Des conflits interminables, des alliances improbables, le politique et le religieux souvent mêlés… La guerre de trente ans sous la direction de Marie-Nöelle Faure retrace les événements tout en incluant et interrogeant le ressenti des témoins d’époque.
La guerre de Trente Ans, qui se déroule principalement sur le territoire du Saint Empire romain germanique, représente une mutation d’ampleur dans l’ordre européen. Elle marque la fin du Moyen-Âge, la disparition de l’idée d’un Empire universel suite à l’affirmation du fait national. Elle voit l’avènement de la raison d’État, symbolisé par la politique du cardinal de Richelieu, qui s’allie à la Suède protestante, contre les Habsbourg catholiques. Après les fameux Traités de Westphalie, un système international se constitue sur la base d’États souverains, égaux en droit, qui perdure, encore largement de nos jours. Mais la guerre de Trente Ans est aussi devenue une expression dotée d’une force explicative: ne parle-t-on pas de nouvelle guerre de trente ans, lorsque l’on invoque l’antagonisme entre sunnites et chiites, entre l’Arabie Saoudite et l‘Iran où, aux motifs religieux, se sont substitués, des impératifs géopolitiques, des rivalités régionales, une recherche de l’hégémonie. Le récit de la guerre de Trente ans apparaît fort compliqué ; mais quel conflit d’envergure ne l’est pas aujourd’hui ? Le 23 mai 1618, les Etats protestants de Bohême, soucieux de préserver leurs libertés religieuses et politiques, se rendent en armes au Hradschin et défenestrent les représentants impériaux. L’insurrection de Prague embrase alors le Saint-Empire romain germanique et plonge l’Europe dans une des guerres les plus effroyables de son histoire qui dévastera le tiers de la population allemande, faisant de l’Allemagne un État tardif.
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Au cœur de l’Europe, un vaste ensemble, le Saint-Empire romain germanique fondé en 962 par l’empereur Otton Ier, composé de plus d’un millier de principautés, de seigneuries et de villes aux importances variables. Il est marqué par de tumultueuses relations entre un empereur au pouvoir mais au prestige déclinant et des princes aux ambitions séparatistes. Le Saint-Empire romain germanique demeure de jure une monarchie élective. L’empereur est élu par un Collège électoral constitué de sept princes-Électeurs. Trois des Princes-Électeurs sont des princes ecclésiastiques, l’archevêque de Mayence, Primat de Germanie, l’archichancelier du Saint-Empire et les archevêques de Cologne et de Trèves. Quatre sont des princes séculiers, le roi de Bohême, le comte palatin du Rhin, le duc de Saxe et le margrave de Brandebourg. Depuis l’émergence de la Réforme, trois des princes séculiers, ceux de Brandebourg, du Palatinat du Rhin et de la Saxe, sont protestants. Possession impériale depuis 1526, la Bohême est dirigée par un prince catholique, garantissant ainsi une majorité au camp catholique au sein du Collège électoral. Cet équilibre est remis en question en 1619 au lendemain de l’insurrection pragoise par la décision des Tchèques de démettre Ferdinand de Styrie de la couronne de Bohême pour l’offrir au jeune comte palatin du Rhin, Frédéric V (1596-1632), un calviniste. Ainsi le camp protestant devient majoritaire au sein du Collège électoral, le Palatin disposant désormais de deux voix. D’où la réaction très rapide des états d’Empire à la répression et à la mise au pas des états de Bohême suite à la défenestration de Prague en mai 1618 : l’ingérence impériale dans les affaires des principautés étant un sujet extrêmement sensible. Le camp protestant, est profondément désuni : les luthériens et les calvinistes, s’affrontent, les uns se revendiquant les héritiers légitimes du réformateur allemand Martin Luther, les autres voulant être reconnus comme confession à part entière dans le Saint-Empire. Une guerre complexe, européenne et même mondiale, puisqu’aux Amériques, aux Indes, Anglais, Espagnols et Néerlandais s’affrontent sur mer, comme sur terre. Cette guerre nouvelle fut menée pour des motifs religieux et politiques enchevêtrés, aux contours mouvants, les partis confessionnels étant eux-mêmes profondément divisés et les alliances souvent improbables. Une guerre interminable, mettant aux prises des cohortes de mercenaires, se nourrissant et pillant les contrées occupées qu’un Jacques Callot a magnifiquement illustré dans ses eaux fortes. Cependant en 1648, après maintes tentatives avortées, la paix (une paix qui se veut perpétuelle) est enfin signée.
