Le xxe siècle a été le « siècle des hydrocarbures » pour reprendre l’expression de Daniel Yergin.
Au cours du siècle écoulé, le développement économique, le progrès social (notamment la découverte du confort domestique) et la mise en valeur des territoires reposent sur l’exploitation de trois ressources énergétiques clefs : charbon, pétrole, et progressivement gaz. Des ressources fossiles fournies en quantités toujours plus grandes pour des besoins croissants, en particulier durant la formidable expansion des années 1945 à 1975 qui voit le passage de l’âge du charbon à celui du pétrole, non seulement dans les pays capitalistes industriels, mais également dans les pays communistes. Le pétrole s’est imposé comme le « nerf vital » de la civilisation industrielle, pour reprendre l’expression du président égyptien Nasser. Le gaz venait en appoint, pour faire des hydrocarbures la principale source d’énergie jusqu’à la fin du siècle, avec 75 % de l’énergie consommée dans le monde.
En l’espace d’un siècle, environ 1 000 milliards de barils de pétrole ont été brûlés, avec une nette accélération après 1945 où il constitue par excellence l’énergie de la croissance, mais aussi de la guerre. Et l’énergie de la crise dans les années 1970, qui bouleverse les équilibres géoéconomiques et géopolitiques mondiaux.
Le charbon, longtemps « pain de l’industrie »
Il joua un rôle clef dans la première Révolution industrielle, en tant que matière première et comme source d’énergie.
Source d’énergie : brûlé, le charbon permet d’actionner tout type de machines depuis l’invention de la machine à vapeur moderne par James Watt en 1769. La machine à vapeur est associée rapidement à un nouveau mode de déplacement : le chemin de fer (première ligne entre Stockton et Darlington en 1830), ce qui entraîne une baisse du coût du transport de plus de 50 %. La vapeur gagne également le transport maritime avec les travaux de l’ingénieur Isambart Brunel qui propose d’appliquer les innovations ferroviaires aux navires, avec le lancement du Great Western (1838 – avec roue à aubes), du SS Great Britain (1843 – à hélice).
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Matière première. Le carbone associé au fer permet l’essor de la métallurgie et de la sidérurgie depuis les inventions qui rendent la fonte au coke, un matériau à haute teneur en carbone obtenu par pyrolyse du charbon, de même qualité que la fonte au bois : procédé Derby, procédés du puddlage (brassage) et du laminage mis au point par Henry Cort en 1784.
Fort de ces utilisations, le charbon domine de manière écrasante les autres sources d’énergie au début du xxe siècle : il représente plus de 90 % du bilan énergétique mondial à la veille de la Première Guerre mondiale et assure au Royaume-Uni et aux États-Unis, à la fois grands producteurs et exportateurs, une suprématie économique incontestable.
Le pétrole, énergie de la deuxième Révolution industrielle
Le pétrole était connu depuis l’Antiquité pour son pouvoir éclairant et ses vertus médicinales, mais il n’a jamais été exploité à l’échelle industrielle comme combustible avant la fin du xviiie siècle. On n’exploite alors que les nappes superficielles de pétrole et on ignore qu’il repose en d’énormes gisements en profondeur, sous forme liquide ou gazeuse. Ce n’est qu’au milieu du xviiie siècle que les scientifiques anglais découvrent qu’à Bakou en Russie, sur les bords de la mer Caspienne, on peut créer avec le pétrole des flammes d’autant plus vives que le trou est profond. Et son exploitation à l’échelle industrielle démarre à Titusville en Pennsylvanie en 1859, avec la fondation de la Rock Oil Company.
Le pétrole connaît des débuts spectaculaires : la ressource est utilisée d’abord pour l’éclairage urbain, puis pour les moteurs automobiles dont les prototypes apparaissent dans les années 1890 en Europe, notamment en Allemagne : moteur à essence par Daimler en 1885, moteur Diesel en 1893. Avant la Première Guerre mondiale, les achats de pétrole s’accroissent fortement avec l’essor fulgurant du chauffage domestique, de l’industrie automobile, de la navigation maritime, de l’aviation et de la pétrochimie.
