureux ou malheureux.

Dans cette interprétation de la religion, il est vrai que la Vierge tient une place singulière, pour ne pas dire forte. Au XVIIIe siècle, le village de Pancheraccia, dans le Deçà-des-monts (nord de l’ile), a vécu l’histoire extraordinaire de cette petite fille, gratifiée de la visite de la Sainte Vierge. Marie a fait jaillir une source afin de venir en aide à cette enfant qui allait mourir de soif. Dès lors, le lieu est devenu le « Lourdes corse », et les fidèles, innombrables, y viennent puiser l’eau de la source. Non loin de là, le scénario se répète à Campitello, la Vierge y serait apparue dix-sept fois, mais à partir de 1899, toujours à une enfant.

Les traditions du sud de l’île

La ferveur est identique dans le Delà-des-monts (le sud de l’ile). À Sartène, depuis des temps fort reculés, à lieu le Vendredi saint, la fascinante procession du Catenacciu (littéralement « homme enchaîné » – de catena, chaîne en latin).

Un pénitent, tout de rouge vêtu, portant des chaines de dix-sept kilos au pied droit, doit suivre un parcours d’environ deux kilomètres dans la cité médiévale, en portant une imposante croix de chêne de presque trente-deux kilos. Tout comme le Christ, pendant sa Passion, le Pénitent doit chuter trois fois à des endroits bien déterminés. Pourtant ce poids n’est rien par rapport à celui de sa conscience. Le pénitent, dont l’identité est secrète et protégée par une cagoule rouge, accomplit en effet une purification pour se faire pardonner ses péchés. En manière de catharsis. Le départ a lieu vers 21H30 à l’église Sainte-Marie. Elle symbolise le lieu où Pilate devra juger Jésus. C’est au moment de la deuxième chute qu’un pénitent blanc, représentant Simon de Cyrène, interviendra pour l’aider. Une halte devant la statue de la Vierge en deuil, pleurant son fils mort, aura lieu à l’intérieur de l’église Saint-Sébastien, cette église figurant le Golgotha. La foule des chrétiens prie et chante en accompagnant le pénitent.

D’autres processions, comme la Madonuccia à Ajaccio, rythment la vie publique des insulaires.

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C’est d’ailleurs le moment opportun pour évoquer un autre aspect important de cette religiosité corse : les confréries. Il s’agit de sociétés d’hommes laïcs, égaux, influencées par la spiritualité franciscaine. Ils tiennent une place première dans les processions et forment parfois des chœurs polyphoniques. En Corse, comme dans tous les pays latins, la parole est ardente et le sacré s’exprime naturellement par le chant. Il est donc normal que ces polyphonies soient connues dans le monde entier pour les plus célèbres d’entre elles, citons, pour illustrer notre propos, le chœur d’homme de Sartène.

Cette religiosité prend évidemment toute sa dimension dans les périodes de grands périls, pendant les épidémies par exemple, ou le Dio vi salvi Régina est convoqué par les habitants qui allument des bougies aux fenêtres, et les prêtres qui sortent les figures sacrées protectrices, comme U Cristu neru, tout récemment en Haute-Corse. L’histoire veut que dans la nuit du deux mai 1428, des pêcheurs ramenèrent dans leurs filets un crucifix de bois noir qui scintillait à la surface des eaux. Depuis, le Christ noir – également nomme Crucifix des Miracles – donne lieu, le 3 mai, à une cérémonie très suivie à laquelle participent plaisanciers, pêcheurs et confréries, au premier rang desquelles la Confrérie Santa Croce. La procession se rend jusqu’au Vieux-Port de Bastia où se déroule la traditionnelle bénédiction en mer. De retour au quai de la Madunetta, les pêcheurs portent ensuite le crucifix lors d’une procession qui ramène le Cristu Neru jusqu’à l’église perchée au-dessus du port.

Nous le disions, ignorer, en visitant la Corse et son histoire, la dévotion religieuse est chose impossible. Mais plus remarquable, la survivance de pratiques magiques datant de l’ancienne religion, à l’époque du paganisme, au sein de la pratique catholique corse.

La transmission orale des coutumes locales

Des pratiques qui se transmettent uniquement oralement, de génération en génération.

Cette tradition de « magie blanche » semble être incompatible avec le culte catholique et pourtant, ce patrimoine s’est marié voire se confond admirablement avec la catholicité.

Prenons l’exemple des « signadori » qui font usage de leurs incantations secrètes, uniquement pour faire le bien, et surtout sans contrepartie. C’est essentiellement pour briser et chasser le mauvais sort, le mauvais oeil (l’Ochju) qu’on vient les consulter. Il est dit que c’est uniquement pendant la Nuit de la Nativité de l’Enfant Jésus que se transmettent les formules. Ce secret se chuchote à l’oreille de la personne. Tout un rituel, durant cette nuit de Noël, doit être suivi.

Tout comme nous pouvons évoquer les Mazzerri, ces êtres au don terrible, celui d’entrer en contact avec le monde des esprits. La tradition ancestrale dit que dans leur sommeil, les Mazzeri partent en chasse dans le maquis. Pendant cette chasse nocturne, ils tuent le premier animal qu’ils rencontrent. Au moment où ils le retournent, ce n’est pas la face de l’animal qui se révèle, mais le visage de la prochaine personne qui mourra. Ils sont également consultés comme oracle, et disent si les présages sont favorables ou non.

Tantôt acceptés par le clergé, tantôt rejeté, il n’en reste pas moins que ces pratiques témoignent d’un rapport au sacré propre à la Corse.

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Photo : Tour génoise de Porto à Ota. (c) Unsplash

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À propos de l’auteur
Antoine-Baptiste Filippi

Antoine-Baptiste Filippi

Diplômé de SciencesPo Paris et étudiant en droit à la Sorbonne

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