Entretien avec Jacques Hogard-Kosovo, histoire d’une trahison

3 février 2020

Temps de lecture : 15 minutes

Photo : Eglise orthodoxe à Kosovska Mitrovica au nord du Kosovo, cœur historique et spirituel de la Serbie, Auteurs : Olivier Coret/SIPA, Numéro de reportage : 00911885_000084.

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Entretien avec Jacques Hogard-Kosovo, histoire d’une trahison

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Bombardée durant 78 jours par l’OTAN, la Serbie n’est pas sortie indemne de ce qui reste, dans la mémoire collective, comme la Guerre du Kosovo. Vingt ans après, le Colonel Jacques Hogard revient sur ces évènements qui ont donné un coup à l’identité même de la civilisation européenne et qui marque, encore aujourd’hui, une région historique du vieux continent.

Dans votre ouvrage, vous parlez beaucoup de l’amitié multiséculaire qui existe entre la Serbie et la France. Qu’en est-il véritablement et comment a-t-elle évolué au cours des siècles ?

Je me suis toujours intéressé à l’histoire de la Serbie et des Balkans en général. J’avais pour cela des raisons familiales, car j’ai un grand-oncle qui a été tué en 1917 comme jeune officier sur le Front d’Orient et dont ma grand-mère m’avait beaucoup parlé dans ma jeunesse ; mais aussi pour des raisons personnelles à parti du moment où j’étais susceptible d’y être moi-même engagé. C’est en particulier mon père, officier général en retraite, qui m’a rappelé un certain nombre de choses à la veille de mon départ pour les Balkans en tout début d’année 1999. L’histoire de la Serbie ressemble à une « chanson de geste » tant les Serbes forment un peuple de poètes, de paysans et de soldats. Ils n’ont pas oublié leur passé, contrairement à ce qu’on constate hélas trop souvent en France de nos jours. Ils s’en souviennent et veillent jalousement sur la transmission de leur histoire et de leurs traditions.

En Serbie, on commémore chaque année Hélène d’Anjou qui y est réputée être une cousine de Saint-Louis et qui a épousé le roi Stefán Uroš Ier. Elle est à l’origine, au temps du premier royaume serbe, de ce premier lien très fort entre la France et la Serbie. C’est l’époque où la France bâtit ses cathédrales et la Serbie, de splendides monastères qui couvrent encore aujourd’hui, malgré la folie destructrice des rebelles albanais, la province du Kosovo, cœur spirituel et identitaire du pays. L’histoire de cette amitié prend date à ce moment-là.

Lors de la bataille du « champ des merles » en 1389, les cloches de Notre-Dame de Paris ont sonné à toute volée pour annoncer la victoire des Serbes et de la chevalerie chrétienne au Kosovo. Mais hélas, quarante-huit heures plus tard, elles vont au contraire sonner le glas annonçant la défaite… Tout cela contribue à créer des liens très forts, affectifs, entre la Serbie et la France et qui demeurent très chers aux Serbes, encore aujourd’hui. Ce qui nous vaut, à nous Français, d’être toujours aimés en Serbie malgré les événements récents et les vicissitudes de l’époque contemporaine. Je pense notamment aux années 90, en Bosnie puis au Kosovo, où la France en suivant l’OTAN dans ses aventures guerrières, a contribué à disloquer la Yougoslavie.

 

Cette Yougoslavie moderne et communiste de Tito, qui est née en 1945, était de fait l’héritière du royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes qui était né à l’issue de la Première Guerre mondiale autour de la Serbie, pays qui a donné la dynastie des Karageorgévitch, laquelle est devenue la maison royale yougoslave.