C’est une véritable révolution technique : un seul gallon de fuel (soit 3,7 litres) brûlé est l’équivalent de 500 heures de travail humain. La production mondiale passe de 21 millions de tonnes en 1900 à 50 millions en 1913. Durant la Première Guerre mondiale déjà, le pétrole et le moteur à combustion changent toutes les dimensions de la guerre et jusqu’à la conception même de la mobilité : sur terre, sur mer, et dans les airs. On rappellera cette phrase de Winston Churchill à la Chambre des Communes en 1919 : « Il ne fait aucun doute que les Alliés n’ont pu naviguer jusqu’à la victoire que sur le flot ininterrompu du pétrole. » La production mondiale dépasse en 1918 les 100 millions de tonnes.
Le pétrole aux sources du capitalisme moderne
Le premier boom pétrolier de l’histoire a eu lieu dans l’est des États-Unis avec la fondation de la Standard Oil par J.D. Rockefeller à Cleveland dans l’Ohio en 1870, un trust au capital d’un million de dollars qui concentre rapidement 80 % du marché du pétrole raffiné par le biais de 39 sociétés de raffinage différentes et 90 % de la commercialisation grâce à son réseau de pipelines (6 500 km) et sa flotte de camions-citernes.
L’industrie du pétrole connaît alors un développement fulgurant, illustrant la formidable dynamique entrepreneuriale américaine avec ses aventures glorieuses, mais aussi ses mauvais coups : c’est l’époque du wild capitalism, dont la Standard Oil est la plus haute incarnation. En 1900, la « pieuvre » est la plus grande firme du monde avec 100 000 employés et 20 000 puits de pétrole exploités. Mais en 1911 intervient la décision de la Cour suprême de démanteler l’entreprise au terme d’un procès antitrust retentissant. Cela dit, la portée économique de cette décision symbolique est limitée : les quelque 35 sociétés issues du démembrement s’arrangent pour ne pas déclencher une guerre des prix et des marchés et J.D. Rockefeller accroît sa fortune, car il est le principal actionnaire de l’ensemble.
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Le pétrole est si lié à l’histoire du capitalisme moderne qu’il s’effondre avec lui pendant la récession des années 1930 : le baril de pétrole tombe à 10 cents, dans certaines régions des États-Unis, il est moins cher que l’eau ! Les autres pays souffrent de cette évolution et le Mexique, le premier, décide de nationaliser ses ressources (création de la PEMEX en 1938).
Le gaz naturel, « orphelin » de l’industrie pétrolière
Il est en effet longtemps sous-exploité, considéré comme un sous-produit inutilisable et mal commode de l’industrie pétrolière, un déchet en quelque sorte. On le faisait brûler, ou parfois on le réinjecte dans les puits de pétrole pour maintenir la pression. Il souffre alors, et pour longtemps, de deux gros handicaps : l’absence de débouchés (le gaz de houille domine pour l’éclairage urbain) et son coût de transport, 4 à 5 fois plus élevé que le pétrole. Le pétrole est liquide, donc plus facile à manipuler et échanger que le gaz, et il présente un pouvoir calorifique bien supérieur : 1 m3 de pétrole a un pouvoir calorifique 1 000 fois supérieur à un même volume de gaz.
L’histoire industrielle du gaz naturel débute parallèlement à celle du pétrole aux États-Unis, dans l’État de Pennsylvanie, dans les années 1870 : les frères Pew, fils d’un aventurier du pétrole, recueillent du gaz naturel pour le vendre comme carburant sur les champs pétroliers. En 1883, leur entreprise est la première à fournir une grande ville, en l’occurrence Pittsburgh, en gaz naturel comme substitut au gaz de ville fabriqué en usine ; leur affaire, très rentable, est rachetée par la Standard Oil dans les années 1890. Mais il n’y a pas eu de révolution énergétique liée au gaz, ni aux États-Unis (pourtant de loin le premier pays consommateur au monde dans l’entre-deux-guerres), ni dans le reste du monde industriel.