Marie-Noëlle Faure, professeure de chaire supérieure en khâgne et hypokhâgne BL au lycée Henri IV à Paris, spécialiste des identités nationales et confessionnelles ou d’une identité multiple dans la littérature allemande des XVIe et XXIe siècles, retrace le conflit avant de décrire le vécu et le ressenti des témoins de l’époque ainsi que l’imaginaire de peintres, d’écrivains et de cinéastes qui, mesurant leur présent à l’aune de cet événement historique, dénoncent l’oppression et la guerre et tentent d’esquisser un monde nouveau, loin du fracas des armes.
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Marie–Noëlle Faure consacre un chapitre entier, au Congrès de Westphalie, qui s’est réunie, dès 1642 dans deux villes distantes d’à peine cinquante kilomètres, la catholique Münster et la protestante Osnabrück. Peu à peu s’est imposée l’idée selon laquelle la paix à venir, ne pouvait être qu’universelle, une pax universalis, conclue dans le cadre d’un congrès général, qui, pour répondre à la complexité, voire à la complexification du conflit doit réunir tous les belligérants. Peut-on imaginer aujourd‘hui un congrès réunissant toutes les parties impliquées dans les conflits de Syrie, d’Irak, du Yémen, du conflit israélo -palestinien et même d’Afghanistan ? Jamais auparavant ne fut organisé un congrès de paix d’une telle ampleur qui servira par la suite de modèle à tous les congrès de paix, que j’ai décris dans A la recherche de l’ordre mondial (Apopsix, 2018), Utrecht, 1713, Vienne, 1815, Versailles 1919. Toute l’Europe fut présente, exceptés l’Angleterre où la guerre civile sévit depuis 1642, la Russie et l’Empire ottoman, la paix étant avant tout une « pax christiana ». Ceci revêt son importance ; l’Angleterre s’est efforcée de ne pas s’impliquer dans les affaires du continent, la Russie n’a rejoint le système européen qu’avec Pierre le Grand, quant à la Turquie, le problème se pose toujours. Du seul point de vue de la logistique, le Congrès de Westphalie, relève de l’exploit. Henri d’Orléans, duc de Longueville, chef de la délégation française, était entouré d’une délégation de six cents personnes ! L’ordre westphalien repose alors sur le principe selon lequel les relations entre États doivent être régis par des traités internationaux, que les signataires et eux seuls, doivent respecter. Afin de garantir cette paix que l’on veut éternelle, la France et la Suède se voient confier le rôle de gendarme, idée qui a perduré jusqu’en 1945, lorsque Franklin Roosevelt évoque les « quatre gendarmes » (États Unis, URSS, Grande- Bretagne et Chine). Bien d’autres novations datent de cette paix de Westphalie, comme celle, imposant aux États de déclarer « officiellement et solennellement » la guerre à ses ennemis avant d’engager les hostilités. De même la distinction entre civils et militaires, entre combattants et non combattants s’impose-t-elle? Les États s’engagent à entretenir des armées permanentes, ce qui favorisera leur nationalisation à plus ou moins long terme. Ainsi doit être mis un terme au recrutement de bandes de mercenaires incontrôlables et à l’enrôlement plus ou moins forcé de civils. On le voit, le programme du Congrès de Westphalie n’a pas perdu de son actualité.