L’amitié franco-serbe a bien sûr connu des parenthèses dans l’Histoire. Elle fut toutefois magnifiée pendant la Première Guerre mondiale avec l’armée d’Orient et des chefs militaires toujours honorés aujourd’hui en Serbie, comme le Maréchal Franchet d’Espèrey, le Général Sarrail, le Général Tranié ou l’Amiral Guépratte. Cette relation s’est développée au XXe siècle, des officiers serbes venant faire l’École de guerre en France, par exemple. Le Général de Gaulle avait lui-même une grande estime et admiration pour le Général Draga Mihailovitch, chef de l’armée royale de la Résistance contre les Allemands lors de la Deuxième Guerre mondiale et qui, trahi par les Alliés a été abandonné à Tito qui l’a assassiné.

Tout cela est l’histoire de notre amitié, parfois tumultueuse.

 

Comment expliquez-vous que dans les années 90, la France soit aussi prompte à attaquer la Serbie ?

Il faut tout distinguer deux attitudes. Celle du Président de la République, François Mitterrand, qui, est au début du conflit, s’adressant à Bernard-Henri Lévy, affirme que « moi vivant, jamais je n’attaquerai la Serbie ». François Mitterrand était en effet un homme cultivé, qui avait été bien formé politiquement dans sa jeunesse et qui restait marqué par l’exaltation de l’amitié franco-serbe. Chirac n’avait pas cette culture ni cette éducation. Il avait eu certes, un bon réflexe en Irak en refusant de se joindre aux Américains pour renverser Saddam Hussein, avec les conséquences que l’on connait, mais là, face à la situation en Yougoslavie, il a au contraire commis la lourde erreur de se joindre à la coalition américaine. À sa décharge, il faut rappeler que l’on était alors en période de cohabitation et que son Premier ministre, Lionel Jospin appartenait à ce groupe des sociaux-démocrates alors au pouvoir dans la quasi-totalité des pays d’Europe, qui unanimement voulaient la guerre et le démantèlement de la Yougoslavie.

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Il semble qu’un double-jeu ait été joué par l’Allemagne ?

Non, je ne pense pas que l’Allemagne ait joué un double-jeu dans cette affaire, au contraire il me semble qu’elle a été cohérente avec elle-même. Je dirai plutôt que c’est nous les Français qui avons joué un double-jeu. Les Allemands ont toujours été pro-croates, pro-slovènes éventuellement, mais surtout anti-serbes. Ils ont joué leur propre partition dans cette entreprise de démolition de la Yougoslavie en soutenant l’indépendance autoproclamée de la Slovénie puis surtout, de la Croatie. C’est ainsi qu’il y eut cette guerre aussi atroce qu’imbécile entre la Croatie et la Yougoslavie, c’est-à-dire la Serbie, avec toutes ses conséquences dramatiques. Tel l’épisode de la République serbe de Krajina qui, a contrario de son homologue de Bosnie, n’a pas survécu à ces événements. Il y a eu des drames épouvantables, car ce sont des centaines de milliers de gens qui se sont retrouvés projetés sur les routes, sous les bombardements, provoquant de nombreuses pertes humaines, dans des conditions tragiques.

 

Quelle est l’attitude des Serbes vis-à-vis de la France qui a fait partie intégrante de la coalition engagée au Kosovo ?

La France s’est alors alignée derrière l’OTAN et l’Union européenne, ce qui, pour les Serbes, a été ressenti comme une trahison. Et malgré cela, les Serbes ne nous en veulent pas. Je prends l’exemple symbolique du monument à l’amitié franco-serbe élevé à Belgrade, entre les deux guerres mondiales, dans ce magnifique parc du Kalemegdan qui entoure la citadelle. Il vient, d’ailleurs, d’être refait à neuf, et ce, grâce à une souscription franco-serbe. En 1999, il avait été voilé d’un drap noir pendant les bombardements de Belgrade, tant les Serbes étaient ulcérés de la trahison française. Ils l’ont voilé, mais ne l’ont pas détruit. Puis il a été dégradé avec des inscriptions anti-françaises lors des dernières prises de position de la France à propos du Kosovo. Mais jamais détruit. En juillet dernier, c’est là qu’Emmanuel Macron lors de son voyage officiel en Serbie prononça son fameux discours en partie en serbe. C’est paradoxal, mais les Serbes ne nous en veulent pas. C’est un peu « irrationnel », c’est vrai. Dans un ménage aux fondations solides, vous pouvez avoir de graves disputes, mais l’amour prédomine toujours. C’est un peu ce qu’il se passe entre la France et la Serbie.

