<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Riyad et Téhéran. Deux voisins que tout oppose

8 mars 2020

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Des iraniens lors d'une manifestation anti-saoudienne en septembre 2016, Auteurs : MORTEZA NIKOUBAZL/SIPA, Numéro de reportage : 00770943_000017.

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Riyad et Téhéran. Deux voisins que tout oppose

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Alors que les deux grands voisins se livrent une guerre par procuration au Yémen, les Saoudiens sont de plus en plus exaspérés de l’influence grandissante de l’Iran dans son pré carré péninsulaire. De son côté, l’ayatollah Khamenei, guide de la révolution islamique, est allé jusqu’à comparer les bombardements de l’Arabie saoudite au Yémen aux frappes israéliennes contre la bande de Gaza. La tension paraît à son maximum, mais tel n’a pas toujours été le cas.

Voici deux grands producteurs de pétrole et de gaz membres de l’OPEP, deux théocraties antagonistes qui s’opposent violemment à Bahreïn, en Syrie, au Yémen ; deux rivaux qui se partagent l’espace de sens de la communauté des croyants (oumma) au Moyen-Orient et en Afrique. Le premier, majoritairement chiite et persan, est un État-nation solidement enraciné dans l’espace-temps qui se revendique du gouvernement du dogme (le velayat al faqih). Le second, fondé en 1932 et qui porte le nom d’une famille régnante à la légitimité fragile, est le centre névralgique d’un wahhabisme puritain et prosélyte.

 

Les racines d’une rivalité

En l’absence de statistiques, on évalue à environ 15 % la population saoudienne de confession chiite. Marginalisée et perçue par Riyad comme une cinquième colonne agissant pour le compte du grand voisin iranien, elle est concentrée dans la province orientale et stratégique du Hasa qui recèle l’essentiel des ressources pétrolières du royaume. C’est que la plupart des Saoudiens chiites sont d’origine irakienne et portent les stigmates des persécutions causées par l’islam wahhabite de la famille des Saoud. Ces derniers craignent par-dessus tout depuis l’invasion de l’Irak en 2003 de voir cette minorité chiite, avide de reconnaissance, suivre l’exemple de ses coreligionnaires du Bahreïn et se révolter. Cette hostilité à peine voilée s’affiche au grand jour lorsqu’en novembre 2010 les révélations Wikileaks rapportent une violente charge du roi Abdallah d’Arabie saoudite contre l’Iran exhortant les États-Unis à « couper la tête du serpent ».

Alliés tous deux des États-Unis, l’Iran du Shah et l’Arabie saoudite se supportaient difficilement. Déjà sous le règne de la dynastie des Pahlavi, les deux voisins vécurent une grave crise diplomatique lorsqu’en 1943 Abu Taleb Yazdi, un pèlerin iranien, fut incarcéré pour sacrilège pendant plusieurs années. Cependant, en 1968, alors que la puissance coloniale britannique s’apprête à quitter ses places fortes le long des émirats du Golfe, Téhéran et Riyad signent un accord sur la délimitation de leurs frontières maritimes communes. L’heure est à la coopération en vue de sécuriser le détroit d’Ormuz. Puis, malgré une convergence de vues sur la question communiste, l’Arabie saoudite s’inquiète des programmes de modernisation de l’armée iranienne et de l’occupation par cette dernière des îlots de Tumb et d’Abu Mussa officiellement sous souveraineté émiratie [simple_tooltip content=’Quelques jours avant la proclamation de l’indépendance des Émirats arabes unis, le 30 novembre 1971, l’armée iranienne avait envahi et occupé les deux îles Tumb, qui étaient possédées par l’émir de Ras-el-Kheyma, et pris possession de celle d’Abu-Mussa. Il est incontesté que ces îles relevaient, jusqu’en 1887, du cheikh de Lingah (sur la côte iranienne), vassal du shah d’Iran.’](1)[/simple_tooltip] ; Washington qui a toute confiance dans le Shah laisse faire.

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Le choc de la révolution islamique

Les choses s’aggravent lorsque le nouveau régime des mollahs de Téhéran envisage d’exporter la révolution islamique. Les monarchies arabes du Golfe, Arabie saoudite en tête, se dépêchent de soutenir l’effort de guerre irakien afin de contenir les velléités hégémoniques iraniennes. Ainsi, pendant toute la période du conflit (1980-1988), Riyad va débourser plus de 25 milliards de dollars pour financer l’armée irakienne.

