Les attentats du 11 septembre 2001 ont ouvert le XXIe siècle et ont donné une dimension nouvelle à l’acte terroriste. S’ils furent spectaculaires, ils sont néanmoins très particuliers et ne reflètent pas la pratique du terrorisme tel qu’il est pratiqué au cours des deux décennies. Retour du 20 ans de terrorisme avec Daniel Dory, Maitre de Conférences HDR à l’Université de La Rochelle.
Depuis 2001, le terrorisme est devenu un synonyme d’islamisme. Pourtant, l’ETA, les Brigades rouges, la FAR ou l’IRA ne sont pas que des vieux souvenirs. Beaucoup de Français les ont connus. Le terrorisme des deux premières décennies du XXe siècle est-il essentiellement le fait de groupes revendiquant une doctrine islamiste ?
Pour commencer, il est indispensable de rappeler quelques notions de base. D’abord, le terrorisme est une technique de communication violente qui peut servir à n’importe quel acteur (individu, groupe ou État), et à n’importe quelle cause, entendue ici comme idéologie motivante : (anarchiste, nationaliste, sioniste, chrétienne, islamiste ou environnementaliste, pour n’en citer que quelques-unes). Ensuite, le terrorisme est une des composantes des modalités actuelles de la guerre irrégulière, asymétrique et totale. Enfin il est bon de se souvenir que des individus ou groupes ne sont pas nos ennemis parce qu’ils sont « terroristes », mais qu’ils recourent au terrorisme parce qu’ils sont nos ennemis. Ce sont donc des phénomènes qui relèvent de la situation géopolitique mondiale et civilisationnelle qui ont porté le « terrorisme islamiste » au premier plan durant les deux dernières décennies. Avant que sous l’effet d’une possible réaction croissante des peuples autochtones européens (principalement) aux politiques de l’hyperclasse mondiale, la désignation polémique (infamante) de « terrorisme » ne s’adresse désormais principalement à l’« extrême droite » et aux « populistes ». Parler de « terrorisme » implique donc de bien distinguer ce qui relève de la polémique (guerre sémantique et idéologique), du juridique (qui évolue en fonction des besoins politiques nationaux et internationaux) et, enfin, d’une démarche scientifique telle que les chercheurs essayons de la mettre en œuvre.
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Le terrorisme est d’abord une question de moyens, de professionnalisation de membres d’une organisation structurée, de compétences techniques complexes… À une époque de haute surveillance où il est de plus en plus difficile de rester clandestin, comment ont évolué ces exigences techniques de l’activité terroriste ?
Contrairement à une opinion très répandue, le terrorisme tue (relativement) peu. Une partie de cette impression erronée provient de l’effet politico-médiatique des attaques du 11 septembre 2001 (presque 3 000 morts), qui constituent une sorte de « cygne noir » en tant qu’évènement extrêmement rare et à ce titre « hors norme ». Or, quand on analyse l’ensemble des attentats pour lesquels on dispose de données fiables, on constate que les actes terroristes font moins de 10 morts dans leur immense majorité. C’est, bien entendu, des morts et des souffrances inacceptables qui provoquent la peur et (surtout) l’indignation. Plusieurs explications existent pour rendre compte du décalage entre cette faible létalité et l’impact émotionnel de l’attentat qui tient à la nature même du terrorisme. D’abord, plus que la quantité de victimes, les terroristes recherchent des cibles possédant ce que j’appelle une « identité vectorielle » adéquate ; c’est-à-dire des personnes dont la victimation aura le plus grand effet communicationnel possible. Par exemple, tuer quelques touristes internationaux aura un impact incomparablement plus grand que le meurtre de 450 Somaliens dans une rue de Mogadiscio, et les terroristes en tiennent compte. Ensuite, la préparation d’un attentat demande des moyens et des compétences variables, dont tous les groupes ne disposent pas. Sachant que le danger, pour eux, d’être neutralisés au cours de la phase préparatoire s’accroit énormément en fonction du nombre d’intervenants et de la sophistication des moyens nécessaires au passage à l’acte. Ce qui donne un avantage aux acteurs solitaires et aux toutes petites cellules difficilement détectables, mais limite leur capacité de nuisance. On songe ici aux attaques au couteau, par exemple.