 

Pourquoi, en 1999, l’OTAN bombarde soudainement le Kosovo ? Y a-t-il un événement déclencheur à cette attaque ?

Le Kosovo est la suite logique de la Bosnie hélas. Il fallait aller jusqu’au bout de l’opération décidée à Washington et à Berlin de démanteler la Yougoslavie, et d’affaiblir davantage encore la Serbie qui en était le pilier principal. Le meilleur moyen d’y parvenir était de l’amputer de sa province du sud qui en est le cœur spirituel, culturel et identitaire : le Kosovo. Cette province a connu au XXe siècle une évolution démographique qui a fait passer la majorité serbe au rang de minorité, et la minorité albanaise de minorités à une position de plus en plus majoritaire. Les familles serbes autrefois nombreuses, voire très nombreuses, sont devenues très rares, tandis que la population albanaise à majorité musulmane et polygame s’est développée, renforcée par les mouvements de population albanaise d’Albanie vers le Kosovo, tandis que s’installait une véritable épuration ethnique des Serbes, d’abord progressive puis brutale à partir de 1999. Cette seule constatation devrait nous faire réfléchir, nous Français, car nous sommes confrontés exactement à la même menace existentielle.

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Vous pensez donc que ce qu’il s’est passé au Kosovo peut prendre la même ampleur en France ? 

Si l’on ne fait rien, la population d’origine étrangère et musulmane en France sera majoritaire dans les années 2050/60. Ce n’est pas moi qui le prétend, ce sont les démographes et les organismes spécialisés qui nous le disent et nous l’expliquent ! C’est au fond cela le véritable problème du Kosovo. Il a pris d’autant plus d’ampleur que la communauté internationale s’en est saisie sous l’impulsion de l’administration Clinton et de Madeleine Albright.

Les États-Unis, et leur bras armé qu’est l’OTAN décident d’en finir avec cette question à l’automne 1998. Les soi-disant négociations de Rambouillet de mars 1999 n’ont pas d’autre objet que d’amener la Serbie à claquer la porte tant les conditions qui lui sont imposées sont inacceptables. Elles échouent logiquement. Et puis, c’est la guerre et les bombardements. L’UE suit servilement, ce qui va exactement dans le sens de ce qu’a proclamé récemment Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’OTAN : « l’Union européenne et l’OTAN sont les deux faces d’une même pièce ». On voit bien que l’Union européenne ne possède aucune indépendance vis-à-vis des États-Unis, car l’OTAN en fait un jouet sont ils disposent aisément, selon leurs propres intérêts.

 

L’OTAN a-t-elle réussi à investir la péninsule balkanique ?

S’agissant de la continuité sans interruption de l’action de l’OTAN contre la Serbie, il faut citer également le cas actuel du Monténégro, qui est un État historiquement serbe, composé toujours aujourd’hui de 70% de Serbes. Mais en 2006, les États-Unis et l’OTAN ont réussi à le séparer de la Serbie. De ce fait, la République fédérale de Yougoslavie, qui était alors réduite à la Serbie et au Monténégro, a volé en éclats. Djukanović, le président actuel du Monténégro, est véritablement sous influence de l’OTAN et de l’Union européenne, au point de persécuter maintenant l’Église Orthodoxe serbe. En effet, sa nouvelle loi sur la « liberté religieuse », qui est analogue à celle de 1905 en France, entraîne une spoliation des biens de l’Église orthodoxe, mais entend surtout éradiquer la foi orthodoxe serbe, pilier de l’identité monténégrine et de l’unité des peuples serbes. Samo Sloga Serbina Spasava !

