Ancien agent du KGB soviétique, Vladimir Poutine a gardé ce regard implacable, cette posture impassible et ce ton déterminé. À l’image de leur président, les services secrets russes font l’objet de biens des questions et de nombreux présupposés. Un ouvrage vient de paraître, qui remet de la lumière sur un sujet propice aux préjugés sur la Russie.
Né en URSS, maître de conférences à Lille 3, Andrei Kozovoï a déjà écrit des ouvrages éclairants sur la froide culture soviétique, la chute de l’URSS, la Russie, réformes et dictatures, ce dernier livre étant une édition revue, enrichie et actualisée de l’ouvrage paru en 2010. On connaissait plus ou moins bien le passé : « La main de Moscou », les Cinq de Cambridge, « le coup du parapluie bulgare », le pic à glace de Trotski, l’exécution des Rosenberg, l’empoisonnement d’Alexandre Litvinenko en 2006 à Londres : autant d’affaires brûlantes qui résonnent dans notre inconscient collectif et appellent à une mise au point sur l’histoire du renseignement russe. Mise au point nécessaire, car depuis longtemps déjà, la vie politique, économique et culturelle évoluent en Russie, semble-t-il en symbiose avec l’espionnage.
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Depuis, ce fut l’annexion (ou le retour) de la Crimée, l’ingérence supposée dans les élections américaines, l’empoisonnement de Sergueï Skripal en mars 2018 : les services secrets russes sont bel et bien de retour. Mais, au fond, sont-ils vraiment partis et doit-on forcément s’en étonner ? Henry Kissinger, aussi expert en la matière, n’a-t-il pas dit, en rencontrant Vladimir Poutine pour la première fois, que bien des grands responsables politiques sont passés par les services spéciaux ? Ce fut son cas et celui de George Bush. Dans le cas de la Russie, le tableau apparaît plus coloré, sinon piquant. Aurait-on oublié la chute de Mossadegh, le coup d’Etat de Pinochet au Chili et bien d’autres exactions de la CIA ? Du « parapluie bulgare » au Novitchok, de l’espionnage atomique à la cyberguerre, du KGB au FSB, Andreï Kozovoï brosse une vaste fresque peuplée d’agents aux multiples facettes, comme Anna Chapman, la Matahari russe, qui a dit « Contrairement à ce qui se passe aujourd’hui, la guerre froide du XXe siècle, c’étaient des enfants jouant dans un bac à sable ». Agents qui ont acquis au fil des ans une expérience sans équivalent, mais aussi un considérable pouvoir de nuisance. Piliers du régime, les services secrets (FSB et moins connus, le GRU, les renseignements militaires devenus le GU, précise-t-il) permettront-ils à Vladimir Poutine de maîtriser le monde ou feront-ils le monstre de Frankenstein qui provoquera sa chute ? La réalité, toujours plus complexe, se situe entre ces deux extrêmes. Une histoire souvent sombre, toujours rocambolesque. Une histoire qui se veut totale : l’origine des espions, leur formation et leurs modes opératoires, sans oublier leur impact sur notre imaginaire, y sont racontés. Sans équivalent en français, cet ouvrage donne à l’espionnage russe toute l’épaisseur que mérite ce sujet passionnant, même si l’on ne partagera pas l’image de la Russie de l’auteur, pour lequel, celle -ci « est animée d’un esprit de revanche, la volonté de prouver qu’elle n’a pas perdu la guerre froide, doublé d’un complexe de supériorité, qui pousse les dirigeants russes et leurs agents à lancer des opérations risquant de mettre en péril l’équilibre déjà fragile des relations internationales ».