Souvenirs de la chute du mur de Berlin

7 novembre 2019

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : La tristesse et la laideur du monde communiste (c) Pixabay

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Souvenirs de la chute du mur de Berlin

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Eugène Berg a vécu de façon directe la chute du Mur de Berlin puis la transition démocratique en Allemagne de l’Est comme Consul Général de France à Leipzig (1994-1998). Il présente ici quelques-uns de ses souvenirs de cette période de transition, où l’espérance et la désillusion se sont mêlées.

 

Si la chute du Mur de Berlin ne marqua pas le début du démantèlement du camp socialiste et l’accès des démocraties populaires à la liberté, elle fait figure de marqueur historique incontesté. Berlin fut en effet le baromètre de la guerre froide. Si la capitale allemande était divisée, c’est parce que l’Allemagne l’était, si l’Allemagne était divisée, c’est parce que l’Europe l’était et si l’Europe était divisée, c’est parce que le monde l’était.

J’étais à l’époque l’adjoint d’André Bord, président de la Commission Interministérielle pour la Coopération franco-allemande, ancien ministre du Général de Gaulle, puis des présidents Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing. Cet Alsacien, ancien résistant, condamné à mort par les nazis, avait commencé sa carrière politique comme assistant du maréchal Koenig, le vainqueur de la bataille de Bir Hakeim, menée contre l’Afrika Korps de Rommel. La réconciliation, puis la coopération franco-allemande fut l’affaire de sa vie. J’ai été le témoin de cette accélération de l’histoire lorsque la lente horloge huilée des diplomates fut dépassée par celle plus emballée et vivante du peuple allemand désireux de se retrouver.

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Une autre Allemagne, fière de son histoire

Après novembre 1989, une de nos tâches fut d’aller à l’encontre de l’ancienne Allemagne de l’Est, la RDA, qui fut appelée après la réunification du 3 octobre 1990 celle des Fünf Neue Bundesländer : les Cinq Nouveaux États fédéraux (Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, Brandebourg, Saxe–Anhalt, Saxe et Thuringe). Avec cette autre Allemagne, symbolisée par tant de lieux prestigieux, parmi lesquels, Weimar, siège de l’éphémère République éponyme ; Iéna, où a vaincu Napoléon et enseigné Schiller ; Gotha, avec son fameux dictionnaire ; Dresde, la Florence de l’Elbe, ravagée par les bombardements de février 1945 ; Halle, patrie de Händel ; sans parler de l’ancien Berlin Est. Avec toutes ces régions, les liens avaient été pratiquement coupés depuis de longues décennies. En un sens, cette partie de l’Allemagne représentait la véritable Allemagne, non encore occidentalisée, non « américanisée ».  Et de s’être vue en quelque sorte « absorbée » par l’autre Allemagne a été vécu comme une sorte d’humiliation, un moment resté contenu, mais qui a fini par resurgir.

L’espérance et la désillusion

Très vite en effet, je me suis rendu compte que tous les postes de responsabilité dans ces nouveaux Länder furent occupés par les Wessis, les gens de l’Ouest, qui souvent considéraient leurs compatriotes de l’Est, les Ossis, avec plus ou moins de condescendance. Tous étaient membres du même pays, mais on pouvait les différencier immédiatement, par leur apparence, leurs habits, leur façon de s’exprimer et tant de signes qui ne s’effacent pas facilement. Dès que le processus de privatisation fut lancé à la fin d’octobre 1990, conduit par la Treuhand, dont le premier président fut abattu par la Rote Armee Fraktion, nous nous sommes efforcés d’y intéresser les entreprises françaises, via le CNPF[1], les chambres de commerce et d’industrie, les fédérations professionnelles. Ce fut bien une mainmise de l’industrie et de la banque ouest-allemande sur ce qui restait de récupérable en ex RDA. Durant des semaines, je me suis rendu avec André Bord auprès de tous les nouveaux ministres-présidents des nouveaux Länder, des maires des grandes villes, des présidents d’universités, des ensembles musicaux dont le célèbre Gewandhaus de Leipzig. Les élections de mars 1990, dont j’ai été témoin, marquées par de longues queues d’électeurs attendant patiemment pour remplir leur devoir électoral ont été marquées par un taux record de participation de plus de 93%. Elles furent un véritable appel à la réunification.

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Je fus ensuite aux côtes d’André Bord et de Serge Boidevaix, ambassadeur de France en Allemagne, tous deux disparus, le seul Français à avoir assisté aux cérémonies marquant la naissance de l’Allemagne réunifiée dans la nuit du 2 au 3 octobre 1990. Sur les pelouses face au bâtiment du Reichstag, une foule enthousiaste dès que le drapeau de la RFA fut levé se rua sur la pelouse en direction du gotha allemand réuni, Helmut Kohl, Hans-Dietrich Genscher Willy Brandt et beaucoup d’autres figures marquantes qui se retrouvèrent sous les voûtes du Reichstag, place de la Republik. La veille, j’avais assisté à la signature, par Jack Lang, du côté français le 2 octobre, de l’acte constitutif de la création de la chaîne de télévision Arte. Le lendemain, j’ai marché toute la journée dans un Berlin-Est en fête, dans lequel les Officiers supérieurs allemands et leurs collègues de l’OTAN pénétreraient avec un réel sentiment de fierté, sinon en vainqueurs, dans un Berlin-Est envahi d’une foule enthousiaste, formée de millions de citoyens de toute l’Allemagne, désireux d’assister à cette page historique, joyeuse, et lumineuse de leur histoire.

La désillusion allait vite arriver, mais ce fut alors un rare moment d’accomplissement, d’unanimité, d’espérance qui illuminait les marches de l’avenir.

 

[1] CNPF : Centre national du patronat français. Ancien nom du Medef.

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À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.

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