L’internationalisation précoce du marché du pétrole
Dans les années 1910, les États-Unis produisent les deux tiers du total mondial de pétrole et exportent beaucoup. Mais en 1909 commence la production de pétrole en Iran, c’est le coup d’envoi de l’internationalisation du marché du pétrole. Dans le monde, la future British Petroleum (alors Anglo-Persian Oil Company) se dresse en rivale de la Standard Oil de J.D. Rockefeller et le groupe anglo-néerlandais Shell fait figure d’outsider grâce à ses gisements en Asie du Sud-Est (Bornéo, Sumatra). Les Rothschild d’Angleterre disputent aux Nobel suédois le contrôle des riches gisements de Bakou en Russie. Les compagnies anglo-saxonnes sont responsables du boom de la production au Mexique dès 1910 puis au Venezuela en 1922. Les premières exploitations off-shore datent du début des années 1920, au Venezuela, dans le lac de Maracaibo ; il s’agit alors de derricks sur pilotis ou de barges immergées à faible profondeur. À partir des années 1940 apparaissent les premières plates-formes fixes, mais qui ne permettent pas d’exploiter le pétrole à plus de 200 m de profondeur.
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C’est le Moyen-Orient qui apparaît progressivement comme le centre de toutes les attentions et toutes les convoitises : du pétrole jaillit en 1927 en Irak et en Arabie Saoudite en 1933. Des contrats avantageux y sont signés par les Majors : des concessions de longue durée, de 60 à 94 ans, un loyer annuel indépendant de la production et une redevance (royalty) d’environ 12 % de la production. Les premiers accords de cartel conclus alors entre Majors sont liés à la surabondance de pétrole dans le monde et à la chute des prix.
Accords de la ligne rouge signés à Ostende en 1928, nommés ainsi, car l’intermédiaire Calouste Gulbenkian trace à l’aide d’un crayon rouge sur une carte du Moyen-Orient les anciennes limites de l’Empire ottoman. Les firmes partenaires s’engagent à ne lancer aucune opération pétrolière au sein de ce vaste territoire autrement qu’en coopération avec les autres entreprises présentes dans la région ; en sont exclus la Perse et le Koweït.
Les accords d’Achnacarry, la même année, se déroulent eux dans un somptueux château écossais loué par Henry Deterding, président et fondateur de la Shell. Un pool se constitue entre grandes compagnies du pétrole pour éviter la guerre des prix (un prix de vente uniforme est fixé) et répartir les parts de marché (la situation existant en 1928 est « gelée »), d’où l’appellation d’accord « Tel Quel ». Toutefois, l’accord exclut le marché intérieur américain.
Le gaz, lui, est beaucoup moins mondialisé, la raison en est qu’il est très coûteux à transporter, tant par mer que par terre :
– par mer, le gaz, pour être transporté par méthanier, doit être liquéfié à -160 °C (ce qui permet de réduire son volume d’un facteur 600 : 1 m3 de GNL contient 600 m3 de gaz). Puis, au port d’arrivée, il est regazéifié.
– par terre, les gazoducs coûtent aussi plus cher que les oléoducs : des conduits de diamètre important, des stations de compression tous les 80 km…
Dans les deux cas, il ne peut pas être stocké. On considère que pour une même quantité d’énergie le coût transport est 7 à 10 fois plus élevé que pour le pétrole. C’est pourquoi il ne se développe progressivement que dans des marchés nationaux (États-Unis) puis régionaux (Europe).
