Voici encore un éditorial sous forme de cartes. Il est vrai que le dossier de ce numéro est consacré aux frontières sans lesquelles il n’est ni territoire ni carte.
Nous vous parlerons des frontières naturelles, économiques, juridiques, linguistiques, culturelles, des frontières chaudes, froides ou même gelées… Ce que nous n’avons pas rencontré, ce sont des frontières mortes. La limite entre Europe de l’Est et de l’Ouest s’est déplacée selon qu’elle séparait pays orthodoxes et catholiques, germains et slaves, communistes et libéraux, elle a joué et rejoué comme une ligne de faille, mais elle n’a jamais totalement disparu.
L’Europe orientale est-elle le musée des frontières oubliées ? Les élections présidentielles roumaines de novembre 2014 pourraient le faire croire. Tous les sondages sauf un annonçaient la victoire facile du président sortant, le social-démocrate Ponta. Il fut battu par le libéral Klaus Iohannis. Là n’est pas la surprise. Les instituts de sondage locaux ont l’efficacité d’une boussole qui indique avec constance le Sud – on l’a vu encore en janvier dernier lors des élections croates.
Regardez plutôt la carte du second tour. Victor Ponta l’emporte dans les anciennes provinces de Moldavie et de Valachie qui ont formé le royaume de Roumanie au XIXe siècle, à l’exception de Bucarest où il était arrivé en tête au premier tour. Klaus Iohannis s’impose en Transylvanie qui faisait partie de l’Autriche-Hongrie jusqu’en 1918, dans la Dobroudja acquise sur les Ottomans en 1878 ainsi que parmi les membres de la diaspora.
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Tout se passe comme si les territoires avaient conservé le souvenir des temps anciens et des populations qui les ont habités autrefois.
Klaus Iohannis est issu de la minorité allemande de Transylvanie. Mais cette minorité, autrefois importante, ne représente plus que 0,3% de la population du pays ; les Turcs ne sont que 0,2% et même les Hongrois ne dépassent pas les 7% – ils ne sont majoritaires qu’au nord et à l’est de Brasov. L’immense majorité des habitants sont des Roumains orthodoxes, y compris dans les territoires qui relevaient de l’Autriche-Hongrie.
Le vote des minorités ne suffit donc pas à expliquer le résultat final puisque ces minorités n’existent presque plus. Tout se passe comme si les territoires avaient conservé le souvenir des temps anciens et des populations qui les ont habités autrefois. Le phénomène est moins magique qu’il semble : il existe des endroits faits pour conserver la mémoire des hommes, comme Yves Lacoste nous le rappelle, ce sont les cimetières. Avec eux, de façon plus prosaïque, des montagnes et des fleuves, des activités et des modes de vie, des coutumes et des légendes. Et des représentations, une façon de se voir dans le monde qui dépend aussi du lieu que l’on habite et des paysages que l’on contemple.
Il n’existe pas plus de frontière morte que de volcan définitivement éteint. La lave de l’histoire s’agite dans les profondeurs et peut ressurgir au moindre accident. C’est le rôle de Conflits que de vous alerter sur cette tectonique de la géopolitique.
Pascal Gauchon
Photo en une : carte de l’Europe, par Alexandre Vuillemin (1843). DR
#Frontières inanimées, avez-vous donc une âme ? Éditorial du n°5, par Pascal Gauchon http://t.co/jhuMGHufli pic.twitter.com/LT5oez4pty
— Revue Conflits (@revueconflits) 3 Avril 2015
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