Dans les années à venir, les rivalités environnementales pourraient prendre de l’ampleur et devenir un sujet majeur des conflits mondiaux.
« La troisième guerre franco-brésilienne de l’Histoire », titrait Sébastien Lapaque dans Le Figaro. Le 18 août 2019 à Biarritz, la situation était surréaliste : la France et le Brésil semblaient au bord d’une déclaration de guerre pour des feux de forêt. Outre les manifestations devant les ambassades, les déclarations belliqueuses s’échangeaient. Sur Twitter, Brasilia était, ni plus ni moins, accusée par Paris de laisser brûler l’Amazonie, « le poumon de la planète », à l’aide de vieux clichés photographiques. Un chef indien était reçu en toute hâte pour dire tout le mal qu’il pensait du président populiste Jair Bolsonaro. Blessé, le Brésil refusait en retour l’assistance de pays du G7. Un général à la retraite proposait même d’attaquer la Guyane française tandis qu’un ministre fulminait contre une nouvelle « dérive néocoloniale de la France ». Le président brésilien relayait quant à lui une injure visant le physique de la Première dame sur Facebook. Difficile de tomber plus bas.
Cette poussée de fièvre franco-brésilienne, qui paraît ridicule une fois le soufflet retombé, n’est pas si anecdotique dans la mesure où les sujets écologiques prennent de plus en plus d’importance dans les rapports de force mondiaux. Comme toute géopolitique, les querelles écologiques ne sont dénuées ni de sincérité ni d’arrière-pensées. La France fut d’ailleurs plus discrète au sujet des feux qui ravageaient l’Afrique australe et l’Indonésie cet été. Donald Trump, soutien climato-sceptique de Bolsonaro, était « en même temps » reçu en tête-à-tête par Emmanuel Macron au Pays basque.
L’écologie : une arme comme les autres ?
Encore aujourd’hui, l’écologie est considérée comme une arme du soft power. On se souvient du Premier ministre canadien Stephen Harper accueillant les pandas chinois en grande pompe à l’aéroport de Toronto en 2013. En théorie, l’écologie est un sujet consensuel qui nous réunit, mais jusqu’à présent, il fait surtout le délice des grands sommets multilatéraux depuis « le sommet de la terre » à Rio en 1992. Chaque délégation rivalise de discours prophétiques et de promesses financières intenables avant de prendre l’avion du retour. Bien sûr, les violents sujets de contentieux écologiques ne sont pas nouveaux. On pense à la chasse à la baleine ou au thon rouge, spectaculaires objets d’affrontements avec les pêcheurs du Japon en haute mer. Les pays occidentaux comme l’Australie relayent les inquiétudes des ONG telles Greenpeace. Cette association est habituée aux coups durs depuis le sabotage du Rainbow warrior le 10 juillet 1985 dans le port d’Auckland par des services français soucieux de protéger les essais nucléaires en Polynésie.
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Les conflits entre industriels, militaires et militants écologistes sont anciens, mais ils prennent une nouvelle dimension : aujourd’hui, ce sont les gouvernements qui s’ingèrent ouvertement au nom de l’écologie contre d’autres États. Autrefois, la France et le Canada se disputaient sur la répartition des zones de poissons à exploiter. Aujourd’hui, on se bat sur la taille des filets et le respect des réserves naturelles. N’est-ce pas au nom de l’écologie que la rétrocession des îlots inhabités de l’océan Indien à l’île Maurice ou à Madagascar est questionnée ? Ces pays sont-ils en mesure de faire appliquer la protection de la faune et de la flore ? Plus près d’ici, l’Allemagne considère avec inquiétude le maintien de la centrale nucléaire alsacienne de Fessenheim, au bord du Rhin. La France scrute en retour le bilan carbone des centrales à charbon de Poméranie et de Saxe.
