Sans bruit mais avec régularité, à la manière d’un horloger, Vladimir Poutine gouverne la Russie. Féru de montres, il utilise cet outil comme moyen de communication et d’expression d’un pouvoir qui se veut discret, perfectionniste et rigoureux. Imprévisible, il l’est sous bien des aspects. Mais et telle une horloge, il dispose d’une politique fiable, imperturbable, résistante aux chocs et, par dessus tout, étanche à toute forme d’influences étrangères.
Collectionneur patenté, le président russe entretient une relation ambiguë entre ses tocantes et son peuple, suscitant à la fois intérêt, controverse, voire agacement. Il a fait de cet accessoire de luxe un levier de propagande et d’expression du pouvoir qui en dit beaucoup sur sa vision du gouvernement. Décryptage horlogéopolitique. Poutine entretient une relation passionnée et passionnelle avec l’horlogerie de luxe. C’est de notoriété publique, c’est un homme de symboles qui veille à laisser une trace, écrite, orale ou visuelle, de son action. Ses montres sont à ce titre logées à la même enseigne qu’un stylo ou un pupitre oratoire. Il en a fait un marqueur de pouvoir, cristallisation d’une hégémonie assumée. Bien plus qu’une passion, la montre est pour lui l’affirmation d’une outrecuidance qu’il exploite, mais avec discrétion, comme en témoigne son tropisme pour la haute horlogerie, synonyme de rigueur et de perfection technique. Les seules pièces qui trouvent grâce à ses yeux doivent être prestigieuses et confidentielles, sans pour autant être bling-bling ni tape-à-l’œil. Un comble !
1. La haute horlogerie : symbole de la rigueur du pouvoir
On est bien loin de l’assertion de Jacques Séguéla dictant les codes horlogers de la réussite sociale après 50 ans : exit donc les Rolex, n’en déplaise à Fidel Castro qui en portait deux au poignet gauche pour avoir simultanément l’heure de La Havane et de Moscou. Non, Poutine conjugue sobriété et prestige pour mieux brouiller les pistes et créer le buzz. À la tête d’une collection personnelle avoisinant les 800 000 euros, l’homme ne lésine pas et s’intéresse exclusivement à des modèles de manufactures séculaires : Léman Chrono Flyback de Blancpain, chronographe rattrapante A. Lange & Söhne, IWC Mark XVII, pièce la plus abordable de sa collection (5 000 euros), ou encore Parmigiani Fleurier. Mais c’est bien sûr Patek Philippe, parangon d’une richesse feutrée, qui remporte toutes ses faveurs, dont il possède une Calatrava à cadran ivoire ainsi qu’un calendrier perpétuel et phases de lune en or jaune.
Tout est suffisamment classique et raffiné, mais rien n’est assez onéreux pour s(o)igner un statut planétaire et arborer l’une de ces merveilles lors d’un sommet international ou la signature d’un traité. Sans oublier de défrayer la chronique auprès du peuple russe par des attitudes inattendues. On est dans un mélange des genres savamment orchestré.
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2. Prodigue en son pays
La montre selon Poutine : témoin d’une relation presque intime avec ses concitoyens qu’il traite avec autant de proximité que de distance sournoise. Sa réaction imprévisible (et préméditée ?) lors d’une visite d’usine en est le parfait reflet. Il ne trouva pas d’autre moyen de satisfaire le vif intérêt d’un ouvrier pour sa montre, une Blancpain Aqualung à 8 000 euros, soit plus de cinq ans de salaire dudit employé, que de la lui donner en souvenir de leur rencontre. Et ce, volontairement en présence des médias russes pour mieux célébrer l’instant. Il en fit de même, sans aucune raison apparente, à l’endroit du fils d’un berger de Sibérie centrale à qui il offrit la même montre lors d’une balade à cheval, en toute prodigalité.
Beaucoup de grands de ce monde ont entretenu un lien singulier avec leur(s) garde-temps ; très peu comme Vladimir Poutine l’ont à ce point utilisé comme un outil de communication, soucieux de laisser à la postérité une empreinte… intemporelle.