Mais, cela dit, même des modes opératoires fondés sur des moyens rudimentaires (comme des véhicules-bélier) peuvent faire des dégâts considérables. Ici, c’est l’effet de surprise qui est déterminant, ainsi que l’impossibilité de « durcir » toutes les cibles potentielles. Dernier point : les contraintes de la clandestinité se sont profondément modifiées au cours des dernières années, notamment du fait des énormes progrès réalisés en matière de surveillance électronique. Et agir en laissant peu ou pas de traces numériques devient de plus en plus difficile, tant pour les citoyens ordinaires (dont la conformité comportementale et idéologique fait l’objet d’un suivi permanent), que pour les candidats-terroristes qui doivent réaliser un apprentissage complexe pour pouvoir passer « sous les radars » des dispositifs antiterroristes. Mais à ce propos il n’est pas inutile de remarquer que les progrès dans l’interception des données par différents services étatiques, a abouti à une accumulation gigantesque d’informations brutes qui demeurent parfaitement inutiles tant que l’on ne dispose pas des moyens (matériels et intellectuels) de les analyser en temps voulu et à partir des bonnes hypothèses.
Le terrorisme est aussi une mise en scène qui appelle un écho public maximal. Comment le développement des nouveaux moyens de communication a-t-il joué sur le terrorisme des deux dernières décennies ?
On ne le répètera jamais assez : le terrorisme est une technique de communication violente. Il dépend donc, tout au long de son histoire, des moyens de communication (depuis la presse populaire à grand tirage de la fin du XIXe siècle, jusqu’à Internet, en passant par la radio et la télévision). D’ailleurs, sans message, média et audience(s), il n’y a pas de terrorisme possible. On a simplement des assassinats, éventuellement de masse, ou encore des actes de guérilla ou de guerre classique. Cette symbiose entre médias et attentat est donc ce qui contribue à définir le fait terroriste ; tout comme la composante communicationnelle est indissociable de l’antiterrorisme…
Comment la répartition géographique du terrorisme a-t-elle évolué ces vingt dernières années ?
Depuis quelque temps, avec mon collègue Hervé Théry, nous nous attachons à mieux comprendre l’espace-temps du terrorisme, et certains de nos résultats sont régulièrement publiés notamment dans Conflits. Pour répondre à la question de l’évolution du terrorisme au cours des deux dernières décennies, j’ai donc choisi de proposer les cartes suivantes, qui permettent d’entrer en contact avec un moment de nos recherches. Il s’agissait ici de visualiser le périmètre de plus forte prévalence des incidents terroristes au cours des périodes 2004-2011 d’abord, et 2011-2018 ensuite. On y constate une relative concentration, au cours de la dernière période de l’activité terroriste sur les deux zones où la « Guerre contre le terrorisme » menée par les États-Unis et leurs alliés s’est déployée avec la plus grande intensité : l’Afghanistan et l’Irak. Et ce avec une remarquable stabilité des barycentres qui correspondent à la localisation pondérée du centre de gravité des actions répertoriées.
De tels documents, fondés sur des données contrôlables de la Global Terrorism Database, permettent d’appuyer la réflexion sur des bases empiriques solides, très éloignées des opinions souvent infondées de nombreux « experts » autoproclamés en matière de terrorisme. Bien entendu, un énorme effort de recherche reste encore à réaliser pour bien comprendre les déterminants principaux susceptibles d’expliquer les évolutions en cours du terrorisme. La recherche scientifique sur le terrorisme a donc de beaux jours devant elle.
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Existe-t-il des organisations terroristes qui ont atteints leurs objectifs politiques au cours des deux dernières décennies ?