 

Pour revenir sur la question du Kosovo, comment avez-vous pu constater que cette région constituait véritablement le socle spirituel de la Serbie ?

C’est très simple : le Kosovo est recouvert d’un manteau de monastères très anciens, d’églises, de chapelles qui constituent ce que l’on peut appeler le patrimoine culturel et spirituel chrétien du peuple serbe. Au « Champ des Merles », la bataille de Kosovo Polje en 1389 a eu lieu à proximité de Pristina, au cœur de la Province. Les plus vieilles dynasties serbes, tels les Nemanjic, mêlant souverains et saints Serbes, je pense en particulier à Saint Sava, père de l’Église et de la Nation serbe, y ont vécu, régné et prié. Le Patriarcat orthodoxe serbe a son siège à Pec, en plein Kosovo.

L’action de la rébellion albanaise, l’UCK, a visé à chasser les Serbes par la terreur et l’épuration ethnique et à faire du passé table rase en détruisant les monastères, les églises, en persécutant les religieux et religieuses. En 1995, l’UCK est encore une organisation désignée comme terroriste par les États-Unis ! Ce mouvement rebelle s’oppose alors à la relativement modérée « ligue démocratique du Kosovo » albanaise, dirigée par Ibrahim Rugova qui prône la non-violence et la discussion avec Belgrade. Mais les Américains, les Allemands, l’UE préfèrent en définitive l’UCK qui va être soutenue financièrement et matériellement par eux dès 1996. Cela débouche logiquement sur l’insurrection armée.

À ce propos, je viens de voir un très bon film, Balkan Line, qui donne une idée juste et fidèle de cette époque et du comportement de l’UCK. Nous sommes sur une ligne d’affrontement très ancienne, et il faut bien sûr se garder de tout manichéisme : personne ne fait plus la guerre en dentelles ! Mais les Serbes sont chez eux, c’est leur terre, celle de leurs ancêtres, c’est leur berceau historique et une fois encore spirituel. Peuple très attaché à sa Foi, il ne pourra jamais renoncer au Kosovo et à son patrimoine orthodoxe et serbe.

 

Vous terminez votre ouvrage par ces mots, qui reprennent votre titre, « Une Europe, du moins une certaine Europe, est morte à Pristina ». Comment analysez-vous cette ultime sentence ?

Pourquoi ce titre, volontairement un peu provocateur ? Il m’est venu spontanément lorsque j’ai entendu ce personnage néfaste et maléfique qu’est Bernard Kouchner, dire en prenant ses fonctions de gouverneur nommé par l’OTAN et l’UE à Pristina : « L’Europe est née à Pristina » ! Cela m’a fait sursauter et m’a tellement indigné que je me suis dit que non, bien sûr : l’Europe était morte à Pristina. Lui voulait parler de l’UE, mais l’Europe est celle de la chrétienté et des nations souveraines, indépendantes et sœurs. L’Europe est toujours là, peut-être fatiguée et vieillie, mais elle existe. Quand nous allons aujourd’hui au Mont-Saint-Michel, au Barroux, ou bien à Budapest, au monastère de Decani au Kosovo, ou encore au mont Athos, à Moscou ou à Athènes, nous nous apercevons que l’Europe chrétienne n’a pas disparu. Ce n’est pas de cette Europe-là dont je parlais bien sûr quand je disais qu’elle était morte à Pristina, mais bien de l’UE. C’est véritablement le « machin » européen qui est tombé à Pristina ! Le président Macron a dit que l’OTAN était en « état de mort cérébrale ». Et bien comme il s’agit là d’une des deux faces de cette même pièce dont l’autre face est l’Union européenne, nous pouvons penser la même chose de cette dernière ! En ce qui me concerne, j’ai écrit qu’elle était morte, tout simplement par indignité tant elle a failli dans l’affaire yougoslave, et ce, de manière terrible.

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La résolution 1244 des Nations Unies est-elle toujours effective ?