La guerre pour des moules et de la boue
Avec la montée d’une conscience écologique mondiale, il est à craindre que les luttes pour la protection de l’environnement dégénèrent en casus belli, y compris entre alliés. Ainsi, les inquiétudes régulières du port d’Anvers sur le dragage de l’embouchure de l’Escaut, située en grande partie dans les eaux néerlandaises. L’envasement du trafic portuaire de l’Escaut profite par ricochet aux ports de Rotterdam. Or les réticences hollandaises à extraire la vase des fonds de l’embouchure du fleuve ne sont pas d’ordre budgétaire mais écologique. La question se pose en effet du dépôt des limons, mais aussi de la sauvegarde des zones humides sur les rives du fleuve, situées côté néerlandais. Un accord belgo-néerlandais signé en 2005 prévoit l’approfondissement à 13,1 mètres des bouches de l’Escaut de sorte qu’Anvers, deuxième port européen, puisse accueillir les plus gros porte-conteneurs dont la navigation est empêchée à certains moments par les marées de l’estuaire. « L’entreprise flamande de dragage doit évacuer environ 7 millions de mètres cubes de boue du chenal, qui relie la ville de Flessingue (sud des Pays-Bas) à Anvers » notait le correspondant du Figaro à Bruxelles. Sous la pression des Verts néerlandais, le traité prévoit de mettre en eau une zone de 300 hectares pour compenser la pression du trafic fluvial sur les oiseaux migrateurs. Cet accord a eu du mal à passer auprès des Zélandais qui ont poldérisé leur région dans le passé.
« Le dragage de l’Escaut d’abord, les mollusques de Zélande ensuite » rétorquait, caustique, la parlementaire flamande Annick de Ridder, laquelle appelait au boycott des moules hollandaises dont près des deux tiers sont exportés en Belgique. C’est ainsi que la vieille rivalité entre Flamands et Hollandais renaît avec en toile de fond, non pas des différends religieux, mais des préoccupations écologiques et commerciales. Si la sauvegarde des oiseaux migrateurs, indifférents aux frontières, unit les écologistes de tous les pays, ce sont les Flamands qui ont fini par financer l’écrasante majorité du troisième dragage de l’Escaut en 2010. Mais déjà un quatrième serait nécessaire. La compétition économique a ses raisons environnementales que l’écologie ne connaît pas.
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Bien plus tragique a été la fusillade d’El Paso, survenue le 3 août 2019. Treize Américains, huit Mexicains et un Allemand sont tombés sous les balles de Patrick Crusius, un fanatique de 21 ans. Le terroriste a justifié son massacre dans un supermarché Walmart en estimant dans un manifeste que « notre mode de vie est en train de détruire l’environnement de notre pays ». Il ajoutait par ailleurs : « Vous êtes tous trop bornés pour changer vos habitudes. La prochaine étape logique consistera donc à diminuer la quantité de gens occupés à épuiser les ressources en Amérique. Si nous arrivons à en éliminer suffisamment, alors notre mode de vie pourra devenir plus durable. » Le suspect d’El Paso s’est dit inspiré par l’auteur du massacre de la mosquée de Christchurch en Nouvelle-Zélande où il a attaqué des migrants musulmans en mars 2019. Dans un manifeste, le tueur avait expliqué que des préoccupations environnementales motivaient sa xénophobie. « Pourquoi se focaliser sur l’immigration et les taux de natalité quand le changement climatique est un problème si grave ? se demandait le tireur néo-zélandais. Parce qu’il s’agit en réalité du même problème, l’environnement est détruit par la surpopulation et nous, Européens, faisons partie des groupes qui ne surpeuplent pas la planète. »
À force de vouloir anticiper toutes ces guerres de l’écologie, le risque est évidemment de tomber dans un discours voisin des « collapsologues ». Ces nouveaux prophètes de malheur prévoient, d’ici 2030-2050, une sorte de fin du monde écologique. Un ancien député et ministre de l’Environnement de Lionel Jospin, Yves Cochet, s’est ainsi réfugié dans sa propriété au nord de Rennes. Il vit en autarcie en attendant l’apocalypse. Dans une vidéo diffusée par l’AFP, on peut le voir conseiller, le plus sérieusement du monde, à Peugeot et Renault de se reconvertir dans la construction de diligences, de calèches et de fiacres, puisque les voitures sont vouées à disparaître. Loin d’être un phénomène isolé, cette pseudo-science de la « collapsologie » fait de plus en plus d’adeptes parmi les milieux survivalistes de tous bords.
A priori pacifiste, l’écologie n’échappe pas aux passions et aux folies du monde. Le risque de guerre n’est jamais bien loin.