C’est en 1987 que la rupture sera consommée entre les deux voisins. Au cours d’un discours, le guide de la révolution Khomeiny s’insurge contre le caractère « hérétique » du wahhabisme, qualifiant de « vils et impies » les Saoud qui se sont unilatéralement octroyé la garde du Haram al-Charif (« les Lieux saints »). Le 31 juillet 1987, un affrontement meurtrier entre pèlerins iraniens et forces saoudiennes fait 402 morts. À Téhéran, des diplomates saoudiens sont agressés, causant la mort d’un employé de l’ambassade. Les Iraniens sont désormais interdits de visa saoudien.

Il faudra attendre 1991 et l’invasion du Koweït pour que Riyad et Téhéran rétablissent leurs relations diplomatiques. Cette normalisation des relations permet également à 115 000 pèlerins iraniens de se rendre à La Mecque (en 1988, le quota de pèlerins iraniens était de 45 000). L’arrivée au pouvoir à Téhéran du réformateur Mohammad Khatami permet aux relations bilatérales de connaître un nouveau souffle. En 1997, se tient à Téhéran le 8e sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI). Il se traduit par un succès médiatique et diplomatique pour l’Iran qui renoue à cette occasion avec l’Égypte et l’Arabie saoudite. En mai 1999, le président Khatami effectue une visite historique en Arabie saoudite, une première depuis la révolution islamique. Dans la foulée, en juillet 1999, le roi Fahd invite les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) à améliorer leurs relations avec l’Iran, au grand dam des Émirats arabes unis qui voient dans ce geste l’abandon de leurs revendications territoriales sur les îlots contestés.

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Le tournant du 11 septembre

Paradoxalement, les attentats du 11 septembre 2001 conduisent Washington à reléguer Téhéran dans « l’axe du mal ». C’est que l’administration néoconservatrice américaine entretient alors des liens privilégiés avec le chef des renseignements saoudiens et ambassadeur à Washington, le prince Bandar ben Sultan. L’Iran, qui constitue un des principaux bailleurs de fonds du Hamas palestinien et du Hezbollah libanais, fait de la rhétorique anti-israélienne, voire antisémite, une arme au service de la délégitimation du leadership régional saoudien. En témoignent les propos du président Ahmadinejad en 2009 pendant la guerre de Gaza, dirigés contre l’Arabie saoudite « complice d’un génocide perpétré contre les Palestiniens ». Parallèlement, le programme nucléaire iranien inquiète particulièrement l’Arabie saoudite.

Aussi les Saoudiens verront-ils dans les sanctions occidentales autour du nucléaire iranien une fenêtre de tir pour faire pression sur son allié américain, allant jusqu’à offrir en 2012 des compensations aux clients de l’Iran pour le pétrole qu’ils ne peuvent plus acheter légalement. En 2014 ils provoquent une baisse des prix du pétrole qui, espèrent-ils, étouffera l’Iran.

Après l’intervention saoudienne à Bahreïn pour soutenir la famille royale sunnite des Khalifa contre la révolte chiite (2011), la question yéménite a créé un nouveau front au sud du royaume. Il s’agit là de la plus vaste opération militaire menée par l’armée saoudienne depuis l’invasion du Koweït de 1990. Si le rôle de l’Iran en soutien des houthis ne peut être nié, il serait exagéré de considérer l’importance stratégique du Yémen comme équivalente à l’axe Irak-Syrie-Hezbollah libanais.

 

Le Yémen, ancienne « Arabie heureuse », demeure tout au plus un efficace levier de pression contre les Saoudiens dont les relations avec l’État islamique demeurent marquées du sceau de l’ambiguïté.

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Photo : Des iraniens lors d'une manifestation anti-saoudienne en septembre 2016, Auteurs : MORTEZA NIKOUBAZL/SIPA, Numéro de reportage : 00770943_000017.

À propos de l’auteur
Tigrane Yégavian

Tigrane Yégavian

Chercheur au Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), il est titulaire d’un master en politique comparée spécialité Monde Musulman de l’IEP de Paris et d’une licence d’arabe à l’INALCO. Après avoir étudié la question turkmène en Irak et la question des minorités en Syrie et au Liban, il s’est tourné vers le journalisme spécialisé. Il a notamment publié "Arménie à l’ombre de la montagne sacrée", Névicata, 2015, "Missio"n, (coécrit avec Bernard Kinvi), éd. du Cerf, 2019, "Minorités d'Orient les oubliés de l'Histoire", (Le Rocher, 2019) et "Géopolitique de l'Arménie" (Bibliomonde, 2019).

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