La question est difficile, car il faut commencer par comprendre que les objectifs des entités qui recourent au terrorisme sont très variés, et peuvent évoluer en fonction de la conjoncture géopolitique. Ainsi, s’agissant de l’aspect communicationnel, les terroristes réussissent en général à donner une visibilité médiatique importante à leur cause. C’est l’aspect « propagande par le fait » déjà préconisé par des anarchistes à la fin du XIXe siècle. En revanche, on n’a pas d’exemples où le terrorisme à lui seul réussit à remporter une victoire en termes de changement des élites dominantes ou de transformation sociale révolutionnaire. Par exemple, il a fallu des facteurs géopolitiques internes et internationaux bien plus complexes pour que l’État d’Israël soit créé, ou que le FLN parvienne au pouvoir en Algérie. En outre, le terrorisme est remarquable aussi par le fait qu’il provoque des effets (parfois non désirés par ceux qui l’utilisent), moins à cause de la menace réelle qu’il représente, qu’en raison des politiques antiterroristes plus ou moins adéquates que les gouvernements menacés mettent en œuvre. Enfin, l’effet d’intimidation de la menace terroriste fonctionne d’autant mieux que la société concernée est en voie d’effondrement, ce que l’on peut aisément constater en France, par exemple, concernant la gestion problématique de la mémoire associée à l’assassinat de Samuel Paty, au « débat » sur les caricatures du Prophète, ou encore aux ambiguïtés liées à la question de l’« islamophobie »…
La lutte antiterroriste a aussi considérablement évolué depuis 2001. Les États ont dû modifier leur législation pour trouver les réponses adaptées aux menaces : fouille des sacs et contrôles systématiques aux aéroports, vidéosurveillance partout et reconnaissance faciale dans certains pays, état d’urgence utilisé à plusieurs reprises en France, autant de mesures qui auraient parues impensables dans les années 1990. Les démocraties occidentales sont-elles intrinsèquement limitées pour faire face au terrorisme ?
Ce n’est pas le « terrorisme » qui menace la « démocratie » comme on veut nous faire croire trop souvent. La menace terroriste ne fait que s’ajouter à un ensemble de peurs qui légitiment la mise en place de mesures de surveillance, de rééducation et/ou de remplacement des population susceptibles de résister à l’instauration du nouvel ordre mondial. À cet égard, tout en étant un phénomène dont la spécificité est indéniable, le terrorisme s’ajoute au « réchauffement climatique », au covid 19 et, bien entendu, au « populisme » et à l’« extrémisme » (de droite évidement) pour configurer un panorama politico-médiatique anxiogène, face auquel les élites dominantes peuvent apparaître comme « protectrices ».
Cet aspect de la post-démocratie, c’est-à-dire un régime qui invoque en permanence les critères abstraits de la démocratie formelle pour enrober des pratiques effectivement totalitaires, est aussi à l’œuvre dans les politiques publiques sécuritaires en général et antiterroristes en particulier. Ainsi, la « menace terroriste », bien réelle au demeurant, mais dont l’impact en termes de mortalité est (heureusement) assez réduit doit être rappellé en permanence, notamment dans les paysages urbains (blocs de béton barrant les rues, barrières devant des édifices « sensibles », poubelles transparentes…), par la surveillance des communications électroniques et des déplacements des citoyens en général, par la présence de patrouilles de l’opération Sentinelle (dont la fonction est essentiellement anxiolytique) et, bien entendu, par une gestion médiatique qui fait le tri entre les « déséquilibrés » et les vrais « méchants ».
Par conséquent, on le voit, le rapport être terrorisme et démocratie est bien plus complexe qu’on l’imagine trop souvent, et le terrorisme n’étant qu’une technique il peut servir à toutes les fins. Par exemple, à justifier le contrôle d’Internet, à promulguer des lois restreignant les libertés publiques que l’on aurait du mal à faire passer en dehors du choc émotionnel provoqué par un attentat, etc. Et c’est justement parce que le terrorisme fonctionne comme une sorte de « couteau suisse » de la politique que son étude scientifique est à la fois indispensable et passionnante.