<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La France dangereuse

15 août 2024

Temps de lecture : 7 minutes
Photo : Carte Conflits
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La France dangereuse

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Certains territoires et leurs habitants sont plus exposés que d’autres à de multiples risques. Peut-on dresser une géographie de cette « France dangereuse » ? C’est ce à quoi s’est attelé Jean-Marc Holz dans la présente carte. 

Au cœur de la zone tempérée, sous des cieux cléments, à l’abri des calamités affligeant les lointaines contrées tropicales, la France hexagonale a longtemps vécu dans l’illusion de ses privilèges géographiques. Mais l’irruption d’une pandémie dévastatrice venue de Chine, les canicules successives et meurtrières, sans compter une délinquance violente et durable, ont balayé cette insouciance, installant dans notre paysage quotidien une forme de violence nouvelle, à laquelle la France ultramarine était confrontée de longue date. 

Depuis quelques années déjà, la France n’occupe plus les meilleures places dans les classements mondiaux (d’inégale valeur) de la « sécurité » ou du « bonheur ». Et il ne faut pas croire Mark Twain, pour qui le lit était l’endroit le plus dangereux au monde, puisque presque tout le monde y mourait ! Vivre dans une zone urbaine sensible ou à proximité d’un fleuve méditerranéen peut présenter un danger. Certains territoires et leurs habitants sont exposés plus que d’autres à de multiples risques. Peut-on dresser une géographie de cette France dangereuse ?

L’administration distingue habituellement six risques naturels et quatre risques technologiques majeurs, susceptibles de provoquer des accidents d’ampleur variable, voire des catastrophes. Très médiatisé, le risque de crue et d’inondation est fréquent et répandu (16 386 communes concernées) ; mais il en existe des dizaines d’autres, liés à l’activité économique notamment, comme aux dysfonctionnements mêmes de la société. En effet, le risque n’est pas extérieur à un lieu, il est ancré dans ce lieu et dans la société qui l’habite : selon B. Tiberghien, les risques sont une composante intrinsèque du territoire, où ils se combinent de diverses façons pour dessiner cette géographie du danger.

Des risques inhérents aux territoires

Nous avons retenu 16 indicateurs couvrant un large éventail de dangers potentiels. Le principe de sélection est simple : ils ont tué ou blessé, massivement ; les dommages matériels sont exclus de l’étude. Ce qui explique, par exemple, la non-prise en compte des incendies de forêts. Parmi les risques naturels, on a retenu les pluies extrêmes engendrant des crues aux effets dévastateurs ; les canicules (plus de 33 000 décès depuis 2003) ; insidieux, le radon qui provoque 3 000 décès par an est la 2e cause de cancer du poumon après le tabac. Les risques technologiques provoquent également maladies et décès ; on a retenu notamment la pollution atmosphérique aux particules fines, véritable scandale sanitaire caché à l’origine de 40 000 décès prématurés chaque année, dont 6 000 en Île-de-France ; l’exposition au bruit, un danger plus sournois encore mais réel, provoque plus de 1 000 décès par an. À ces dangers extérieurs, il convient, pensons-nous, d’ajouter des dangers inhérents aux dysfonctionnements mêmes de la société, auxquels les Français sont encore plus sensibles. Parmi les indicateurs retenus : la délinquance qui s’installe sur tout le territoire, et en contrôle même certains fragments ; les accidents de la route (700 000 morts depuis 1900 et 3 439 en 2022) qui ne sont pas sans lien avec le territoire : en zone de montagne ou sous mauvaises conditions climatiques, les départementales étroites et sinueuses sont plus dangereuses que les axes autoroutiers ; de même, vivre dans un désert médical, loin des soins d’urgence, présente un réel danger qui s’aggrave : l’espérance de vie en France stagne depuis 2014. Mais les Français sont inégaux devant tous ces risques : les plus pauvres et les plus âgés, peu mobiles, se retrouvent captifs de territoires dangereux ; d’où l’adjonction de deux critères de vulnérabilité.

