2001-2021. Quel bilan pour la diplomatie du Vatican ? Jean-Baptiste Noé

27 janvier 2022

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2001-2021. Quel bilan pour la diplomatie du Vatican ? Jean-Baptiste Noé

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De Jean-Paul II à François, de la nouvelle Europe à la guerre mondiale par morceaux, la diplomatie vaticane a su s’adapter et évoluer pour répondre aux défis du temps présent. Entretien avec Jean-Baptiste Noé.

Jean-Baptiste Noé a notamment publié Géopolitique du Vatican. La puissance de l’influence (2015) et François le diplomate 2019).

Entre 2001 et 2021, quelles sont les principales évolutions de la diplomatie vaticane ?

Comme pour tous les États, il n’y a pas nécessairement des évolutions, mais des inflexions, dues notamment au caractère et aux compréhensions des trois papes qui couvrent la période. On retient souvent de Jean-Paul II sa lutte contre le régime marxiste de l’URSS et son rôle majeur dans la chute de celle-ci, rôle reconnu par Reagan et Gorbatchev. Mais l’activité diplomatique de Jean-Paul II s’est poursuivie bien après 1991. La force de cet homme est d’avoir réussi à actualiser sa compréhension du monde et à mettre à jour ses analyses. Le monde de 2000 n’est plus celui de 1991. En dépit de sa maladie, de ses limitations physiques, il avait compris les grands thèmes du nouveau monde qui émergeait. Son opposition à la guerre en Irak en 2003 reprenait les idées de ses perplexités à l’intervention de 1991. Il fut l’un des premiers à comprendre les dangers qui menaçaient l’Europe, notamment dans le reniement de son essence et de sa culture, ce qu’il développa dans un texte très profond Ecclesia de Europa (2003). Ce que l’on appelle aujourd’hui la cancel culture n’est pas une maladie américaine importée en Europe, comme le croient trop d’analystes de télévision au jugement superficiel. Elle est présente au cœur même de l’Europe. Jacques Chirac refusa ainsi de mentionner les « racines chrétiennes de l’Europe » dans le projet de constitution européenne, ce qui provoqua le courroux de Jean-Paul II. En dépit d’une bataille diplomatique tenace, la diplomatie du Saint-Siège perdit cette bataille et la mention ne fut pas retenue.

Le pape polonais fut l’un des premiers à comprendre et à analyser les dérives de l’Union européenne, qui trahissait la volonté et le projet des pères fondateurs. Le rôle des JMJ fut à cet égard essentiel. Alors que les premières JMJ organisées à Rome, en 1984, firent venir 300 000 jeunes, chiffres considérables à l’époque, elles en attirèrent 2 millions à Rome en 2000 et près de 3,5 millions à Cracovie en 2016. Jean-Paul II avait compris qu’il n’y avait pas de puissance sans le nombre et la force démographique, et qu’il devait s’appuyer sur la jeunesse, qui lui était largement acquise, pour faire infuser ses thèmes.

Jean-Paul II était un philosophe et donc toute sa pensée et sa compréhension du monde étaient organisées sous l’angle de la philosophie. Ce qu’il a pensé, ce qu’il a compris, c’est la nécessité de l’unité de l’Être. Il ne peut y avoir d’Europe si les Européens ne sont pas unis dans leur culture et leur histoire, donc dans leur être. En reniant leur histoire et leur culture, ils préparent l’effacement de l’Europe de la scène internationale. Jean-Paul II s’est appuyé sur des cardinaux remarquables, notamment le cardinal Poupard, en charge de la culture, et le cardinal Etchegaray, à qui Jean-Paul II confiait les missions diplomatiques délicates. Parce qu’il avait vécu les attaques contre la culture polonaise par les nazis et les communistes, Jean-Paul II avait une claire conscience de ce lien entre culture, art et politique, de leur nécessité dans la vie des peuples et donc du  rôle primordial de la diplomatie vaticane dans la défense de celle-ci.

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La réflexion sur l’Europe occupe une grande place dans la pensée de Jean-Paul II et de Benoît XVI.

