En 1951, Mossadegh signe le livre d’honneur du hall de l’Indépendance de Philadelphie. Washington célèbre son indépendance, mais n’est pas prête à l’accorder pleinement aux autres. Les Iraniens n’ont toujours pas pardonné.
Né en 1953, Son Excellence Ali Ahani a commencé à travailler au service économique du ministère des Affaires étrangères d’Iran. Il a été nommé ambassadeur en France dès 1988, puis a exercé différentes responsabilités comme vice-ministre des Affaires étrangères, plus particulièrement concerné par l’Union européenne. Il a retrouvé le poste d’ambassadeur à Paris depuis 2012. Sa formation d’économiste donne du poids au conseil qu’il adresse aux entreprises françaises : « C’est le moment ! »
Conflits : Comment jugez-vous l’accord sur le nucléaire établi entre l’Iran et le groupe « 5 + 1 [simple_tooltip content=’Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU plus l’Allemagne.’](1)[/simple_tooltip]» ?
Ali Ahani : Le sujet du nucléaire iranien s’est politisé. Il a servi de prétexte pour justifier ce que je qualifierai d’« iranophobie ». Il faut effacer toutes les inquiétudes qui existent de part et d’autre. Cela contribuera à l’apaisement régional et mondial.
Aussi les négociations ont-elles reposé sur deux principes : donner l’assurance au « 5 + 1 » que notre programme restera pour toujours civil, donner à l’Iran l’assurance que ce programme civil continuera. Bien sûr, cela s’accompagnera de la levée des sanctions illégales prises contre nous.
Conflits : L’Iran a souffert de ces sanctions ?
Ali Ahani : Nous avons pu nous débrouiller malgré elles. Mais cela a provoqué beaucoup de souffrances – les médicaments ou les biens de consommation trop chers… Et puis quelle énergie gaspillée pour contrer et détourner ces sanctions !
Conflits : Quel a été l’effet le plus grave des sanctions ?
Ali Ahani : Le secteur de l’énergie a souffert de l’absence d’investissements étrangers. Cela a affecté notre capacité de production et d’exportation d’hydrocarbures, mais aussi le secteur industriel.
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Conflits : Diriez-vous que Barack Obama est le plus grand président américain depuis 1979 ?
Ali Ahani : Juger le président américain est l’affaire du peuple américain. En ce qui nous concerne, nous avons constaté certaines déclarations et certains gestes positifs, bien que cela n’ait pas changé la politique de l’administration américaine, car elle était soumise à la pression de certains groupes ou de certains lobbies puissants.
Conflits : Qu’est-ce qui l’a amené à modifier son attitude ?
Ali Ahani : Les différentes administrations américaines ont suivi pendant des années le même objectif : la déstabilisation de l’Iran, ce qu’elles appelaient le regime change, jusqu’à Obama. Il a constaté que l’Iran a réussi à garantir sa stabilité et sa sécurité bien mieux que les autres pays du Moyen-Orient. Il a compris que l’Iran est un acteur incontournable de la région et que sa participation est indispensable pour résoudre les problèmes et les crises qu’elle connaît.
Conflits : Ce changement d’attitude américain s’explique-t-il par l’émergence de Daesh ?
Ali Ahani : Le groupe terroriste Daesh se présente comme étant l’État islamisque, mais il n’est ni un État ni islamique. Il a terni l’image de l’islam. Le changement du regard américain, les gestes et les phrases que j’évoquais, datent d’avant l’apparition de Daesh.
Conflits : L’accord sur le nucléaire est critiqué à la fois par les Républicains du Congrès américain, Israël et l’Arabie saoudite. Que pensez-vous de cette convergence ?
Ali Ahani : Chacun suit ses propres intérêts.
L’Arabie saoudite devrait réfléchir à changer sa politique et ses manières, si elle veut jouer le rôle qu’elle mérite. Plutôt que de penser en termes de rivalité avec nous, elle devrait penser à une coopération car nous sommes deux acteurs majeurs du monde islamique.
Les Républicains américains ont mené contre l’Iran une politique hostile. Mais l’accord sur le nucléaire va nous permettre de libérer nos énergies en faveur de la stabilité régionale, ce qui est aussi dans l’intérêt des États-Unis.