Elle n’a jamais été dénoncée et dans le contexte de 1999, elle stipulait qu’il fallait mettre en place une administration internationale temporaire au Kosovo pour stabiliser le conflit, désarmer l’UCK et mettre un dispositif de protection international qui n’avait pas vocation à durer. Il n’était évidemment pas question « d’indépendance ». Cela évoque donc bien une situation temporaire, c’est-à-dire qu’à un moment donné, la Serbie devait reprendre sa pleine et entière souveraineté sur le Kosovo.

Cette résolution 1244 existe, mais n’est pas appliquée et je dirais même qu’elle est bafouée par l’Union européenne, l’OTAN et la France. Le Président Poutine, lors de son voyage en Serbie en janvier 2019, a rappelé que cette Résolution était toujours en vigueur. Il s’est ainsi étonné de ne pas voir l’armée, la police et la gendarmerie serbe déployées au Kosovo, réflexion qui soit dit en passant, permet de penser que ce qui s’est produit il y a vingt ans au Kosovo ne se passerait pas aujourd’hui, avec le retour sur la scène internationale de la Russie, grande puissance restaurée, avec laquelle il faut désormais compter.

Dans le contexte actuel, le droit international semble n’être qu’une chimère, dont les États-Unis d’Amérique se fichent éperdument comme ils viennent encore de le montrer en assassinant sur le sol irakien le général iranien Qassem Suleimani !

C’est à l’ONU de redorer son blason et de se faire respecter. En commençant par faire respecter l’esprit et la lettre de ses résolutions et notamment le Résolution 1244 !

 

Pourquoi la Russie ne souhaite pas reconnaître le Kosovo ? Y a-t-il des intérêts stratégiques, économiques et politiques derrière ce choix ?

Il y a d’abord des raisons de principe. La Russie, comme la Chine d’ailleurs, est attachée aux principes de respect du Droit international. Mais la position de la Russie et de la Chine n’est cependant pas soumise aux mêmes enjeux.

La Russie éprouve une authentique solidarité slave et orthodoxe avec la Serbie. On peut constater aujourd’hui le retour du religieux aussi bien en Serbie qu’en Russie. Depuis 2012, l’administration serbe au pouvoir s’est posé la question de savoir de quel côté il fallait basculer : Europe de l’Ouest ou Russie ? Je pense qu’aujourd’hui, leur choix est quasiment entériné : se rapprocher régulièrement de l’Europe de l’Ouest, mais certainement pas au détriment du rapprochement frère avec la Russie, dont le prestige et le rayonnement, notamment au Moyen-Orient et en Afrique sont de retour.

 

La Chine refuse, elle aussi, d’approuver l’indépendance du Kosovo

La Chine entretient aussi des liens importants avec la Serbie. L’ancien président Nikolić (2012-2017) est d’ailleurs le président de l’Alliance sino-serbe, organisme qui régit les rapports culturels d’État et les rapports économiques entre la Chine et la Serbie.

La Chine s’intéresse à la Serbie, car c’est un « porte-avion » en pleine Europe, du moins en Europe balkanique. Pour la Chine, il est important de déployer son influence partout dans le monde et notamment sur le continent européen. La Serbie dont l’économie est faible, ruinée par des années de guerre et les bombardements de l’OTAN, l’intéresse donc au premier chef.

Poutine, par ailleurs, regarde avec attention cette Chine qui monte en puissance, parallèlement avec son pays la Russie, laquelle demeure un glacis protecteur naturel pour l’Europe face aux ambitions de Xi Jinping, un glacis infiniment plus protecteur que ne sauraient l’être les Américains.

 

Quels sont les autres pays qui souhaitent participer, d’une manière ou d’une autre, à la reconstruction de la Serbie ?