Au total, ces 18 indicateurs permettent de brosser un tableau assez complet de la dangerosité sur l’étendue du territoire national. La dimension temporelle de la question est également prise en compte ; nous avons ajouté un point (= pénalité) aux départements ayant subi de grandes catastrophes dans le passé (comme l’éruption de la montagne Pelée ou la crue géante du Tarn en mars 1930 qui fit plus de 200 morts) ; leur probabilité d’occurrence est infime mais non nulle. Les statistiques sont de 2020 à 2023, mais certains indicateurs s’appuient sur une période d’une dizaine d’années, afin de stabiliser les résultats. En revanche, on n’a pas intégré de données sur les probables effets spatiaux du réchauffement climatique. Tous ces faits établis et localisés constituent la matrice des 1 515 données ainsi sélectionnées, classées puis cartographiées.

La géographie aide à connaitre les dangers du territoire

Discours de la méthode

La méthode est précisée dans un article accessible sur le site de Conflits. Reposant sur le rang occupé par chacun des 101 départements sur les 18 critères, elle présente l’avantage de pouvoir combiner des indicateurs de nature et d’unité de mesure très différentes. Le cadre géographique retenu est le département.

La carte montre de vifs contrastes. Deux grandes zones de polarisation des dangers se détachent, épousant les densités de population et d’activités polluantes (circulation, industries chimiques, ports) : l’Île-de-France, quasi coagulée au nord du pays, et le triangle Lyon-Marseille-Nice (couloir rhodanien et côte méditerranéenne), qui cumulent les trois types de dangers. Leur intensité décroît du centre vers la périphérie de ces zones, selon un gradient net. Par exemple, on remarque un axe Lyon (63 points) / Loire (47 points) / Puy-de-Dôme (40 points) / Corrèze (35 points) ; de même dans l’ouest parisien où la dangerosité semble suivre une pente depuis la Seine-Saint-Denis (63 points) vers Paris et les Hauts-de-Seine (52 points), les Yvelines (39 points). À l’écart de ces grandes zones congestionnées s’individualisent trois autres pôles secondaires de dangerosité : les Pyrénées-Orientales et les Antilles – où se conjuguent risques naturels élevés et forte délinquance – et la Corse.

La plus vaste partie du territoire affiche cependant des valeurs moyennes – dans tout le quart nord-est aujourd’hui désindustrialisé –, voire faibles comme dans le grand ouest Atlantique et le Massif central. C’est une France plus sereine, quoique non exempte de dangers (délinquance à Nantes et Bordeaux, risques côtiers). C’est aussi la plus attractive pour la population.

Les sociétés rurales traditionnelles accoutumées à affronter certains risques naturels avaient agi en conséquence : le cœur médiéval et le vieux pont romain de Vaison-la-Romaine ont été épargnés par la crue de l’Ouvèze (47 morts le 22 septembre 1992) : est-ce un hasard ? Pourtant, dans la décennie 2000, plus de 100 000 logements ont été construits en zone inondable… Le danger, sous de multiples formes, est de retour, mais la société du risque chère à U. Beck en a-t-elle vraiment pris conscience ?

Retrouvez sur le site de Conflits la présentation des sources, de la méthode et des résultats pour obtenir cette carte de la « France dangereuse ».

A lire aussi, 

La France dans ses colères. Entretien avec Christophe Bourseiller

Méthode employée, sources consultées : retrouvez tous les éléments méthodologiques de la carte « La France dangereuse ». 

Liste des 18 indicateurs

Pour chaque indicateur, les données sont divisées en cinq classes, sauf l’accès aux soins d’urgence (trois classes) et l’exposition au radon (quatre classes).

Risques naturels

Pluies extrêmes (plus de 100 mm en 24 h), fréquence moyenne sur 50 ans

Part de la population (%) exposée au risque inondation

Canicule 2003 : surmortalité (14 827 décès attribués à la vague de chaleur)

Canicule 2022 : surmortalité (10 420 décès)

Radon : intensité de l’exposition (Bq/m3)

Risques technologiques

Densité d’établissements industriels classés Seveso pour 1 000 km² (2023)

Accidents industriels survenus (moyenne sur la période 1992-2016)

Part de la population (%) exposée au bruit routier, supérieur à 68 dB

Pollution aux particules fines (2013) : taux de concentration de PM2.5, en microgramme/m3

Pollution aux particules fines (2023) : idem

Risques sociaux

Crimes et délits par hbt (2021-2022)