La force de ces papes est de ne pas avoir cédé aux modes du moment et aux commentaires journalistiques futiles. Rappelez-vous, en 1980, tout le monde où presque expliquait que l’Amérique latine était l’avenir du catholicisme et que l’Europe était finie. Trente ans plus tard, il ne reste plus grand-chose de cet enthousiasme juvénile. La théologie de la Libération, en se centrant uniquement sur la politique, a contribué à effacer la présence chrétienne sur le continent, lassant les modérés par les appels incessants à la lutte et à l’action politique. Même les plus pauvres se sont pris de passion pour la « théologie de la prospérité » délaissant le misérabilisme humanitaire, réactionnaire dans sa façon de comprendre les évolutions sociales et les attentes des populations.

Désormais, l’Amérique latine est une terre de mission, et l’Église catholique a bien du mal à contrer les mouvements évangéliques, qui savent mieux, pour l’instant, parler au plus grand nombre.

Il en va de même aujourd’hui pour l’Afrique. Ceux qui voient ce continent comme l’avenir du catholicisme se trompent. La montée du vaudou, la sécularisation des mégapoles, la fragmentation des territoires, le retour, en bien des lieux, à la culture indigène, placent l’Afrique dans une situation similaire à celle de l’Amérique latine en 1980. Parce que beaucoup de prêtres africains viennent en France, nombreux sont ceux qui pensent, en Europe, que l’Afrique est un vivier sans fin alors que le continent manque de prêtre. Les évêques africains ne s’y trompent pas, ils évitent autant que faire se peut le départ de leurs prêtres vers l’Europe, qu’ils assimilent à un vol de matière grise. Le christianisme en Afrique est aujourd’hui dans une situation fragile et l’on voit arriver de nombreux craquements, notamment en Afrique de l’Ouest. La mondialisation provoque un retour imprévu de l’identité et de l’indigénisme qui menace la présence occidentale en Afrique, dont le christianisme est l’une des manifestations.

Le dernier ouvrage de Jean-Paul II, peu connu, mais profond et émouvant, Mémoire et identité, paru en 2005, quelques semaines avant le décès du pape, est un touchant éloge de la culture, de l’histoire et de l’Europe. C’est l’ouvrage d’une vie qui a affronté le nazisme et le communisme puis ce que Benoit XVI a appelé la « dictature du relativisme ». Le pape Ratzinger a lui aussi livré de très belles réflexions sur l’Europe, notamment son discours prononcé en 2004 lors du 50eanniversaire du débarquement en Normandie, repris dans L’Europe, ses fondements, aujourd’hui et demain (2005) et récemment dans l’ouvrage La vera Europa. Identità e missione (2021). Ces deux papes ont compris et pensé l’être, c’est-à-dire non pas seulement l’avoir, qui est un fondement de la puissance (comme l’avoir militaire ou économique), mais l’être, qui est un vouloir, une capacité à éprouver l’existence.

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Sur quels dossiers récents la diplomatie vaticane s’est-elle illustrée ?

Benoit XVI avait commencé d’intenses pourparlers avec Cuba et les États-Unis pour parvenir à un accord de coopération ce qui a aboutit sous François, avec la reprise des relations diplomatiques entre Washington et La Havane. Il en va de même de la rencontre de La Havane (2016) entre le pape et le patriarche de Moscou. Si celle-ci a pu avoir lieu sous François, c’est grâce à des relations débutées sous le pontificat de Jean-Paul II et poursuivies sous Benoît XVI. Lors de la messe d’intronisation de François (2013) le numéro 2 de l’Église russe était présent, témoin des bonnes relations entretenues avec Benoît XVI et des avancées réalisées ensemble. Dans ce domaine, la diplomatie est très souvent une affaire de temps long et de patience.

On ne peut mentionner les dossiers récents de la diplomatie vaticane sans évoquer le rôle majeur joué par le cardinal français Jean-Louis Tauran (1943-2018). Il a accompagné la diplomatie des trois papes, de Jean-Paul II à François. C’est l’un des diplomates les plus chevronnés et les plus importants des trente dernières années, même s’il est peu connu du grand public. C’est lui qui a accompagné Jean-Paul II dans sa lutte contre le communisme, puis qui fut conseiller de Benoît XVI, qui l’a nommé président du conseil pontifical pour le dialogue inter-religieux, c’est-à-dire essentiellement pour les relations avec le monde musulman. Son dernier voyage en Arabie Saoudite, en avril 2018, quelques semaines avant sa mort et alors qu’il était déjà très fortement atteint par la maladie de Parkinson, est remarquable de courage physique et de lucidité intellectuelle. Il est l’un des rares à avoir compris la complexité du monde musulman, la diversité des coutumes et des rites et la façon d’opérer avec cet espace religieux et géographique divers et complexe. La géopolitique évoque souvent Kissinger ou Lavrov parmi les grands diplomates des dernières décennies, elle devrait aussi y ajouter le cardinal Tauran. Fait rare et remarquable, le pape François a assisté à l’ensemble de ses obsèques le 12 juillet 2018, alors que d’habitude, lors des obsèques d’un cardinal, un pape n’assiste qu’au rite du dernier adieu.

