La maison d’édition Michel de Maule publie en cette fin de l’année 2019, la traduction en français d’une anthologie de 1500 pages en deux tomes, l’un consacré à la littérature et l’autre à la poésie. Le sous-titre annonce : « La culture kazakhstanaise dans un monde globalisé ».
Une date dans l’histoire de la poésie
La publication de cette anthologie est un projet national, mené par le premier Président de la République du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbaiév qui le définit ainsi : « C’est la première fois que notre histoire millénaire, notre culture sera entendue sur tous les continents, dans toutes les grandes langues du monde ». Et d’ajouter que son pays veut être connu pour autre chose que son pétrole.
Jusqu’à ce jour, les Kazakhes ont traduit pour leurs universités et bibliothèques la poésie et littérature du monde entier. Mais la réciproque n’était pas vraie, excepté pour la Russie et les nations voisines, en particulier turcophones, mais aussi la Chine. Cette asymétrie dans les échanges est désormais corrigée par un grand travail de traduction entrepris pour donner à connaître la littérature kazakhe au-delà de l’Asie centrale.
Le livre est pour cela édité et traduit dans les six langues de l’ONU (français, anglais, espagnol, russe, arabe, mandarin). Il est été tiré à 60 000 exemplaires, dont une partie est destinée à être donnée aux universités, bibliothèques, centres de recherches de 93 pays.
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Cette publication, affaire d’État et volonté politique, est le fruit d’un long parcours. La population kazakhe a depuis deux millénaires une poésie épique, chantée et récitée par des « akyns », poètes troubadours, qui ont laissé après le XIVe siècle une trace écrite de leurs récits, légendes et chants.
La littérature écrite par des auteurs sous la forme de romans n’apparaît que lors de la deuxième moitié du XIXe siècle et s’est surtout développée au XXe siècle. Elle est le fruit d’une résistance à la dissolution de ce peuple, à sa disparition. Les Kazakhs ont dû beaucoup écrire pour conserver leur culture et leur langue dans un contexte qui a sans cesse remis en cause leur identité… époques tragiques qui ont aussi eu paradoxalement des répercussions positives : l’ouverture à d’autres formes de littérature et à leur entrée dans le XXe siècle. Ainsi L’Union soviétique a construit des universités au Kazakhstan et permis a une large population kazakhe, qui n’y serait jamais entrée, de se former. Beaucoup ont choisi des études de lettres. La première génération représentée dans cette anthologie en est issue : formés à la littérature, au journalisme, à la traduction, ils sont devenus poètes, auteurs de théâtre, de romans.
Les Kazakhs qui étaient devenus minoritaires à la suite de déportations et d’implantations forcées de populations étrangères sur leur territoire sont aujourd’hui redevenus majoritaires après leur indépendance. Publier leur littérature pour la faire connaître au monde au-delà du monde turcophone et russe est une façon de proclamer une pacifique victoire.
Le désir de la partager est si puissant qu’il a entraîné la décision à l’horizon de 2025 d’abandonner les caractères cyrilliques hérités du monde russe pour adopter les caractères latins afin de les traduire et de le diffuser avec moins d’obstacles. Tout comme les Turcs ont abandonné les caractères arabes pour communiquer plus facilement avec le monde occidental.
Trois générations d’auteurs modernes kazakhs
Cette anthologie réunit un demi-siècle de création littéraire assemblant trois générations d’écrivains. Elle est non seulement l’expression de leur première modernité, mais elle est aussi celle de la continuité de leur culture et sa vitalité.
Elle rassemble ceux qui ont commencé leur carrière sous le système soviétique, faisant partie de l’Union des écrivains et ceux qui ne l’ont pas connue. On y découvre une grande diversité de caractères, d’origines sociales. Les femmes sont présentes, nombreuses parmi les poètes notamment.
Ce qui frappe particulièrement est une fidélité aux sources, malgré l’évolution des formes souvent liées à la découverte de la littérature occidentale. L’inspiration demeure cependant intacte, vivante : la steppe, la montagne, la nature, le temps qui passe, l’amour, la mère, le père, l’enfant. Le souffle est là et se déploie de façon épique, lyrique, mais aussi intime et élégiaque. Écriture contemporaine, universelle destinée à des publics au-delà des frontières, au-delà du voisinage turc, mais aussi de l’Occident, Un large public peut y adhérer tant le contenu et la forme sont universels.
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De l’hyper visibilité ou de l’invisibilité des évènements culturels géopolitiques
Les évènements géopolitiques concernant l’art ont une visibilité très variable… ainsi la vente de la « banane scotchée » à 120 000 euros à fait le tour du monde en quelques heures. Qu’en sera- il de l’annonce de la publication de l’Anthologie de la poésie kazakhe contemporaine ? Une première pourtant dans l’histoire de la poésie…
C’est toute la différence qui existe aujourd’hui entre l’annonce d’un évènement qui s’inscrit dans la chronologie de l’histoire de l’art, désormais mondiale, et le lancement de produits culturels de masse… reflets d’une hégémonie financière surgie après l’effondrement des totalitarismes sanglants de l’URSS et de la Chine.
Cette publication de l’anthologie de la littérature kazakhe est emblématique de la relation naturelle, non forcée, entre local et global… toute création fruit d’un enracinement souhaite se faire connaître au-delà des frontières, car sa fécondité se confirme dans l’échange.
Quand l’art atteint un accomplissement de la forme devenant ainsi langage sensible, débordant les mots, il dépasse conflits et frontières. Comme le résume en ces mots le grand poète portugais Miguel Torga, « L’universel c’est le local sans les murs ».
Toujours l’art circule, agit, féconde, se propage sans bruit ni gesticulation. Il résiste à l’ombre que lui fait le spectacle hyper visible et tapageur des écrans à la poursuite d’autres finalités.