Le pétrole, énergie de la guerre
Confronté au problème du ravitaillement en pétrole de l’armée française pendant la Première Guerre mondiale, Georges Clemenceau déclarait alors, en décembre 1917 : « Le pétrole sera aussi nécessaire que le sang dans les batailles de demain. » La prophétie de Georges Clemenceau est confirmée par la Seconde Guerre mondiale. Lorsque celle-ci éclate, le pétrole est déjà omniprésent : 45 millions de véhicules circulent alors dans le monde, plus de la moitié de la flotte marchande est équipée de chaudières à brûleurs ou de diesel, la consommation de fioul domestique est en rapide croissance et la pétrochimie produit désormais à grande échelle des colorants, matières plastiques, caoutchouc synthétique, textiles… Durant la guerre, les laboratoires de pétrochimie mettent sur pied des carburants, huiles et graisses de qualité supérieure qui permettent aux machines d’obtenir des rendements exceptionnels, par exemple les avions britanniques et américains qui utilisent un kérosène à très haut degré d’octane qui leur permet de voler plus vite que les avions allemands et japonais.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la stratégie de l’Axe a été en grande partie dictée par le pétrole. Pour pallier les carences de son approvisionnement en pétrole, le IIIe Reich, qui n’a constitué que de modestes réserves d’hydrocarbures dans les années 1930, n’a d’autre choix que celui du Blitzkrieg destiné à obtenir un succès rapide avant de manquer de ressources. L’invasion de l’URSS par l’Allemagne s’explique par la nécessité de mettre la main sur les ressources en pétrole du Caucase et pousser jusqu’à l’Iran : une offensive lancée au début de l’année 1942, mais qui échoue à proximité de Bakou. Mêmes déboires en Afrique, où Erwin Rommel doit stopper son avance vers Le Caire par manque de carburant. À El Alamein, en octobre 1942, c’est Montgomery qui prend l’offensive face à un adversaire qui souffre d’une telle pénurie que ses unités motorisées peuvent à peine effectuer les manœuvres tactiques les plus élémentaires, avant d’être bloquées dans le désert durant leur retraite.
La stratégie des Japonais est guidée par le même impératif : sous embargo pétrolier américain depuis plusieurs années, ils doivent percer rapidement, à travers la mer de Chine du Sud, vers les Indes néerlandaises et y mettre la main sur les immenses ressources pétrolières de la Shell.
En revanche, les Alliés peuvent compter sur les immenses ressources et la production des États-Unis : ils jouent un « effet de masse » déterminant. Ainsi les États-Unis au moment de leur entrée en guerre restaient de très loin la première puissance pétrolière du monde avec plus de 160 millions de tonnes produites (contre 60 millions en 1920), soit 60 % du total mondial sur leur territoire, à quoi il faut ajouter les 12 % produits à l’étranger par les Majors américaines.
Ce sont eux qui, parallèlement, mettent au point l’arme fatale, décisive, dans la guerre du Pacifique : le projet Manhattan (1942-1945) permet de fabriquer les premières bombes A et d’en faire usage contre le Japon à Hiroshima et Nagasaki (6 et 9 août 1945). La guerre froide qui débute dans la foulée se place aussi sous le signe des énergies : la course aux armements comporte une forte dimension énergétique, s’agissant en particulier des armements nucléaires à la force de destruction grandissante (« Tsar Bomba » soviétique dans les années 1960).
Le pétrole, énergie de la haute croissance
Après 1945 la part du charbon dans la production et le commerce de l’énergie dans le monde s’effrite rapidement : 70 % des exportations énergétiques mondiales en 1913, 40 % en 1939, moins de 20 % en 1965. C’est la période charnière durant laquelle le pétrole détrône le charbon dans la production d’énergie primaire.
C’est ainsi le pétrole, et non le charbon, qui fait figure d’énergie de la croissance des années 1950 à 1970, parallèlement à deux nouvelles énergies en nette croissance que sont le nucléaire et le gaz naturel. Mais le recul du charbon est fort inégal selon les pays et les régions : ainsi, le Royaume-Uni et l’Allemagne soutiennent encore son activité. Il demeure très important en Europe, en particulier sur le plan géopolitique avec la signature de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier en 1951). Également dans de grands pays exportateurs : États-Unis, Australie. Et bien sûr en URSS et dans certains pays communistes où est lancée l’industrialisation à marche forcée.
Entre 1949 et 1972, la consommation totale d’énergie mondiale fait plus que tripler. Dans les mêmes années, celle de pétrole fait plus que quintupler. De nombreux gouvernements encouragent son utilisation : plus abondant, plus facile à manier et transporter, moins cher et moins polluant que le charbon.
1950 : le pétrole constitue 25 % de la consommation énergétique mondiale contre 62 % au charbon. En 1967, le pétrole détrône le charbon comme principale source d’énergie. Aux États-Unis, ce basculement s’est produit dès 1951. Dix ans plus tard, il comble plus de la moitié des besoins énergétiques du monde (55 %). Le prix du baril oscille entre 1 et 2 dollars courants, subissant une légère augmentation, mais en dollar constant (corrigé de l’inflation), il baisse.
