Discrète, inconnue du grand public, la directrice de campagne du candidat républicain est une spécialiste des batailles difficiles. Et des lobbys auprès de qui elle obtient beaucoup d’argent. Susie Wiles est l’une des femmes fortes de l’entourage de Donald Trump.
Article paru dans la Revue Conflits n°52, dont le dossier est consacré à l’espace.
Ce portrait, réalisé par Alexandre Mendel, est paru en juillet 2024. Depuis lors, Susie Wiles vient d’être nommée chef de cabinet de Donald Trump.
D’elle on ne connaît pas grand-chose. Une silhouette rondelette, des colliers imposants. À peine le son de sa voix, très douce. Il y a bien quelques vidéos de Susie Wiles, des interviews pour la plupart anciennes, et souvent d’une banalité affligeante, accordées à des chaînes locales, mais pas d’entretien-fleuve, pas de « 60 Minutes » (l’émission dominicale phare de CBS News) consacrée à cette gentille grand-mère de 67 ans, aux faux airs d’Angela Lansbury, qui aujourd’hui fait la pluie et le beau temps au Parti républicain. Et surtout le beau temps d’ailleurs.
Si quelqu’un devait symboliser la femme de l’ombre aux États-Unis, c’est bien Susie Wiles, décrite en 2022 – à l’occasion des Midterms – par The Hill, journal basé à Washington et qui ne paraît que lors des sessions du Congrès – « comme la plus puissante des républicaines que vous ne connaissez pas ». La directrice de campagne de Donald Trump est à des années-lumière de ce que fut Steve Bannon, cerveau de la stratégie victorieuse de 2016 du milliardaire new-yorkais. Il était fort en gueule, elle est discrète. Il incarnait le machiavélisme, quitte à se faire détester ; nuancée, elle évite de se faire des ennemis. Le premier était droitier, provocant, la seconde est modérée, silencieuse. Son compte X est inactif depuis février 2023 et suivi par « uniquement » 7 500 abonnés. Cette experte des campagnes difficiles et des territoires imprenables n’a pas de problème d’ego. Et n’a peut-être même pas d’ego.
Bannon a construit les bases du culte de Trump, Wiles assure à son patron la maîtrise des propos et de l’espace.
Rien de mieux qu’une taiseuse pour ne pas injurier l’avenir du boss.
La faiseuse de rois
En quatre décennies à arpenter les coulisses de la cuisine électorale conservatrice (elle fut la planificatrice de campagne pour Ronald Reagan en 1980, organisant les meetings, les réunions avec les donateurs, les bains de foule…), Susie Wiles s’est spécialisée dans les cartes électorales, mais surtout dans les improbables remontadas dans les sondages. Du sur-mesure. Pas un district, pas un comté n’a de secrets pour cette sorte de GPS humain bien pratique dans un pays où chaque découpage administratif possède sa sociologie ethnique, religieuse, économique, mais aussi ses propres lobbys si prompts à sortir le chéquier pour quelques intérêts à protéger dans la machine washingtonienne. Curieux : Susie Wiles est un produit typique du swamp, ce « marais », symbolisant « l’État profond » que Donald Trump avait promis d’assécher.
Pour comprendre comment Susie Wiles s’est rendue si essentielle à la machine républicaine et donc à la machine trumpienne, il faut se rendre en Floride et non dans la capitale fédérale. C’est là qu’elle a fabriqué des rois, à partir de rien ou presque. Fille du champion de football américain (et star de télévision) Pat Summerall, Susie Wiles a appris rapidement auprès d’un ami de son père, Jack Kemp, ex-star des Giants, et député de New York. Elle fut son assistante au Congrès à la fin des années 1970. De retour dans son État natal après avoir servi sous Ronald Reagan, elle a aidé deux maires de Jacksonville, la plus grande ville de Floride, à conserver ces deux bastions de droite. Le Sunshine State lui doit aussi deux gouverneurs, tous les deux très mal partis dans la bataille, deux outsiders compétents peu charismatiques, élus grâce à sa connaissance du terrain et sa proximité avec les lobbys – et donc les donateurs : Rick Scott en 2010 puis Ron DeSantis en 2018 ainsi qu’une députée républicaine à la Chambre des représentants, Tillie Fowler.
À en croire la chaîne NBC, quand Donald Trump lui passe un coup de fil pour la première fois en 2015, alors qu’il recherche quelqu’un pour faire tomber deux autres Floridiens, candidats à la primaire de 2016 (Jeb Bush, alors favori, et Marco Rubio), Susie Wiles ne décroche même pas son téléphone… Elle ne reconnaît pas le numéro ! Le milliardaire a dû insister pour qu’elle se déplace le voir à la Trump Tower sur la 5e avenue. Elle aura pour mission de codiriger sa campagne dans cet État, à cette époque considérée encore comme un Swing State et, depuis lors, solidement acquis aux républicains grâce à elle.
