Encore une fois, le Brexit est reporté. Que les raisons soient politiques ou économiques, cette situation instable détient d’importantes conséquences financières autant à Londres qu’à Paris. La concurrence sur l’attractivité fiscale qui oppose les deux pays laisse présager un avenir belliqueux, du moins incertain car imprévisible. Championne d’Europe dans le cadre de l’imposition, la France entend prendre le Brexit comme un moyen de renforcement de sa politique financière. Mais c’est sans compter les ambitions de Boris Johnson qui, par sa politique pro-business, pourrait faire changer la donne. Nouvelle défaite à venir pour Emmanuel Macron ?
Il y a des coïncidences parlantes : tandis qu’au Royaume-Uni, Jeremy Corbyn, le chef du Parti travailliste, affolait les milieux financiers en promettant en pleine campagne des élections législatives une hausse de l’impôt sur les sociétés de 19 à 26 %, gouvernement et Parlement français renonçaient, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2020, à baisser le taux d’impôt sur les sociétés de 31 à 28 %, s’écartant derechef d’une trajectoire quinquennale au bout de laquelle le taux normal est supposé s’établir à 25 %. Rappelons pourtant que, à situation inchangée dans les autres États membres de l’Union européenne, 19 d’entre eux auraient encore en 2022 un taux inférieur à celui de 25 %. On comprend dès lors le malaise français face au Brexit et aux nouveaux engagements pro-business du Premier ministre britannique, Boris Johnson. Malaise et aveu de faiblesse que ne sauraient mieux traduire les mots d’Amélie de Montchalin, secrétaire d’État chargée des affaires européennes : « Je ne veux pas qu’on ait un paradis fiscal aux portes de l’Europe. »
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Pour être comprise, la question de l’attractivité fiscale de la France et de la place financière parisienne dans le contexte du Brexit ne doit cependant être réduite au seul traitement des entreprises. Plus encore, c’est à la fiscalité des personnes, en particulier celle assise sur le patrimoine, nettement moins favorable dans la Ville Lumière qu’à Luxembourg, Dublin, Amsterdam, Francfort ou même Bruxelles qu’il convient de jeter un œil. L’industrie, y compris financière, n’est jamais en effet qu’un nœud de contrats, coordonnant entre elles un grand nombre de personnes qui, une fois répercutés les impôts sur les entreprises, sont les seules contribuables véritables.
Certes bonne à prendre, la baisse promise de l’impôt sur les sociétés apparaît alors peut-être moins urgente que la diminution des taux marginaux les plus élevés de l’impôt sur le revenu ou sur l’épargne des personnes, particulièrement distordant de ce côté-ci de la Manche, et qui nuit en priorité à l’« impatriation » des travailleurs qualifiés. Outre qu’il ne s’applique ni aux revenus fonciers ni aux plus-values de cessions immobilières, le prélèvement forfaitaire unique (PFU) mis en place en 2018 l’a ainsi été à un taux facial, 30 %, légèrement supérieur à celui pratiqué chez nos voisins européens. Dans l’hypothèse d’une inflation annuelle contenue à 2 %, une taxation de 30 % des intérêts, des dividendes et des plus-values définis en termes nominaux équivaut, si le rendement réel est également de 2 %, à un taux effectif d’imposition de 60 %.
Mais la logique politique n’est pas la logique économique, surtout après avoir été confrontée au mouvement des gilets jaunes, de sorte que nul n’ose réclamer, y compris à droite de l’échiquier, une baisse du taux du PFU. Pire, en cas d’alternance, la tendance pourrait être à la réintégration des revenus de capitaux mobiliers au barème progressif, autrement dit à un alourdissement de la fiscalité de l’épargne.
De même, en se refusant à supprimer purement et simplement l’ISF, boulet que traîne le pays depuis 1982 (exception faite des années 1987 et 1988), et en le remplaçant par un impôt sur la fortune immobilière (IFI), Emmanuel Macron a atténué grandement la portée de sa réforme. Ce « en même temps » fiscal rend de fait plus facile, et donc plus probable aussi, la réintroduction de l’ancien ISF par l’adjonction des actifs financiers ou mobiliers à l’assiette de l’actuel IFI, limitant par conséquent le signal envoyé aux traders londoniens sur la pérennité d’un traitement du capital qui, sans être plus favorable, s’avérerait à tout le moins comparable à celui des autres pays alentour.
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On le voit : la France et sa capitale pâtissent par-dessus tout d’un climat fiscal instable et imprévisible. Le dernier exemple en date est celui de l’augmentation de 20 % de la taxe sur les bureaux en Île-de-France prévue pour 2020, après une augmentation de 10 % dans le précédent projet de loi de finances, soit 32 % d’impôt supplémentaire sur l’immobilier des entreprises franciliennes en deux ans. Pas sûr que l’installation à Courbevoie de l’Autorité bancaire européenne et le contre-feu lancé tout à trac d’un « grand débat sur les impôts de production » suffisent donc à drainer vers Paris les banquiers de la City…