La création de l’OPEP en 1960 est une réponse à cette situation de marasme. Elle est aussi provoquée par la décision des Majors, en février 1959, de réduire de 18 cents le prix affiché du baril, ce qui ampute de 10 % les redevances des pays producteurs. Une mesure accueillie comme une véritable humiliation. Mais la baisse des prix s’explique également par l’offensive de l’URSS, à la recherche de devises, sur le marché pétrolier.
Dans la foulée de sa formidable croissance, d’autres énergies se développent en complément du pétrole.
L’hydroélectricité s’est très fortement développée dans le monde à partir des années 1950, avec plus de 350 grands barrages construits chaque année entre 1950 et 1970, le rythme se ralentissant ensuite. Mais le nombre de barrages sur les fleuves a été multiplié par sept en cinq décennies. Plus de 20 000 barrages équipent à la fin du xxe siècle les grands fleuves du monde. C’est plus du double qui équipe au total la moitié des cours d’eau existant sur la planète (45 000 environ). De grandes réalisations sont autant de vitrines du développement, qui font souvent l’objet d’échanges internationaux de capitaux, de technologies et de compétence : Assouan en Égypte, par exemple, avec son lac Nasser.
Le nucléaire civil connaît des progrès rapides dans les pays de l’OCDE. Il faut attendre le début des années 1950 pour que les États-Unis utilisent le nucléaire pour produire de l’électricité : le premier modèle de réacteur civil, installé dans l’Idaho, est doté d’une puissance de 100 kW et couplé au réseau en 1951 ; il fonctionne jusqu’en 1963.
Les années 1950 marquent ainsi le début de l’ère du nucléaire civil, dans un contexte de compétition mondiale liée à la guerre froide : en 1954, alors que les Américains construisent 5 réacteurs de technologie différente pour les tester, l’URSS met en service le plus puissant réacteur jamais construit (5 MW). En 1955 se tient le premier congrès international des spécialistes de physique nucléaire, en réponse au lancement du programme « Atom for Peace » du président Eisenhower. Pourtant, on se rend vite compte que : 1). Le pétrole supplante le nucléaire dans les usages civils. 2). Le nucléaire militaire prolifère dangereusement.
La France entre dans la course avec les recherches du CEA (créé en 1945) qui débouchent sur la construction d’une centrale à Marcoule en 1956 et le brevetage d’une filière française, l’UNGG (Uranium naturel graphite gaz), qui ne subsiste que jusque dans les années 1970. Les pays industrialisés s’équipent rapidement grâce à deux filières américaines, PWR de Westinghouse (eau sous pression) et BWR de General Electric (eau bouillante). Dans le bloc communiste, l’URSS maîtrise également ces deux filières, à eau bouillante et à eau sous pression, pour s’équiper et exporter vers les « pays frères ».
Le pétrole, énergie de la mondialisation
Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis veulent préserver leurs réserves et encouragent la production au Moyen-Orient pour fournir leurs alliés européens et japonais. Les États-Unis défendent la politique de la « porte ouverte » dans les zones productrices, laissant la voie à de nouvelles sociétés productrices indépendantes : c’est la fin des accords de cartel. Et, pour faire face aux revendications montantes des pays pétroliers, ils encouragent une renégociation des accords d’exploitation : 1943, le premier accord fifty-fifty est adopté (les royalties atteignent 50 % du prix du baril) au Venezuela ; voté par le Parlement, il entre en vigueur en 1948. Puis en 1950, c’est l’accord fifty-fifty Arabie Saoudite-Aramco. Un ordre pétrolier stable donc, reposant sur le pouvoir des Majors ou Seven sisters : Standard Oil of New Jersey (future Exxon), GulfMobil (ex-Standard Oil of New York), Chevron (ex-Standard Oil of California), Texaco, Royal Dutch Shell, British Petroleum. À elles sept, elles réalisent environ 80 % des exportations mondiales et contribuent à faire émerger un véritable marché planétaire comparé à une « grande bassine » dans laquelle sont déversés les différents types de brut. On leur adjoint souvent Total, qualifiée de « huitième sœur ».