Il existe d’autres visées étrangères sur la Serbie qui a tant besoin d’investisseurs ! On peut citer les Émirats arabes unis qui investissent beaucoup en Serbie : ainsi la compagnie aérienne Air Serbia, qui a été créée sur les décombres de la YAT, est à présent détenue majoritairement par les Émirats. Il faut en être conscient, car cela souligne aussi cruellement l’absence de la France. Il y a tout de même des projets : si la modernisation et l’extension de l’aéroport de Belgrade ont été confiées à Vinci, le chantier du métro de Belgrade traîne depuis des décennies, car c’était Alstom qui était chargé des études préliminaires, mais l’entreprise a été vendue !  Il y aurait aussi beaucoup d’opportunités pour les PME françaises en Serbie. Depuis le début des années 90, la Serbie s’est vue construire délibérément par les Anglo-Saxons une mauvaise réputation, ce qui ne pousse pas les étrangers à venir s’y installer.

Il y a eu des périodes où la Serbie a connu des difficultés, mais elle est en train de réémerger et son premier objectif, aujourd’hui, est de redevenir une puissance économique normale. C’est un pays ruiné et nous en avons une part de responsabilité comme allié de l’OTAN et membre de l’UE! Le salaire moyen à Belgrade se situe entre 380 ou 400€. Même si le niveau de vie n’est pas le même, comment voulez-vous vivre décemment avec cela ? Et tous les Serbes sont condamnés, sauf les quelques oligarques bien sûr, à trouver des solutions relevant du système D pour arriver à survivre. Ce n’est pas sain.

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Quelle est la situation des Serbes au Kosovo, surtout depuis les pogroms de 2004 ?  

Les pogroms de 2004 ont fait fuir de nouveau une grande partie des Serbes, et les persécutions se poursuivent, ce qui amène à constater que la minorité serbe au Kosovo est chaque année encore plus minoritaire. En 1999, il devait rester 400 à 450 000 Serbes ; nous sommes aujourd’hui entre 50 000 et 80 000.

L’épuration ethnique, menée par l’UCK au pouvoir et soutenue par l’Union européenne et l’OTAN, a donc hélas réussi au Kosovo.

Mais il reste des Serbes dans quelques grosses enclaves, notamment celle du nord du Kosovo et à Grakanica, à côté de Pristina.

Le plus terrible, ce sont les petites enclaves isolées, victimes de toutes les exactions et persécutions. C’est parfois une famille, ou même un vieillard et sa femme qui se barricadent dans leur ferme le soir, avant de se faire ravager leur champ dans la nuit, voler leur dernière poule ou leur ultime chèvre et de se faire menacer de mort. La petite population serbe qui est autour de Djakovica s’est ainsi fait interdire l’accès à l’église pour la nuit de Noël. Tout cela démontre que la situation des Serbes au Kosovo est dramatique. Nous faisons semblant de ne rien voir, exceptés quelques articles qui sortent parfois dans Valeurs Actuelles ou dans le Figaro Magazine, journaux honnêtes et courageux sur cette question. Le sort des Serbes au Kosovo n’intéresse pas grand monde, en tout cas à l’Ouest.

 

Comment analysez-vous les récentes élections législatives qui ont eu lieu au Kosovo ?

L’UCK a été battue, mais ceux qui ont pris leur place sont des Kosovars mondialistes, certes moins virulents et moins extrémistes en apparence. Cela ne va pas changer le sort des Serbes ou des Roms qui ont été l’autre grande victime de l’affaire ni les Goranis.

La vraie question, aujourd’hui, du pseudo-état du Kosovo est celle de l’épuration ethnique qui s’y poursuit. L’objectif des Albanais, mis au pouvoir par la coalition internationale en 1999, est de vider le Kosovo des derniers Serbes. Se pose le problème des monastères, car ce sont des bâtiments très anciens et dont certains sont inscrits au patrimoine de l’humanité. Je connais un certain nombre de ces moines très courageux et déterminés, mais combien de temps cela durera-t-il à partir du moment où l’étau se resserre et que l’État kosovar veut promulguer des lois de spoliation analogues à celle du 26 décembre au Monténégro ? Les moines qui occupent ces monastères ne seraient donc plus que de simples locataires et c’est la première étape pour les chasser définitivement. Une communauté humaine est en péril et un patrimoine humain très ancien, culturel, considérable, est en danger également : l’héritage chrétien du Kosovo est en péril. Nous connaissons la méthode kosovare : détruire. Si l’on démantèle, il n’y a plus de traces et on peut réinventer le passé. C’est la vieille technique de la table rase.

