L’Iran multiplie les interventions à l’étranger

23 avril 2024

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : Iran's supreme leader Ayatollah Ali Khamenei walks past Iranian flags before casting his votes in the parliamentary elections and the elections for the Council of Experts on 01 March 2024, Iran, Tehran. (Photo by Sobhan Farajvan / Pacific Press) - SobhanFarajvan_030124//PACIFICPRESS_xyz00005033_000022/Credit:Sobhan Farajvan/PACIFIC PRESS/SIPA/2403011235
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L’Iran multiplie les interventions à l’étranger

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Depuis les années 1980, l’Iran tisse un redoutable réseau de proxys au Moyen-Orient. Difficilement maîtrisables, ils assurent tout de même à Téhéran des axes de contrôle et d’échanges qui sont les leviers d’action de la République islamique dans la région. Dernier en date, le Soudan, un pays clef pour le contrôle de la mer Rouge et du Moyen-Orient.

Retour au Soudan

Depuis longtemps, Téhéran envisage de s’implanter au Soudan. Cette prise permettrait de consolider son dispositif de pression sur la mer Rouge, grâce à ses 700 km de bande côtière et Port Soudan. Dès les années 1990, l’Iran et le Soudan avaient noué des relations qui permettaient à la nouvelle République islamique de trouver un allié stratégique dans le monde arabe. Les gardiens de la Révolution y avaient même installé l’une de leurs premières antennes hors du Moyen-Orient. Mais les relations entre les deux partenaires ont été rompues après l’attaque de l’ambassade saoudienne de Téhéran par des manifestants iraniens[1]. Après l’attaque du 7 octobre, Téhéran est revenu dans les affaires soudanaises aux côtés du général Abdelfattah al-Burhan. Car, depuis avril 2023, le Soudan est dévasté par une guerre civile qui oppose les Forces armées soudanaises (FAS), dirigées par le général al-Burhan, et les Forces de Soutien Rapide (FSR), la milice paramilitaire de Mohamed Hamdan Dagalo « Hemetti » (acteur actif des massacres au Darfour).  Et comme à son habitude, l’Iran fournit notamment des armes. L’agence de presse américaine Bloomberg a par exemple relevé l’utilisation de drones iraniens Mohajer 6 et autres petits UAV par l’armée régulière soudanaise toujours dirigée par al-Burhan[2]. Le soutien iranien a de facto éloigné les belligérants de la table des négociations.

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L’influence de l’Iran ne suit donc pas seulement une logique de révolution islamique universelle ou de soutien aux chiites persécutés. Elle est aussi éclairée par un pragmatisme qui cherche le contrôle relatif du monde arabe et à nuire le mieux possible aux Occidentaux. Et ce retour de Téhéran au Soudan est particulièrement préoccupant pour les intérêts de l’Occident en mer Rouge.

Au Liban

Alors qu’Israël menait l’opération « Paix en Galilée » au Liban (1982), l’Iran soutenait directement ses frères chiites face à Tsahal. Une façon de fragiliser l’État hébreu, mais aussi de concurrencer le discours de Saddam Hussein qui se présentait en leader de la cause arabe face à Israël. Une milice fut créée, financée et formée par les gardiens de la Révolution : le Hezbollah. Depuis, le mouvement n’a cessé de grandir jusqu’à devenir un « État dans l’État libanais ». Dans les années 1990, le nouveau leader Hassan Nasrallah est parvenu à doter le Hezbollah d’un formidable outil politique. Fondé sur l’œuvre sociale (comme la plupart des mouvements islamistes), le Hezbollah est aujourd’hui soutenu par une partie de la population libanaise et très bien implantée dans les institutions. La branche militaire du Hezbollah, continuellement formée par l’Iran, est devenue une véritable armée professionnelle.

En Irak et en Syrie

Téhéran a compris tôt que son rêve de révolution universelle islamiste était irréalisable. En revanche, la persécution des chiites dans tout le Moyen-Orient était exploitable. Le fonctionnement profond de la région reposant sur des logiques tribales, il comprit que des chiites organisés devenaient plus puissants que les institutions étatiques. C’est justement la poussée de l’islamisme qui a donné à Téhéran les clés du Moyen-Orient. En Irak, les gardiens de la Révolution sont venus soutenir les milices Hachd al-Chaabi, majoritairement chiites, contre les soldats de l’État islamique (2014). Après la résurrection d’un État dominé par les chiites en Irak, ces milices ont ensuite été envoyées en Syrie soutenir le régime de Bachar al-Assad dont les forces alaouites avaient été saignées par la guerre contre les islamistes sunnites. Là encore, l’Iran mettait à disposition des financements, l’expertise des gardiens de la Révolution et du Hezbollah. Il se constituait ainsi un axe Liban-Syrie-Irak essentiel pour le ravitaillement des partenaires et les trafics en tous genres.

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Implanté au Yémen

Au Yémen, l’Iran se projette à travers les Houthis. Zaïdites (une branche du chiisme), ils sont l’accomplissement du mouvement Ansar Allah formé dans les années 1990 pour combattre l’entrisme sunnite de l’Arabie saoudite dans le pays. S’ils n’ont pas besoin de financements puisqu’ils sont maîtres de la capitale, Sanaa, et des principales villes du Yémen, l’Iran leur apporte une formidable crédibilité géopolitique. En échange, ils mènent des opérations en mer Rouge et pointent en permanence des missiles vers l’Arabie saoudite, toujours alliée des Occidentaux.

Le Hamas

Téhéran n’est pas fermé à soutenir des sunnites lorsqu’il y trouve un intérêt, surtout lorsqu’il s’agit de combattre Israël. Désigner un ennemi commun mobilise. Et le Hamas est demandeur. C’est donc par l’Égypte et ses frontières poreuses que les gardiens de la révolution et le Hezbollah ont alimenté Gaza en armes et en munitions. Il ne fait aucun doute que le partenariat a été poussé jusqu’à la participation à l’opération du 7 octobre en Israël

[1] Ces derniers protestaient contre l’exécution de l’imam chiite saoudien Nimr Baqr al-Nimr en Arabie saoudite.

[2] “Iranian Drones Become Latest Proxy Tool in Sudan’s Civil War”, https://www.bloomberg.com/news/articles/2024-01-24/iran-supplies-sudan-army-with-drones-as-civil-war-continues, 24 janv. 2024.

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À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.
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