Avec une hausse de la demande en pétrole de 7 % par an dans les années 1960, le choc pétrolier était inévitable, car la menace de pénurie se profilait. Ainsi, les surplus produits quotidiennement se sont réduits de 3 millions de barils à moins de 500 000, soit moins de 1 % de la consommation des pays occidentaux : à ce niveau, il n’existait pas de marge de sécurité, le moindre incident pouvant avoir des conséquences sérieuses, voire désastreuses. Mais la flambée des cours est aussi et surtout provoquée par le climat d’hystérie et la peur de manquer, comme au Japon où particuliers et entreprises constituent des stocks. La question du rôle des compagnies pétrolières est également posée : certains pensent que les chocs pétroliers ont été largement orchestrés par les grandes compagnies pétrolières, leurs investissements futurs exigeant des montants énormes qui ne peuvent être rentabilisés que si le prix du pétrole est bien supérieur à ce qu’il est à l’époque. David Rockefeller, président de la Chase Manhattan, chiffre les besoins à 3 000 milliards de dollars. On a aussi posé la question de la responsabilité des États-Unis qui pouvaient espérer que leurs concurrents, européens et japonais, seraient obligés d’acheter le pétrole du Golfe plus cher et perdraient en compétitivité.
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Le fond du problème est ailleurs : le pétrole avait perdu la moitié de sa valeur au cours des années 1960 : si le prix du baril restait à peu près identique, l’inflation mondiale avait réduit son pouvoir d’achat de moitié. À la veille du choc pétrolier, le prix du pétrole était tombé à un niveau autodestructeur, si bas qu’il encourageait le gaspillage et qu’il décourageait la prospection pour renouveler les réserves. Une forte hausse était devenue inévitable.
Le pétrole est aussi l’objet de revendications de plus en plus fortes de la part des pays du Sud et commence à apparaître comme une arme possible, comme l’illustre la crise de Suez. Le 25 juillet 1956, lors d’un discours à la nation à Alexandrie, le président Nasser prononce le message codé qui déclenche la prise de contrôle du canal de Suez par les armées égyptiennes le lendemain : « Ces messieurs qui ressemblent à Ferdinand de Lesseps » ; il avait appris la veille, dans un avion qui le ramenait au Caire, le refus américain de financer son projet de barrage d’Assouan (500 millions de dollars). Économiquement, il avait besoin de la rente du canal pour financer ses projets et, politiquement, entendait bien s’affirmer comme un leader de la cause arabe et du tiers-monde tout entier face aux puissances coloniales.
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La création de l’OPEP marque également une étape clef. Une création peu médiatisée en septembre 1960, à Bagdad, lieu symbolique, car un militaire, le général Kassem, vient de renverser une monarchie corrompue. De 1960, date de sa création, à 1971, date de la signature des accords de Téhéran, l’OPEP n’a pas arraché une seule augmentation de tarif, même de quelques cents par baril. Mais l’organisation passe de cinq à treize membres, bien décidés à renverser le rapport de forces sur le marché pétrolier : aux cinq membres fondateurs (Arabie Saoudite, Venezuela, Koweït, Iran et Irak) s’ajoutent le Qatar (1961), la Libye et l’Indonésie (1962), les Émirats arabes unis (Abu Dhabi en 1967, Dubaï en 1973), l’Algérie (1969), le Nigeria (1971), l’Équateur (1973).
Les pays arabes tentent déjà en 1967 d’utiliser l’arme de l’embargo pétrolier, mais c’est un échec du fait du système international d’approvisionnement mis en œuvre dans le cadre de l’OCDE, à l’initiative des États-Unis. Au contraire, cette tentative d’embargo provoque l’asphyxie économique des pays producteurs, très dépendants de leurs rentrées en pétrodollars. Il en découle la création de l’OPAEP (A pour arabe) en 1968, pour une meilleure coordination des politiques pétrolières des pays arabes. C’est elle qui provoque les chocs énergétiques des années 1970.