Benoît XVI n’est pas issu du corps de la diplomatie vaticane, pourtant son pontificat a été riche et intense en matière diplomatique.

Paul VI est le dernier pape a avoir été formé comme diplomate, ce qui est le cas de presque tous les papes depuis Léon XIII (1878-1903). Ni Jean-Paul II ni Benoît XVI n’avaient d’expérience pratique de la diplomatie, car telle n’était pas leur formation initiale. Néanmoins, les deux avaient une claire compréhension des problèmes du monde et de ses évolutions. Le discours de Benoît XVI aux Bernardins, lors de sa visite en France (2008), est une intervention éminemment diplomatique dans le sens qu’il a compris l’essence de l’Europe et le rôle de la culture. Il en va de même pour ses grands discours politiques, comme à Berlin, à Westminster ou à Ratisbonne. Sur de nombreux points, il a été un visionnaire, ce qui a été à l’origine de bien des incompréhensions. Il est ainsi l’un des premiers à avoir perçu le danger de la « dictature du relativisme » ainsi que l’usage de la religion coupée du logos ou de la raison qui rejette la religion (Ratisbonne). La relecture aujourd’hui de ces textes majeurs témoigne de toute la clairvoyance du propos.

Un des grands dossiers de François est la question chinoise. Celle-ci semble être une impasse. Qu’en est-il des relations entre Pékin et le Saint-Siège ?

Le problème de la Chine, c’est qu’il s’agit d’un dossier sans solution : le Saint-Siège ne peut rien faire face à une dictature puissante qui a décidé de réprimer la liberté de culte. La communauté internationale est d’une surprenante tolérance à l’égard de la Chine. Personne n’a réagi à l’annexion de Hong Kong ni aux multiples violations du droit. Que peut faire le Saint-Siège ? Dénoncer publiquement les atteintes du gouvernement chinois ? Cela ne desserrerait pas l’étau, mais au contraire renforcerait la répression. Tenter de négocier en sous-main ? C’est ce que fait François, sans résultat, la répression ayant continué de croître. On touche là aux limites de la diplomatie : le fort l’emporte sur le droit. Thucydide l’avait déjà très bien perçu dans son dialogue des Méliens.

En revanche, il est vrai qu’au Saint-Siège beaucoup ne perçoivent pas la dimension marxiste de la Chine actuelle et donc ne comprennent pas sa logique répressive. Cet aveuglement idéologique n’est pas propre au Saint-Siège, mais est largement partagé par de nombreuses chancelleries occidentales et des intellectuels de premier plan. On entend ainsi très souvent que la Chine ne serait plus communiste, mais serait uniquement capitaliste. C’est totalement faux, il suffit de lire le discours que Xi Jinping a prononcé en juillet 2021 pour prendre conscience de l’imprégnation marxiste du régime. La mise en place du système de crédit social est la continuation de cette emprise sur la société.    

Le pape François insiste beaucoup sur les migrants et sur l’accueil que l’Europe doit faire des vagues migratoires. Comment analysez-vous cela ?

Le thème des migrants était présent chez Jean-Paul II et Benoît XVI, mais de façon secondaire. Chez François, il est premier et central. C’est le thème majeur de son pontificat, abordé à chacun des voyages du pape. Pour comprendre l’importance du migrant chez François il faut se rendre à Rome, place Saint-Pierre, où le pape Bergoglio a fait installer une composition statuaire en hommage aux migrants. Outre le fait que cet ensemble jure avec l’esthétique de la place Saint-Pierre, ce bloc massif représente des migrants du passé, notamment ceux du XIXe siècle, du type de ceux qui ont quitté l’Italie pour se rendre aux États-Unis ou en Argentine. Alors que cet ensemble statuaire se veut un hommage aux migrants d’aujourd’hui, sa représentation est celle des migrants d’hier. Elle illustre bien le fait que la vision migratoire de Bergoglio est une vision datée et ancienne, celle du XIXe siècle, qui n’a pas de rapport avec ce que l’Europe connait depuis le début des années 2000.