 

Pour conclure, je voudrais faire une analogie avec la France. On voit que dans certaines régions, la présence étrangère est très importante. Allons-nous vers une situation semblable à celle qui se déroule au Kosovo ? 

Il y a vingt ans, au Kosovo, des Serbes que j’ai rencontrés m’ont dit que l’on allait connaître le même problème en France. À l’époque, j’avais retenu cette phrase, mais cela m’avait simplement effleuré et ne m’avait pas paru être quelque chose d’aussi urgent, puissant et réel. Or, cela l’est, on le voit bien aujourd’hui.

Le premier problème, maintenant en France, est celui de l’immigration qui nous submerge. Contrairement à l’immigration précédente, que la France avait toujours su assimiler, cette nouvelle vague ne veut pas s’intégrer parce qu’elle est musulmane sunnite et wahhabite, elle prône un islam absolument intolérant et primaire, qui ne veut pas s’assimiler, au contraire du chiisme qui est un islam plus élaboré, plus construit et plus respectueux et civilisé. L’islam primaire des wahhabites est prosélyte, comme nous pouvons le constater, dans nos banlieues, ou l’argent des pétro-monarchies lui permet de financer son expansion et de développer son emprise sur les communautés étrangères grâce à des imams incultes prônant la charia. Or, si l’on ne fait rien, et que l’on ne prend pas en main courageusement le problème de l’immigration, de l’islamisation, mais aussi de la démographie, en instituant une politique familiale courageuse, forte, très active et déterminée, nous courrons à notre perte. Cela je dois le dire m’inquiète évidemment lorsque je pense à nos descendants, car nous sommes sur notre terre, comme les Serbes le sont sur la leur au Kosovo.

Et nous ne nous pourrons en aucun cas nous en laisser déposséder, pas plus que de notre identité façonnée par la Foi chrétienne et l’héritage des civilisations grecque et romaine.

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Avez-vous des livres ou des films à recommander pour approfondir la question du Kosovo et de la Serbie ? 

Il existe de très bons ouvrages : les livres de Dusan Bataković, par exemple, qui fut un universitaire très connu, grand historien, mais aussi ancien ambassadeur de Serbie en France, en Grèce et au Canada et qui était parfaitement francophone et francophile. Il a notamment écrit un petit livre sur le Kosovo : Kosovo, la spirale de la haine, que j’ai lu en partant en mission au tout début 1999 et que j’étais bien content de lire et consulter pour me permettre de comprendre.

Batakovic a également écrit un très bon livre que je recommande, sur l’amitié franco-serbe : « La Serbie et la France, une amitié atypique ».

Il y a aussi l’ouvrage, plus récent, de Nikola Mirkovic, « Le martyre du Kosovo ».

Et puis, dans un autre genre, il faut citer ce film récent « Balkan Line », que l’on trouve en DVD et qui est remarquablement fait. C’est un excellent film, sans fausse note et qui a été réalisé par une production russo-serbe. Il se situe à un moment charnière, c’est-à-dire à la veille de l’intervention de l’OTAN au Kosovo, au moment où la brigade russe de Bosnie se déploie sur l’aéroport de Pristina, prenant de court les alliés. Pour moi qui était sur place, son réalisme est frappant.

 

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À propos de l’auteur
Jacques Hogard

Jacques Hogard

Colonel (er) Jacques Hogard, Commandant du Groupement Sud de l’Opération Turquoise (été 1994) au Rwanda. Auteur notamment de Les larmes de l'honneur, consacré à l'opération Turquoise.

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