Quant au régime israélien, il a ses problèmes internes. Et il ne peut pas continuer sur la voie qu’il suit actuellement. La sensibilité du monde islamique à l’égard de l’opposition de ce régime aux Palestiniens est très forte.
Conflits : Pourtant la solidarité avec les Palestiniens existe en paroles plus que dans les faits.
Ali Ahani : Vous avez raison, le peuple palestinien souffre de la passivité de nombreux gouvernements musulmans. Mais les données vont changer et elles ont déjà changé. On ne peut pas négliger le réveil musulman dans les pays de la région, ni la solidarité des peuples avec les Palestiniens. Et un certain nombre de pays de la région devraient se soucier plus de ce que pense leur opinion publique.
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Conflits : Le réveil musulman que vous évoquez ne se heurte-t-il pas à l’opposition entre chiites et sunnites ?
Ali Ahani : Nous sommes contre cette distinction entre sunnites et chiites. Nous sommes tous musulmans croyant en un seul Dieu, un seul prophète, un seul Coran. Le problème est l’existence d’éléments extrémistes chez les sunnites et chez les chiites. Il faut prendre ses distances avec ces éléments extrémistes et aller dans le sens de la coexistence et de la coopération. D’ailleurs l’Iran réussit à faire coexister la majorité chiite et la minorité sunnite, comme la minorité chrétienne ou juive. Et nous voulons consolider le dialogue et la coopération avec les différents pays sunnites, y compris l’Arabie saoudite.
Conflits : Pourtant elle traite assez mal sa minorité chiite.
Ali Ahani : Nous ne sommes pas indifférents au sort des chiites en Arabie, mais nous nous préoccupons aussi du sort des sunnites de ce pays. Nous croyons qu’il faut aller dans le sens de la démocratie et respecter le principe « un homme, une voix » dans tous les pays.
Conflits : Considérez-vous l’Iran comme une démocratie ?
Ali Ahani : Certainement, mais une démocratie différente de la vôtre car il s’agit d’une démocratie religieuse. Cela peut être difficile à comprendre dans un pays laïc comme la France. Il n’y a pas un seul modèle de démocratie dans le monde. Notre modèle de démocratie est jeune, ayant 36 ans, et il est en train de s’épanouir. Les démocraties occidentales ne sont pas sans défauts. La nôtre non plus, mais si vous comparez à la situation des autres pays du Moyen-Orient, vous constatez la différence. Toutes les instances iraniennes sont élues directement ou indirectement par le peuple. Pensez que chaque ministre doit se présenter devant le Parlement pour recevoir individuellement le vote de confiance. Et cela fait longtemps que le Parlement fixe son ordre du jour chez nous, alors qu’en France il ne peut le faire que depuis 2008, et encore pour la moitié des séances seulement – auparavant, c’était le gouvernement qui le fixait totalement. Tout cela est méconnu en Occident mais montre la réalité de notre démocratie.
Conflits : Le rapprochement avec Washington ne va-t-il pas distendre vos liens avec Moscou et Pékin ?
Ali Ahani : En ce qui concerne la Russie et la Chine, ils ont leurs intérêts, nous avons nos intérêts, la coopération avec eux s’est considérablement développée. C’est tout à fait différent de la relation avec les États-Unis qui est caractérisée par un lourd contentieux qui a généré une méfiance considérable – pensez au coup d’État pour chasser Mossadegh en 1953 auquel a contribué la CIA. Les Américains vont-ils vraiment changer leur attitude à notre égard ? Ce sera un élément déterminant pour l’avenir.
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Conflits : Au moment où les sanctions contre l’Iran devraient disparaître, que dites-vous aux entreprises françaises ?
Ali Ahani : Auparavant les entreprises françaises ont été très présentes et ont conservé une image relativement positive. Mais elles sont aujourd’hui trop prudentes, en particulier pour des raisons bancaires. Les autres entreprises européennes ainsi qu’américaines sont beaucoup plus actives. Elles se préparent pour agir dès la levée des sanctions, elles sont déjà présentes. Que les Français ne perdent pas de temps. C’est le moment !