« Maladie de l’islam » selon l’universitaire tunisien récemment décédé Abdelwahab Meddeb, l’islamisme est aujourd’hui sans cesse invoqué dans les débats, les médias, sans que la notion soit clairement définie. Assez paradoxalement, l’impératif du « pas d’amalgame » entre l’Islam et l’islamisme a produit une autre forme d’amalgame, entre les différentes formes d’islamismes cette-fois. Or, quoi de commun entre un prédicateur salafiste, un frère musulman ou encore un guerrier djihadiste ? L’islamisme est une nébuleuse qu’il convient d’explorer.
En première approche, on pourrait, à la suite d’Anne-Clémentine Larroque [simple_tooltip content=’Anne-Clémentine Larroque, Géopolitique des islamismes, Paris, Puf, Que sais-je ?, 2014.’](1)[/simple_tooltip], définir l’islamisme comme une idéologie politique née au xixe siècle en réaction à l’occupation occidentale des pays arabo-musulmans. Toutes les formes d’islamisme ont en commun le projet d’un État islamique où le politique se soumettrait aux principes religieux et où la Charia, le code de loi islamique, inspirerait directement la législation. La plupart de ces mouvements d’ailleurs souhaiteraient restaurer le Califat aboli en 1924 par Mustafa Kemal ; c’est le cas de « Daesh », l’État islamique, qui a annoncé son rétablissement en juin 2014.
L’islamisme n’est toutefois pas un courant uni. Son rameau le plus ancien est le wahhabisme qui est né au xviiie siècle dans la péninsule arabique et qui a été adopté par la dynastie Saoud. Le wahhabisme repose sur une lecture puritaine du Coran et prône un retour aux principes fondateurs de l’islam. Mais il est loin d’avoir été majoritaire dans le monde musulman. En effet, un siècle plus tard, un premier salafisme se développe dans une zone allant de l’Égypte à l’Irak. Parmi ses principaux représentants, l’Égyptien Mohamed Abdhu (1849-1905) cherche à développer un islam moderne, ouvert à l’interprétation. Son objectif est de permettre au monde musulman de répondre au questionnement posé par le monde occidental.
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Ce n’est qu’avec la chute du Califat que l’ensemble des salafistes a tourné le dos aux valeurs modernes, identifiées à l’Occident. Les Frères musulmans, une confrérie égyptienne fondée en 1928 par Hassan Al-Banna en est la meilleure illustration. Mouvement de prédication, les Frères ont gagné les couches populaires en Égypte jusqu’à prendre le pouvoir, courtement, après le mouvement de révolution de 2011.
Une troisième étape est franchie au cours du xxe siècle avec Sayyid Qotb (1906-1966) dont l’enseignement confine le salafisme dans les frontières étroites du wahhabisme. Les idées de Qotb ont influencé l’ensemble des groupes islamistes actuels, Al-Qaida y compris : littéralisme à l’égard des textes, haine des chrétiens et des Juifs, appel au djihad armé, distinction entre « vrais musulmans » et « apostats ».
Le salafisme est ainsi la matrice des trois courants islamistes actuels qui ont peu en commun : le missionnaire, le politique et le violent. Les Frères musulmans se situent à la charnière des mouvances missionnaire et politique, d’autres groupes relèvent clairement de l’islamisme politique : le Hamas dans la bande de Gaza ou encore, dans l’espace chiite, le régime des mollah iraniens. Quant au « salafisme djihadiste », c’est un courant sunnite qui a pris son essor dans le contexte de la guerre d’Afghanistan. Il revendique le retour à un islam « pur » par l’usage de la force et dont les principaux protagonistes sont aujourd’hui Al-Qaida, AQMI, Daesh, Boko Haram.
Si la période que nous vivons est particulièrement déstabilisatrice pour les pays développés, c’est que ce djihadisme armé ne vient plus de l’extérieur ; il est le fait d’éléments intégrés, de convertis parfois, qui mènent une lutte dans leur propre pays, après un détour par l’Orient. Le paradoxe est que si l’islamisme semble avoir échoué comme solution politique – pensons aux révolutions arabes – les islamistes sont là.