Nombre de points de deal (= lieux de revente de stupéfiants) : la France en compte 3 188 en 2021 (maximum en Seine-Saint-Denis : 276)

Nombre de zones urbaines sensibles (2022) : 4,5 M hbts vivent dans 751 ZUS (maximum dans le nord : 49)

Nombre de médecins généralistes en activité pour 100 000 hbts (2023)

Accès aux soins d’urgence (en temps) (2020)

Accidents de la route (nombre de tués par M hbts) 2017-2021

Indicateurs de vulnérabilité

Part (%) des personnes de +75 ans (hommes et femmes) vivant seules (2019) : 2,5 M de personnes

Part de la population vivant sous le seuil de pauvreté (2021) : plus de 9 M de personnes (maximum : Seine-Saint-Denis : 17,5 %).

Pénalités d’un point : 

(a) coups et blessures volontaires (hors cadre familial) 2022, passés de 220 000/an de 2008-2016 à 350 0000 en 2022, et homicides (hors attentats) 2016-2021 largement supérieurs à la moyenne nationale   

(b) catastrophes naturelles historiques   

(c) risque nucléaire : zone de contamination de 100 km (périmètre Greenpeace)   

(d) persistance d’un désert médical (département affecté de la note 5 depuis 2011).

Résultats

Deux Frances face aux dangers (densité : nombre de points cumulés/1 000 km2)

Les pôles de dangerosité                   points           densité

Île-de-France                                         427                35,55

DOM (sauf Guyane)                             192                33,19

Triangle Lyon-Marseille-Nice5              772              14,62

Côte méditerranéenne4                          460                11,41

         

La France moins exposée

Grand quart nord-est 1                         668                   7,87

Grand quart sud-ouest 2                      607                    6,25

Grand quart nord-ouest3                      593                   6,18

1 départements n° 08 51 10 89 55 57 21 54 52 88 67 68 90 25 70

2 départements n° 17 33 40 64 16 24 47 32 65 31 82 46 19 23 87

3 départements n° 50 14 61 22 29 56 44 85 79 86 37 49 72 35 53

4 départements n° 66 11 34 30 13 83 06 2a 2b

5 départements n° 01 69 38 07 26 84 30 13 83 06

Méthode

La valeur de chaque indicateur détermine une série statistique de 101 individus ordonnée en distribution. Les indicateurs sont de poids égal. La discrétisation retenue est celle des seuils naturels observés. On retient cinq classes, à chacune est affectée une note de 1 (valeur très faible) à 5 (valeur très forte). Pour chaque département, on cumule ainsi les points obtenus sur les 18 indicateurs. Le minimum théorique est de 18 points, le maximum de 91 points (en tenant compte des bonus et des deux indicateurs à trois et quatre classes). Les départements sont ensuite classés et cartographiées, selon ce total. 

Le minimum observé est de 31 points (Vendée) et le maximum de 64 (Val-de-Marne). L’amplitude observée (31-64), plus faible que l’amplitude théorique (18-91), témoigne d’une relative diffusion du risque sur l’ensemble du territoire.

Sources consultées

actualitix.com, Ademe, AMRF, ANCT, aria-developpement-durable-gouv.fr, build-green.fr, Ceremar, CNB, CNFG, CNOM (atlas de démographie médicale, 2023), fiches-auto.fr, geoconfluence-ens-lyon.fr, georisques.gouv.fr, greenpeace.fr, has-santé.fr, inegalites.fr, ineris.fr, Insee, Inserm, irsn.org, observatoire-des-territoires.gouv.fr, ONB, ofdt.fr, ONRN, OODS, pedagorisk.net, planet.fr, pluiesextremes.meteo.fr, santepubliquefrance.fr, senat.fr, SSMSI (ministère de l’Intérieur), static.mediapart.fr, viepublique.fr, Wikipedia. 

Le Point, Le Monde, Ouest-France, Hérodote (1982), travaux de Y. Veyret, C. Chaline, A. Bauer, B. Tiberghien, P. Pigeon, etc.

 

À propos de l’auteur
Jean-Marc Holz

Jean-Marc Holz

Jean-Marc Holz est agrégé de géographie, docteur ès sciences économiques, docteur d'Etat ès lettres. Il a enseigné aux universités de Franche-Comté (Besançon) et de Perpignan, comme professeur des universités.
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