La professionnelle
Susie Wiles n’est pas une magicienne, c’est une professionnelle : un personnage de l’ombre qui rappelle immanquablement le personnage de Libby Holden (incarnée par Kathy Bates) dans le film Primary Colors : un même physique et l’habilité de passer au travers des shitstorms (« tempête de m… », l’expression politique américaine pour désigner les situations chaotiques). En la matière Susie Wiles a du pain (à hamburger) sur la planche. Toute experte en ressuscitation électorale que cette gentille mamie puisse être, elle doit composer avec une situation extraordinairement difficile : un président battu en 2020, des scores en demi-teinte aux Midterms de 2022, quatre inculpations au pénal, une cascade de procès au civil, un assaut meurtrier sur le Capitole et un homme de 78 ans, qui n’a plus rien à perdre, et dont l’impulsivité, même pour l’apaisante Susie Wiles, peut condamner, pour un simple dérapage, six mois de travail parfait.
Voilà donc Susie Wiles en tournée à travers l’Amérique à rassurer, à temporiser. Nommée en 2021, P.-D.G du super PAC « Save America Leadership », une structure qui lève des fonds auprès d’entreprises, de « super donneurs » sans limites de montants qui arrose les chaînes de télé de leurs propres publicités… Wiles est à la tête de plus de 100 millions déjà amassés – dont quelques dizaines ont été utilisées pour des frais de justice. Avec ce mot d’ordre, spécialement auprès des conservateurs anti-Trump : OK, Trump n’est peut-être pas votre premier choix, il est peut-être fantasque… Mais a-t-il été un si mauvais président ? Et surtout : désormais, il est prêt à vous écouter. Trump ne veut pas imposer de limite fédérale au délai sur l’avortement : il se centrise car il a appris à écouter. Tel est le narratif que Wiles vend partout où c’est nécessaire. Trump a changé…
La reaganienne, issue d’un milieu républicain traditionnel, sert d’agent de liaison entre les caciques du GOP à l’ancienne et le parti tel que l’a remodelé Trump depuis huit ans.
Par le passé, on l’a vu soutenir Chris Christie, en 2012, quand, gouverneur du New Jersey, on voyait dans ce juriste bon vivant le parfait candidat à opposer à Barak Obama, puis prêter main-forte à Mitt Romney, personnification de ce que la droite bourgeoise, urbaine et diplômée adore chez les Wasps : pragmatique, terne et compatible avec l’aile droite des démocrates. C’est dire si ses anciennes amours politiques peuvent rassurer les grands donateurs, orphelins de Nikki Haley qu’ils ont arrosée de dollars – en pure perte. On a ainsi vu en avril Susie Wiles, à Mar-a-Lago, accueillir des représentants du réseau Rockbridge, une coalition de donateurs de droite fondée en 2019, et rassemblant une nouvelle génération de populistes proches des secteurs de la tech (Uber, cryptomonnaies, etc.) prêts à investir des dizaines de millions de dollars, histoire de faire le pont entre anciens et nouveaux. Entre nostalgiques de Bush et partisan d’une droite radicale. Donald Trump étant retenu par ses obligations judiciaires à New York, c’est son fils, Donald Trump Jr qui a prononcé le discours de clôture. Un bon investissement ! Car Rockbrige s’est fait une spécialité : convaincre de nouveaux votants de s’inscrire sur des listes électorales à travers le pays. En 2023, cette coalition a convaincu plus de 120 000 personnes de s’enregistrer pour l’élection, spécialement dans ces comtés qui, à quelques centaines de voix près, avaient préféré Joe Biden à Donald Trump il y a quatre ans.
L’alchimiste des votes
À en croire NBC News, Trump consulte désormais Wiles pour tout et n’importe quoi, comme si tout ce qu’elle touchait se transformait en or : la décoration de son avion personnel, mais aussi le lancement d’une paire de chaussures à son nom (elle s’y est opposée, mais Trump lui aurait lancé : « Tu dois me faire confiance ! »… en quelques heures, il en a vendu des milliers).
Tout irait pour le mieux pour Susie Wiles si Trump ne l’avait pas – malencontreusement – mêlée à ses déboires politico-judiciaires. Dans l’affaire des documents confidentiels que Trump a embarqués avec lui dans sa retraite floridienne, le candidat républicain, dans un excès de confiance et de fanfaronnades, aurait montré à Susie Wiles des cartes d’une opération militaire secrète contre un pays (non identifié dans l’enquête). Wiles aurait protesté, selon ABC News, détournant son regard et lui demandant – comme s’il s’agissait d’une sorte d’exhibitionnisme – de ranger la carte incriminée. La seule carte que Wiles désire voir, c’est la carte électorale.
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