Un rapport d’Interpol daté de 2016 expliquait ainsi que « 90 % des déplacements de migrants vers l’Union européenne (UE) sont organisés principalement par les membres d’un réseau criminel[1] ». Une « entreprise multinationale » fort lucrative puisqu’elle a rapporté entre 5 et 6 millions de dollars en 2015 soit, « l’une des activités les plus lucratives de la criminalité organisée en Europe » selon Interpol. Depuis, le gain du trafic de migrants n’a cessé de croître. Accueillir plus de migrants en Europe ou ouvrir davantage les portes, comme le demande régulièrement François, c’est non seulement donner la victoire à ceux qui utilisent le trafic de migrants comme une arme de guerre, comme la Biélorussie et la Turquie, mais c’est aussi faciliter le trafic des criminels en levant toutes les barrières au transit. Pour les réseaux criminels, ce serait une véritable aubaine.

À cet égard, je m’interroge et je n’ai pas de réponse à mes questions. Est-ce la diplomatie vaticane qui est mauvaise, au point de ne pas pouvoir faire une synthèse des rapports d’Interpol, ou bien les rapports sont-ils faits, mais ne sont pas pris en compte par le palais pontifical ?

François fustige l’Europe qui n’accueille pas assez de migrants, mais jamais il ne parle des syndicats du crime du Nigéria, qui contrôlent une grande partie du trafic de migrants vers l’Europe, notamment depuis qu’ils ont tissé des liens avec les mafias italiennes. Rien sur la prostitution massive qui se déploie en Italie, dans les banlieues de Naples et les périphéries de Rome, jusqu’aux passeurs de Calais qui s’enrichissent pour faire traverser la Manche. Rien non plus sur les trafics d’organes, la pédophilie et la pornographie pratiqués à grande échelle, notamment depuis le Kosovo, État mafieux au cœur de l’Europe. Rien sur les sectes vaudou qui étendent leur emprise sur les syndicats du crime du Nigéria et désormais en Europe. Les migrants qui se noient en Méditerranée ou qui s’entassent dans les camps ne sont pas des pauvres qui tentent leur chance ; ce sont, pour la plupart, si ce n’est la quasi-totalité, des objets de trafics et d’enrichissement aux mains des mafias et des syndicats du crime qui y voient, à juste titre malheureusement, une activité peu risquée et très lucrative. L’exemple récent de la Biélorussie a une nouvelle fois démontré que le migrant est devenu une arme de pression et de déstabilisation.

Vient un moment où la diplomatie du sentimentalisme et de la pleurnicherie atteint l’indécence. Tout le monde est bouleversé par les enfants qui se noient en Méditerranée. Mais pour éviter cela, c’est aux trafics de migrants qu’il faut s’attaquer et aux États qui les soutiennent.

Compte tenu des informations précieuses qu’elle peut avoir, grâce notamment à l’implantation des nombreuses associations caritatives, la diplomatie vaticane devrait travailler avec Interpol et avec les États d’Europe pour lutter contre les trafics et aider à démanteler les réseaux mafieux. Ce serait la meilleure action charitable à mener pour réduire les trafics humains et pour limiter la déstabilisation des pays soumis à ces trafics.

Nous avons d’ailleurs publié dans le Conflits de janvier 2022 une étude sur les mafias du Nigéria qui permet aux lecteurs de prendre conscience de l’ampleur du problème. Compte tenu de l’infiltration de plus en plus forte de ces réseaux criminels, la réaction des pays d’Europe, dont fait partie le Saint-Siège, est urgente si l’on ne veut pas perdre de façon presque définitive des morceaux de territoires gangrenés par les mafias, dont le commerce du migrant n’est que l’une des facettes de l’horreur.

À écouter également

Podcast – Géopolitique du Vatican. Jean-Baptiste Noé

[1] « Le trafic de migrants est une entreprise multinationale », Interpol, mai 2016, https://www.interpol.int/fr/Actualites-et-evenements/Actualites/2016/Le-trafic-de-migrants-est-une-entreprise-multinationale-indique-un-rapport-conjoint

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À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.
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